Latifa Lakhdhar: Notre Tunisie, notre solitude
Quand la réalité dépasse l’entendement et que les mots ne disent plus grand-chose, il ne reste que le cri du cœur.
Excusez mon pessimisme, mais cette réalité ne m’inspire pas d’autres mots: Devant nous et face à nous, notre pays devient un crève-cœur, et, ni le comment et, ni le pourquoi ne sauraient déterminer les alentours brouillés, fuyants, enchevêtrés et obscurs de cette situation qui, de jour en jour génère désenchantement, déception, défiance et, surtout, surtout, cruelle incertitude.
Pourtant au départ, était une grande espérance, un beau rêve et une énorme ambition que nous avons su garder malgré les intentions obscures de la sainte alliance entre l’endogène et l’exogène, entre le dedans et le dehors, d’en atténuer la grandeur et d’en réduire la modernité. Nous nous sommes collectivement accrochés, nous avons résisté, et avons réussi, tant que faire se pouvait, à déjouer les ruses de l’histoire.
Pour l’homme de la situation à l’époque, devenu, au bonheur d’une majorité des tunisiennes et des tunisiens, notre président de la république, je me rappelle qu’après une interview au musée du Bardo dans laquelle il a excellé comme il sait le faire, son interwieuveur le célèbre journaliste français Elkabbach, impressionné par tant de lucidité, s’est tourné vers nous pour nous dire d’un ton sincère, « priez pour que Dieu vous le garde ».Pour toute la considération et pour tout le respect que nous portons à l’homme-président, nous l’avons fait, Dieu nous l’a gardé, mais au final, le familialisme nous l’a enlevé.
Et, aujourd’hui, voilà que nous nous retrouvons devant une réalité qui a tous les traits de l’anthropophagie et qui, comme un vautour, cherche à finir le corps déchiqueté de ce rêve.
Le pays, système et hors système confondus, devient manigance, bruit, petitesse et terrain où règne une absence de tout sens du bien commun.
La politique c’est le pouvoir nous dit-on à raison, et voilà, justement, et pour n’évoquer qu’un aspect de cette situation où nous nous retrouvons, que l’un des responsables désignés de cette mise à mort du rêve, est la vacance du politique.
La politique est devenue vide, et elle l’est devenue parce que ses acteurs se sont détournés de ce qui fait sa noblesse et sa hauteur, mais aussi par un jeu paradoxal où le pouvoir déserte les espaces où il doit s’exercer naturellement pour aller s’étaler librement partout où il le voulait et où ça l’arrangeait.
Le pouvoir est dans tous les paliers, la religion en principe foi et rapport personnel à Dieu, est transformée en pouvoir politique, la contrebande, la corruption, l’intérêt particulier deviennent, tous, pouvoir, la richesse évidemment, mais la pauvreté aussi qui au lieu d’être conjurée devient, grâce à l’assistanat et au caritatif, pouvoir,….
Un «épanouissement» pathologique qui porte atteinte aux institutions de l’Etat tout en les traversant, aux partis politiques en les érodant, aux fondamentaux de la démocratie en leur grattant la peau et au principe de la concurrence politique légale qui, disons-le, haut et fort, a débuté avec l’instrumentalisation par les islamistes d’un patrimoine spirituel commun qui est la religion dans le but de prendre de l’avance politique sur les autres.
Quant à notre «vénérable assemblée du peuple», façade démocratique d’un théâtre de mauvais acteurs, elle se réduit, de jour en jour, à un terrain réservé à participer à la guerre de tous ces médiocres pouvoirs. Une guerre arrogante, sans foi ni loi, se faisant au nom d’un peuple ignoré et trahi dans les faits, magnifié et sacralisé dans le verbe.
Le pays est ainsi livré à l’impuissance politique collective et comme par la loi des choses, rien hélas, ne peut empêcher une politique vide d’être avide, celle-ci nous envahit, nous sidère, nous angoisse, mais plus grave encore, elle met la transition démocratique dans l’égarement,la société dans l’écœurement, le bien commun dans le mépris et le superflu.
Notre Tunisie, notre solitude.
Latifa Lakhdhar