Abdelaziz Kacem - Terrorisme : Allouer à la culture, le prix d’un F-16…
Le terrorisme a encore frappé, en ce jeudi noir, 27 juin 2019. Deux voyous de Dieu se sont fait exploser ;ils sont supposés savourer, désormais, les partouzes échangistes promises, avec au bas mot, soixante-dix houris pour chacun. Bilan, ici-bas : un martyr, plusieurs blessés et une saison touristique écornée. Ne nous leurrons pas ! L’islamisme frappera encore. Cela fait bientôt vingt ans que l’Algérie en souffre.
Nos forces de sécurité et notre armée nous protègent. C’est leur devoir. Mais nous avons, à notre tour, le devoir de protéger leurs arrières. Ce ne sont ni notre compassion ni notre empathie avec les proches et les camarades de ceux qui, d’entre eux, tombent sous les coups des lâches, qu’ils attendent, c’est notre participation à la préparation de leurs interventions préventives.Comment ? En les informant, de toute urgence, de tous mouvements, préparatifs ou conciliabules suspects. Tout ne se trame pas dans les grottes du djebel Chaambi. Les mosquées, depuis l’assassinat du calife Omar, sont devenues des foyers de tous les dangers et de toutes les conspirations. Mais cela n’est pas suffisant.
Les forces de sécurité cherchent à connaître l’adversaire, les services de renseignement traquent les cellules dormantes. Mais l’ennemi est fourbe, omniprésent.
Alors que nos soldats sont au front, les intégristes, telle une cinquième colonne, continuent de miner nos institutions. Je n’irai pas jusqu’à dire que le mal est en nous. Mais nous lui sommes accessibles. Paul Valéry disait : Il faut entrer en soi-même armé jusqu'aux dents.
Certes, la mosquée est l’endroit le plus propice à la formation des bombes humaines. Elle prend en charge la plante en épiaison. C’est à l’école que les graines de l’extrémisme sont semées. Il fut un temps où, au Lycée, les profs de math, de philo, de lettres étaient regardés comme des stars. Aujourd’hui, le professeur d’éducation religieuse, souvent fier d’être vierge de toute science humaine, est en passe de leur voler la vedette. Bien avant les terribles violences qui secouent notre région, l’Éducation, secteur sinistré, s’est montrée incapable de nous donner un produit humain fini ; les connaissances oubliables, hors stricte spécialisation, doivent se transformer en culture. C’est l’un des impératifs des institutions culturelles.
Sans un effort colossal et courageux en matière de réformes dans le domaine de l’éducation, par la mise en œuvre de programmes appropriés, nous ne viendrons jamais à bout d’un obscurantisme criminogène. Il faut, sans scrupule aucun, expurger les manuels scolaires de toute apologie de la violence et de toute sornette métaphysique.
C’est la culture qui libère l’homme de ses superstitions, le fait sortir de la minorité. Au plan de la spiritualité, elle consolide la foi et dissipe les croyances. Pour combattre l’ennemi, il faut connaître ses points faibles. Hostiles aux lettres, aux arts et aux sciences humaines, les intégristes ont des ingénieurs, des chimistes, des physiciens, des médecins ; ils n’ont ni poètes, ni romanciers, ni artistes. En développant les arts et les belles-lettres, la culture les asphyxie.
Mais qu’est-ce que la culture ? J’avoue n’avoir jamais su donner de la culture une définition un tant soit peu pertinente. Malgré mon admiration pour les anthropologues, leur approche en la matière, ne satisfait guère l’homme de terrain que j’ai été ni le producteur que je continue d’être. J’ai toujours été rétif à toute acception qui, tel un fourre-tout, admettrait que des pratiques ou acquisitions surannées fissent partie de la CULTURE, vocable qui s’écrit, dans ma tête, en lettres capitales. Élitaire, sans être élitiste, c’est elle qui nous attire vers le haut. N’est-ce pas là la base et la finalité de toute politique culturelle ?
En accordant la priorité à l’armement, quand la patrie est en danger, d’aucuns pensent que la culture peut attendre. C’est faux.L’une des raisons de la chute de l’Empire ottoman réside dans son déficit intellectuel.
Nos forces de sécurité ont obligation de vaincre. Ce n’est pas suffisant. Il faut convaincre. Détruire la néfaste idéologie. C’est là qu’intervient la culture. C’est à elle de parfaire la finition de ce produit à la fois généreux et dangereux qu’est l’homme.
La culture n’est ni un simple divertissement pour amuser le public ni une parure pour beaux esprits. Elle doit faire partie intégrante de nos stratégies de défense contre l’obscurantisme.
Accordez-nous le prix d’un avion F-16 et d’un char de combat et nous vous promettons de libérer la matière grise de nos jeunes de toute velléité de nuisance.
Nous avons un besoin urgent et vital d’une cure d’altitude, d’un bain de lumière auxquels nous ne pouvons accéder que par le biais d’une laïcité claire et sans détour. Nous avons, trop longtemps, caressé les dévots dans le sens du poil.Ayons le courage d’expliquer aux communs que nous pouvons nous passer de pèlerinage et de Omra, pendant ces années de vaches maigres. Il convient de persuader les bonnes gens que c’est un acte de piété suprême que de financer la réfection des écoles et des hôpitaux délabrésou d’aider les démunis à sauver leur progéniture de la délinquance profane ou sacrée. En outre, faisons-leur savoir que Dieu n’a pas besoin de l’argent des pauvres, d’autant que nous savons à qui profite, en vérité, ces dispendieuses dépenses.
Et puis il y a les kuttabs dont la prolifération, sous Ben Ali, déjà, a connu des proportions plus qu’inquiétantes. Le Coran est un grand texte dont l’exégèse demande aujourd’hui l’intervention des sciences du langage mais aussi de toutes les sciences humaines et son intelligence exige un minimum de maturité. Le laisser aux barbus ignares, est le pire des sacrilèges. En faire un bourrage de jeunes crânes, est inqualifiable. L’école publique a toujours peiné à tirer quelque chose de leurs mémoires encombrées.
Je rêve d’une école rendue à son réel sacerdoce : initier les jeunes aux valeurs de la démocratie, de la citoyenneté, des droits de l’homme.
Je rêve de la création d’un Haut Conseil de l’Éducation et de la Culture, en charge d’élaborer, en la matière, une politique réfléchie, claire et libre de toute superstition.
En attendant…
Chaque fois que l’aile lugubre des corbeaux obscurcit mon espace, je me réfugie chez Abu al-Alâ al-Maarri (973-1058)pour replonger dans ses incomparables « Luzûmiyat ». Et je lis, au hasard, ce raccourci époustouflant :
هَفَتِ الحنيفةُ والنّصارى مااهْتَدَتْ ويهودُ حارتْ والمجوسُ مُضَلَّلَهْ
اثنان أهْلُ الأرضِ ذو عقْلٍ بلا دينٍ وآخـرُ دَيِّنٌ لا عقْلَ لَهْ
Et je traduis, en alexandrins :
Le musulman se goure et le chrétien s’égare.
Le Juif se perd, le Mazdéen n’a plus de phare.
Deux sortes de Terriens : un impie qui raisonne
Et un adorateur crédule et sans neurone.
Abdelaziz Kacem