Election du directeur général de la FAO : duel Franco-chinois à la veille du scrutin du 23 juin 2019
Par Majid Chaar, ancien directeur des Médias, Porte parole de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture). Quatre candidats vont concourir ce 23 juin au poste de directeur général de la FAO, la plus importante des organisations internationales des Nations Unies, succédant au Brésilien José Graziano da Silva, en poste depuis 2011. Une âpre compétition met en lice les candidats de la France (Catherine Geselain-Lanéelle), la Chine (Qu Dongyu), l’Inde (Ramesh Chand), et la Géorgie (Devit Kirvalidze). Cette quête pour l’investiture du « Palais de Marbre », au Circo Massimo, dans le cœur historique de la Rome antique, siège de la FAO, suscite des tensions sous-jacentes, entre les pays donateurs, les USA en tête, et révèle un signe palpable d’une guerre diplomatique qui ne cesse d’alimenter les rapports de force et les enjeux stratégiques que représente la conquête des organismes internationaux dont la FAO.
Le mandat du prochain directeur général débutera le 1er août 2019 et s’achèvera le 23 juillet 2023, et il ne sera éligible que pour un seul mandat supplémentaire de quatre ans. « Un pays, une voix », l’Etat de Vanuatu au Pacifique compterait ainsi autant que celle des Etats Unis, lors d’un vote secret au cours duquel, il sera nécessaire d’obtenir une majorité simple pour valider les résultats.
Créée à Québec, Canada, le 16 octobre 1945, « la doyenne des organisations internationales » a vu depuis sa fondation, trois américains se succéder à sa direction : Sir John Boyd Orr, Norris Dodd et Philip Vincent Cardon. Puis, vint le tour de l’Inde (Rangan Sen de 1956 à 1967), des Pays-Bas (Addeke Boerma de 1968 à 1975), du Liban (Edouard Saouma, de 1976 à 1993), du Sénégal (Jacques Diouf de 1994 à 2011) et enfin le Brésil (José Graziano da Silva de 2011 à 2019).
Des fuites et des manœuvres
A quelques jours du scrutin du 23 juin, les observateurs s’accordent à dire que la France et la Chine sont parties favorites dans cette course. Le Camerounais Médi Moungui aurait fait machine arrière suite à la décision de Pékin qui aurait épongé une dette camerounaise d’environ 70 millions de dollars, en contre partie, affirment certains. Les Chinois auraient aussi « pesé de tout leur poids » sur le Brésil et l’Uruguay évoquant leurs exportations agricoles si ces deux pays ne leur accordent pas leurs voix.
L’Organisation, soucieuse de garantir une transparence totale, a mis en place un système d’audition des candidats en séance plénière afin que chaque candidat puisse exprimer librement son programme et en débattre avec les représentants des 197 pays.
Des révélations sur le candidat Chinois
L’audition de M Qu Dongyu, le 11 avril dernier, en séance plénière à la FAO a été marquée par un échange très révélateur de la tension que le représentant américain entretient avec le candidat chinois qui a été sommé de répondre à la question : « Comment pouvez vous assurer la FAO que vous pourrez prendre des décisions sans l’autorisation de votre gouvernement ? »
Les insinuations du délégué américain faisaient allusion au récent limogeage de l‘ancien chef d’Interpol, qui, comme le candidat chinois, est Vice ministre de son gouvernement, et ce, officiellement, «parce qu’il n’a absolument pas le droit de prendre des décisions sans autorisation du gouvernement ! »
Le bras de fer entre Washington et Pékin continue sur une toile de fond de guerre commerciale et de contrôle des organismes internationaux- un véritable enjeu stratégique pour les grandes puissances, depuis la fin de la guerre mondiale et la naissance de l’ONU, de ses organisations spécialisées et les agences de Bretton Woods.
Les autres candidats et les favoris
Outre le candidat chinois, les candidats en lice sont Ramesh Chand (Inde), Devit Kurvalidze (Géorgie) et Catherine Geslain- lanéelle(France). Cette dernière candidate, première femme à briguer ce poste prestigieux, se présente comme candidate de la France et de l’Union européenne et affiche un capital important d’expérience professionnelle au sein de gouvernement français et en Europe où elle a présidé aux destinées de la très respectueuse Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Forte de son statut de haut Commis de l’Etat, Catherine Geselain- lanéelle (56ans) mène une compagne en terrain conquis. Elle a déjà rencontré les représentants de 150 pays et effectué plus de 60 déplacements. Elle demande que l’agriculture aide à « créer des emplois pour les jeunes dont plus de 600 millions vont arriver sur le marché de travail d’ici à 2030 ».
Devant les représentants des pays membres, elle a plaidé pour un accroissement de la productivité de l’agriculture de façon durable afin qu’elle soit plus résistante au changement climatique tout en réduisant les pertes après récoltes. Elle dit aussi vouloir « accroître significativement » les investissements des partenaires de la FAO et mettre les sciences au centre de l’action de cette organisation.
Venu à Rome pour soutenir le candidat, le ministre Français de l’agriculture Didier Guillaume a estimé qu’elle était la seule qui réponde aux trois défis de l’agriculture : Nourrir la planète, parce que la plus grande discrimination est l’alimentation, la lutte contre le réchauffement climatique et le multilatéralisme.
Révélations compromettantes…
Tout çà est bien beau, mais c’était sans compter avec les revirements des alliances, les mouvements d’humeurs des uns et des autres et les coups de théâtre dans un spectacle où rien ne peut être acquis à l’avance, avant l’acte final. En effet, selon des révélations du quotidien britannique, le Guardian (3 juin), Madame Geslain Lanéelle, qui fait partie des favoris, aurait expressément demandé aux Américains de renoncer à leur soutien au candidat géorgien, à son profit. En contre partie, selon le Guardian, elle s’est engagée « à ne pas défendre la position européenne sur la question des biotechnologies et des OGM (Organismes génétiquement modifiés). Il est à noter à cet égard que, dans les débats techniques de la FAO, les Américains se sont toujours inquiétés de la volonté européenne de réduire l’usage des herbicides et la consommation des OGM. De plus, certains observateurs pensent que le soutien, non déclaré des américains au candidat géorgien, partisan du libre échange, ne peut, in fine, qu’assurer la victoire du candidat chinois, M. Qu Dangyu !
Si ces révélations s’avéraient fondées, ça serait pour la candidate française comme un désaveu pour « L’une des politiques agricoles les plus importantes pour Bruxelles ».
Côté français, on exclut toute implication de l’ancienne directrice de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Des soucis à la FAO
Ceux qui suivent de prés l’action de la FAO se rendent compte à quel point ces questions délicates dérangent. La FAO, à travers ses initiatives, a toujours apporté, en quelque sorte, une dimension morale aux décisions techniques adoptées, telles que l’engagement international sur les ressources phylogénétiques (1983), la Conférence mondiale sur l’aménagement et le développement des pêches – pour défendre le rôle des petits pécheurs (1984), le Code international sur les pesticides (1985), contre la vente aux pays pauvres des pesticides interdits en pays riches, etc.
Historiquement, les riches sont loin d’apprécier l’attitude de la FAO dans ces domaines et lui reprochent qu’elle n’est pas « suffisamment soumise » à leur gré, puisqu’ils veulent que « celui qui paye, c’est lui qui commande.
Dans ces jeux d’influences globales, le Maghreb selon certaines sources diplomatiques, devrait se ranger aux côtés de la France, l’Afrique francophone hésite entre Pékin et Paris.
Dans ce contexte dominé par des pressions intenses de part et d’autre, la FAO ressemble à un petit poisson dans un grand étang d’eau, tant les convoitises, les campagnes de dénigrement et les hégémonies sont manifestes.
René Dumont agronome français et auteur du livre « l’Afrique noire est mal partie » appelait, déjà dans les années 90, à « défendre un des meilleurs défenseurs du tiers monde : La FAO » Il est vrai que cette organisation est considéré par nombre des pays en développement comme un de leurs meilleurs défenseurs. Pourrait-elle le demeurer ? Encore faudrait –il qu’ils y tiennent.
Je constate pour ma part, avec beaucoup d’amertume que, dans cette course effrénée des grands, la lutte contre la faim et la malnutrition passe au second plan, au profit de l’enjeu crucial dans la stratégie des grands de contrôler les organisations internationales.
Aussi importante qu’elle puisse apparaître, l’élection d’un directeur général à la tête de la FAO, semble, in fine, secondaire par rapport aux défis auxquels l’humanité est confrontée. Il y a tout d’abord les constats et ils sont choquants.
Alors que 1.9 milliard de personnes sont en surpoids et obèses, quelques 821 millions de personnes souffrent encore de la faim, bien que la production globale suffise pour nourrir la planète …. Des chiffres comparables à la situation alimentaire d’il ya une décennie, et ce, malgré des engagements au plus haut niveau mondial, des G-20 et autres sommets de la FAO…
Le droit à l’alimentation et l’accès pour tous et en tout temps à une alimentation suffisante pour mener une vie active et saine, peine à être activement soutenu par les plus grands. La volonté politique n’y est pas … et les élections de la FAO, nous rappellent, une fois encore que, 75 ans après sa création, la raison d’être de la FAO « Aider à construire un monde libéré de la faim » est toujours d’actualité
Notre part de l’horizon?
Quels espoirs, opportunités ou attentes pour notre pays ? Spectateur passif ou acteur potentiel, à travers une diplomatie proactive et une histoire commune qui nous lie à cette organisation qui a élu Tunis pour abriter le siège de son bureau sous- régional pour l’Afrique de Nord et une représentation nationale créée en 1986 afin de jouer un rôle primordial d’assistance de proximité à travers une centaine de projets de soutien à la sécurité alimentaire du pays.
La Tunisie a toujours compté au sein de la FAO des amitiés sans faille, au plus haut niveau : le Libanais Edouard Saouma, (18 ans à la tête de la FAO), a hissé la Tunisie aux premières loges, en dédiant attention et priorité aux défis de la Tunisie et en préférant l’expertise tunisienne à tant d’autres.
Le Sénégalais Jacques Diouf (16 ans Directeur général) était admiratif de notre pays et ne se lassait pas de répéter que son Président, Feu Léopold Senghor, se tournant vers lui (en tant que ministre de la recherche scientifique) pour lui conseiller de se rendre en Tunisie, voir « comment les frères tunisiens ont pu résoudre tel problème ! »
La Tunisie, à son tour, a été généreuse avec cette Organisation en lui prêtant l’un de ses meilleurs ingénieurs hydrologues, feu Lassad Ben Osman, élu pour deux mandats (1985-1989) comme Président Indépendant du Conseil de la FAO (49 pays membres). Les experts tunisiens étaient sur- représentés au sein de la FAO, dans divers domaines, de l’économie rurale au commerce des produits, aux forets, aux pêches, aux sols, aux statistiques, aux maladies animales et végétales, à la nutrition, aux transferts de technologies, à l’interprétation, à l’information et aux postes de représentation à travers le monde…
Alors que notre pays est confronté aux défis de la volatilité des prix des produits alimentaires et la nécessité de réduire sa dépendance aux importations de céréales, il serait opportun de faire miroiter la carte Tunisie – pays fédérateur et influent dans les enceintes internationales, afin que notre voix soit mieux entendue et prise en considération. Il y va de l’intérêt bien compris de La Tunisie... Et c’est, de bonne guerre !
Rien de plus vrai, dans ce contexte, que le proverbe ancien : «Aide –toi et le ciel t’aidera».
Majid Chaar