Ahmed Friaa - L’Intelligence Artificielle (IA) : Oui il est temps d’en débattre!
Je commencerai par répondre à ceux qui seraient tentés, sans prendre la peine de lire ce qui est écrit, de se poser la question récurrente : mais ce monsieur est-il spécialiste d’intelligence artificielle pour en parler?
Rassurez-vous, ma réponse est Non ! Je n’en suis pas spécialiste. Mais j’ai néanmoins la curiosité d’esprit qui me permet de m’y intéresser et d’essayer de sensibiliser mes concitoyens à son importance. Que ces individus, qui ne lisent point et qui ne font que dénigrer, sachent que celui qui a développé le premier programme informatique en ingénierie de la construction, dès 1960, n’a jamais été informaticien, mais plutôt ingénieur de génie civil, que l’ancien directeur d’un important laboratoire d’intelligence artificielle en France, qui était en plus un ami, est plutôt un grand spécialiste de sciences mécaniques et enfin, que l’un des meilleurs vulgarisateurs des IA en France est un chirurgien!
Le Forum Tunisien du Savoir et du Développement (FTSDH) organise, dans la matinée du 14 juin 2019, une conférence dédiée à l’Intelligence Artificielle (IA). Cette conférence sera donnée par le Pr. Eric Moulines, Professeur d’IA à l’Ecole Polytechnique de Paris, membre de l’Académie française des Sciences et l’un des meilleurs spécialistes à l’échelle internationale.
D’aucuns pourraient être tentés par se demander si cette thématique méritait d’être débattue en ce moment, dans notre pays, qui connait de nombreux problèmes relevant plutôt de la vie de tous les jours ?
Je répondrai plus loin à cette question légitime et je dirai pourquoi, au contraire, il faut qu’un débat national responsable et sérieux ait lieu au plus tôt concernant cet important sujet.
Mais commençons par donner une définition de ce qu’on entend par IA. Il s’agit d’un terme qui couve une réalité complexe et variée et il n’existe pas, jusqu’à ce jour, une définition qui fait l’unanimité. La plus répandue est cependant celle disant que «l’Intelligence Artificielle est un programme capable de reproduire des séquences des capacités cognitives du cerveau humain». Son objectif ultime serait la fabrication d’un «cerveau électronique» où les neurones biologiques seraient remplacés par des «neurones numériques», mais on n’en est très loin, pour l’instant.
L’intelligence artificielle s’appuie par conséquent sur l‘apprentissage machine «machine Learning», comme pour l’apprentissage des petits enfants, et le «Deep Learning» qui en est une forme plus élaborée.
Mais, autant l’apprentissage des enfants nécessite, en général, un petit nombre de données, autant l’apprentissage machine nécessite un nombre considérable de ces mêmes données. A titre d’exemple, il suffit de montrer à un jeune enfant quelques images d’un animal donné pour qu’il puisse en deviner un semblable. En revanche, il faut des millions voire des dizaines de millions de données pour qu’une machine atteigne la même performance, ce qui du reste nécessite une grande capacité de calcul et de stockage des informations.
Les progrès remarquables enregistrés par l’IA, depuis 2015 notamment : reconnaissance faciale, synthèse de la voix, traduction, interprétation d’images etc., se sont réalisés grâce à la conjugaison de trois facteurs en particulier. D’abord, la disponibilité de moyens de calculs et de stockage des données de plus en plus puissants, avec des capacités qui se comptent en milliard de milliards d’opérations par seconde. Il y a ensuite, les progrès substantiels en neurosciences, avec une meilleure connaissance des processus régissant le fonctionnement du cerveau humain. Il y a enfin, la disponibilité d’un nombre grandissant de données «Big Data», grâce notamment à la quantité considérable de données fournies, gratuitement, soit dit en passant, chaque jour, par les réseaux sociaux.
Si bien que le triptyque : Microprocesseurs puissants- progrès des neurosciences- et Big data est à l’origine d’une nouvelle révolution dont l’impact sur la civilisation humaine sera, selon toute vraisemblance, considérable.
Elle risque en particulier de créer de nouvelles fractures plus redoutables, telles que, si des mesures énergiques, concertées et appropriées à l’échelle internationale ne sont pas prises, les combler seraient extrêmement difficile. Des fractures entre pays et, à l’intérieur d’un même pays, entre individus. Des fractures séparant ceux qui maitrisent l’IA et les Big Data et en profitent et ceux qui en seraient exclus.
L’IA est également en train de changer de nombreux paradigmes et en particulier notre rapport au savoir, avec de redoutables défis posés aux systèmes éducatifs.
Si bien que, sans être un devin, le monde de 2030 ou 2040, c’est-à-dire demain, compte tenu de l’accélération du temps, sera complètement différent de ce qu’il est aujourd’hui.
L’école de demain sera différente, les compétences demandées à un jeune seront différentes, la médecine et la banque seront autres, de nombreux métiers auront disparu ou radicalement transformés, d’autres auront émergé, nos modes de locomotion et d’échange auront changé, la vie privée sera difficilement préservée etc.
Les impacts seront considérables sur tous les plans, éthiques, philosophiques, politiques, culturels, sociaux et domestiques.
Or, un jeune tunisien qui nait aujourd’hui, ou qui est au primaire en ce moment, atteindra l’Age adulte précisément aux environs de 2040 et passera la majeure partie de sa vie en pleine révolution de l’Intelligence artificielle. Cette thématique de l’IA concerne, par conséquent, fortement nos générations futures et il est de notre devoir de nous y intéresser! Ceux qui croient qu’il s’agit d’un sujet en décalage par rapport aux urgences de notre pays se trompent et auront à rendre des comptes devant l’histoire.
Au lieu des querelles politiciennes et des débats marginaux, au lieu de perdre son temps à juger des morts, ce qui du este ne mène qu’à la poubelle de l’histoire, ouvrons plutôt des débats responsables autour de grands sujets qui conditionnent la vie de nos jeunes et celle de nos générations futures. Celles-ci vont évoluer dans un monde dominé par le savoir et où les guerres ne se feront plus, comme c’est le cas jusqu’ici, par les armes ou via l’économie mais se feront désormais par l’intelligence et retenons bien ce terme qui se fera de plus en plus entende à l’avenir «guerre des intelligences».
Sachons enfin qu’il est illusoire de s’attendre à un infléchissement du cours de l’histoire car, comme cela a été bien dit par le grand mathématicien Emile Borel, dès les années 1940, et je cite « Mais l’évolution de la science se poursuit et ne s’arrêtera que lorsque l’espèce humaine disparaitra, à moins qu’elle ne se condamne à une décadence irrémédiable en renonçant à la recherche de la vérité qui est le seul but vraiment digne de son activité».
Et, que ceux que cela intéresse soient les bienvenus à la conférence objet de cet article, en contactant le Forum Tunisien du savoir et du Développement Humain à l’adresse suivante:
ftsd.tunisie@gmail.com
Pr. Ahmed Friaa
Universitaire