Hella Ben Youssef Ouardani: Au Panama, en observatrice d’élections significatives
A plus de 9 000 km de Tunis et avec 6 heures de décalage, le Panama s’invite à l’actualité. Ce petit pays de 3.6 millions d’habitants, situé à l’extrême sud de l’Amérique centrale, indépendant depuis 1903, devait procéder le 5 mai dernier à des élections générales. Pas moins de 2.7 millions d’inscrits devaient choisir le même jour le président de la République, les maires et leurs adjoints, les députés et les élus de l’Assemblée d’Amérique centrale. Une illustre Tunisienne y était!
Hella Ben Youssef Ouardani, vice-présidente du parti Etakattol, était en effet mandatée en tant qu’observatrice par l’Internationale Socialiste des Femmes (ISF) dont elle est vice-présidente pour la région méditerranéenne Nord et Sud. A sa grande surprise, elle découvrira que les Panaméens connaissent bien la Tunisie. Ils n’ont pas encore digéré la défaite par 2 à 0 de leur équipe nationale face à la sélection tunisienne, lors de la dernière Coupe du monde, Russie 2018...
Pour revenir au scrutin, après dix années d’opposition, le Parti révolutionnaire démocratique (PRD) revient au pouvoir, son leader Laurentino Cortizo l’emportera sur son rival Romulo Roux du parti de droite Changement démocratique (CD), et ses élus rafleront un peu partout les premiers sièges. Un fait significatif, le taux élevé de participation qui a atteint les 70%. Une leçon d’espoir et de détermination pour vaincre la corruption et améliorer le quotidien
Carnet de voyage.
L’histoire de chaque pays façonne sa manière d’être et forge sa propre pratique politique. Les conditions de vie économiques et sociales influent également considérablement sur les modalités de la conduite des affaires et les conditions de sa légitimation. Dans ce petit pays entre Amérique du Nord et Amérique latine qu’est le Panama, la population s’initie à des pratiques démocratiques longtemps ignorées. L’originalité du cadre constitutionnel est que plusieurs élections ont lieu simultanément un peu à l’image des Nord-Américains. Il n’y a donc pas d’élections intermédiaires. Toutes les charges électives sont renouvelées en même temps tous les cinq ans. Le 5 mai 2019 a eu lieu l’élection présidentielle.
J’y étais missionnée en tant qu’observatrice par l’Internationale Socialiste des Femmes du fait de ma fonction actuelle de vice-présidente de l’ISF pour la région méditerranéenne Nord et Sud. A vrai dire, une expérience fort enrichissante tant sur le plan proprement technique (supervision) que sur le plan humain. Pour la petite anecdote, beaucoup de personnalités rencontrées, comme des dirigeants locaux, ont exprimé leur vive satisfaction de voir une Tunisienne venir jusqu’à eux. Je leur ai manifesté ma gratitude pour l’accueil chaleureux mais aussi pour le temps passé à m’expliquer les modalités des différents scrutins. L’élection présidentielle s’effectue au scrutin majoritaire à un seul tour. En même temps, les électeurs ont voté aux municipales portant cette année sur 81 présidents de municipalité et 679 de leurs adjoints, mais aussi aux législatives avec 71 députés à l’Assemblée nationale et 20 parlementaires à l’Assemblée d’Amérique centrale.
D’un point de vue chronologique, les choses se sont passées, osons-le dire, comme dans un conte de fées. Dès mon arrivée à l’hôtel, des bus aux couleurs du parti et des militants ont envahi la rue pour la dernière soirée de campagne avec les leaders du PRD (Parti révolutionnaire démocratique), les futurs président et vice-président ainsi que les candidats aux différents postes à l’Assemblée nationale, des députés du parlement d’Amérique centrale ainsi que les maires et les représentants locaux.
Une fête gigantesque dans une ambiance latine joyeuse était déjà au rendez-vous. Le lendemain, une première réunion de préparation s’est tenue avec les différents observateurs internationaux, majoritairement d’Amérique Latine. Le responsable des affaires internationales du parti hôte (PRD) a félicité son homologue du PSOE (Parti socialiste espagnol de Pedro Sanchez) en lui souhaitant plus de succès pour son parti suite aux derniers résultats positifs des élections en Espagne. Un appui insistant sur ma présence, lors de cette présentation, le secrétaire national des affaires internationales du parti PRD, Leonardo Kam, a évoqué à son tour la Tunisie et m’a remerciée avec des mots très touchants (en espagnol : une jolie langue très fleurie) relatant mon engagement politique et mon action au sein de l’Internationale socialiste des femmes. Mais aussi d’avoir fait le voyage pour participer aux élections. Il ne manquera pas de faire avec humour un clin d’œil évoquant subrepticement le match lors de la Coupe du monde 2018 ayant opposé le 18 juin dernier la Tunisie au Panama au sein du Groupe G. Avec la victoire de la Tunisie par 2-1. Cette date est depuis ancrée dans tous les esprits et est devenue une référence qui a permis à une majorité de Panaméens de connaître la Tunisie. Exprimant ma joie et ma fierté de suivre de visu ces élections, je n’ai pas manqué d’exprimer mes vœux chaleureux pour que les valeurs de la social-démocratie l’emportent. « Vous proclamez travail, liberté, dignité, ai-je dit, c’est aussi, figurez-vous, notre trilogie tunisienne» Lors du dîner de bienvenue, nous avons pu échanger avec tous les invités, notamment les deux anciens présidents panaméens M. Martin Torrijos (2004-2009) et M. Aristido Royo. Une grande émotion pour moi.
Le jour J
Au Panama, 2,7 millions de citoyens devaient choisir au total 861 élus qui auront la responsabilité de faire face aux défis considérables auxquels doivent s’atteler la nouvelle Assemblée et le Président. En dépit d’efforts louables, le pays reste gangréné par la corruption et la prédation. De multiples réformes sont aussi en attente.
Le verdict des urnes donnera ce 5 mai 2019 en fin de soirée le Président Laurentino « Nito » Cortizo vainqueur, l’emportant sur son rival Romulo Roux du parti Changement démocratique (CD), droite, avec seulement deux petits points d’avance. Du coup, le PRD revient au pouvoir après dix années d’opposition, la social-démocratie a recueilli 33,08 % des voix, contre 31,06% pour son adversaire. Ricardo Lombana, le candidat indépendant est loin derrière avec 19,34%, en troisième position.
On notera avec surprise un taux de participation de 73%, taux qui devrait faire pâlir d’envie notre Isie. Un véritable engouement des citoyens, qui s’exprime aussi par un engagement important au sein des partis comme en témoigne la foule de militants et de sympathisants, colorée et bardée de drapeaux aux couleurs de la formation victorieuse, descendue en masse à l’annonce des résultats. Mais il en a été ainsi tout au long de la campagne où ces formations se sont croisées donnant une impression de kaléidoscope.Même frénésie jusqu’au dernier jour où chacun affiche le numéro du bureau de vote sur sa voiture, sans oublier les stands des partis devant ces bureaux pour convaincre jusqu’à la dernière minute. Quitte à me répéter, des élections suivies et joyeuses qui d’une certaine façon nous font pâlir d’envie.
Ma tâche a consisté à effectuer une tournée dans 7 centres de vote de différents quartiers de la ville et de la campagne environnante. Partout j’ai senti cette ferveur populaire qui a soif de progrès et qui, d’évidence, fonde beaucoup d’espoir sur ce nouveau président et l’Assemblée élue. Côté technologie, on notera une expérimentation puisqu’un centre de vote met à disposition des électeurs le vote électronique Un système relativement simple et adapté au mode de scrutin groupé qui sera généralisé lors des prochaines élections. A l’évidence, une efficacité en termes de gain de temps (évitement de longues files d’attente), et qui devrait en toute logique réduire les risques de fraudes. Je me suis tout de même octroyé quelques moments de détente et de visites afin de m’imprégner un tant soit peu de la culture et de l’histoire de ce pays. J’ai ainsi pu rencontrer les associations liées à l’Unesco qui mènent un travail acharné pour la sauvegarde, la protection et la valorisation du patrimoine. L’activité prioritaire est la préservation de la vieille ville hispanique et ses belles demeures de type andalou, perdues au milieu d’une forêt anarchique de gratte-ciel qui poussent partout.
J’ai également fait un détour pour voir le canal de Panama, un ouvrage extraordinaire de 80 km de long qui traverse l’isthme de Panama en Amérique centrale, reliant l’océan Pacifique et l’océan Atlantique. Sa construction, démarrée par Ferdinand Lesseps mais achevée en 1880 par d’autres ingénieurs, a été l’un des projets d’ingénierie les plus audacieux jamais entrepris. Son influence sur le commerce maritime est encore considérable, puisque les navires n’ont plus besoin de faire route par le cap Horn à la pointe australe de l’Amérique du Sud. Un navire allant de New York à San Francisco par le canal parcourt 9 500 kilomètres, moins de la moitié des 22 500 kilomètres du voyage par le cap Horn. On note aussi que le projet du troisième jeu d’écluses, inauguré le 26 juin 2016 après 9 ans de travaux, a été adopté suite à un référendum national le 22 octobre2006 et comme le dispose la Constitution panaméenne, tout projet d’élargissement du Canal doit être approuvé par le Cabinet, l’Assemblée nationale.
Au total, un séjour éblouissant de couleurs et de senteurs, sans oublier les petites spécialités culinaires. Un séjour intéressant et instructif à plusieurs égards : un engouement militant, une ferveur digne d’un match. Mais aussi une organisation rigoureuse au sein des bureaux de vote permettant de vérifier et valider les bulletins mais aussi permettant un déroulement des scrutins sans longues files d’attente.
Le voyage retour devait être ponctué par une escale à Caracas, capitale du Venezuela. Avec ce qui se passe dans ce pays, ce n’était pas une bonne idée. Les cinq heures de transit m’ont paru très, très, longues de par l’ambiance régnante à l’aéroport. De plus, arrivée à ma destination finale, j’ai eu la surprise de ne pas retrouver ma valise. Comme quoi, les déboires arrivent aussi sur des compagnies européennes régulières et pas seulement chez nous à bord de la Gazelle.
H.B.Y.O.
Vice-présidente du parti Etakattol
Vice- présidente de l’Internationale Socialiste des Femmes (ISF) pour la région méditerranéenne Nord et Sud