Caïd Essebsi aux dirigeants arabes et islamiques : Ecoutez vos peuples, utilisez à bon escient vos moyens et ne vous ingérez pas dans les affaires intérieures des autres pays
La Mecque – De l’envoyé spécial de Leaders, Taoufik Habaieb. Pourquoi toute cette perspicacité et ce doigté dont le président Béji Caïd Essebis fait preuve lors des grandes rencontres internationales, comme ici aux sommets arabe et islamique de la Mecque, il ne parvient pas à en faire usage en politique intérieure actuellement en Tunisie ? A le voir de se déployer agilement devant les chefs d’Etat et de gouvernements de 22 pays arabes, membres de la Ligue des Etats arabes, puis le lendemain, de 57 pays islamiques membres de la Conférence de la Coopération islamique, leur dire sans détours les vérités qui risquent de les fâcher, et de se faire applaudir par eux, autorise le questionnement sur l’équivalent lorsqu’il s’agit de redresser la situation politique intérieure en Tunisie.
L’implosion de Nidaa Tounès, le parti qu’il avait lui-même créé et porté si rapidement en vainqueur des législatives et de la présidentielle de 2014, en offre une illustration. Mais, c’est une autre histoire. Restons pour le moment à la Mecque où le président Caïd Essebsi appelle ses pairs à réaliser les aspirations de leurs peuples, consacrer aux bonnes causes les ressources de leurs pays et s’interdire toute immixtion dans les affaires intérieures des autres.
En cette Nuit du Destin, du 27 ramadan, et alors que la Kaaba, est prise d’assaut par des centaines de millions de musulmans accourus du monde entier, BCE sera-t-il entendu ?
Dénonçant des attaques récemment subies contre des installations pétrolières et des navires qui lui appartiennent, qu’elle attribue à l’Iran, l’Arabie saoudite a demandé à la Ligue des Etats arabes la convocation d’un sommet extraordinaire destiné à condamner son agresseur. Précédé par un sommet des 6 pays membres du Conseil de Coopération des pays du Golfe, ces deux grands rassemblements tenus le 30 mai à la Mecque, devaient susciter une forte mobilisation de la plus large majorité possible des pays islamiques, participant le lendemain soir même, au 14ème sommet de l’OCI. Dans un mode de trois-en-un sommets, la diplomatie saoudienne s’adonnait à fond pour défendre sa cause et dénoncer son meilleur ennemi de longue date, l’Iran.
"Ne pas égratigner l'autre"
Dans cette entreprise, la Tunisie n’avait pas la tâche facile. Président en exercice du sommet arabe tout récemment tenu à Tunis, il y a deux mois à peine, le 31 mars dernier, Béji Caïd Essebsi devait d’abord affirmer la voix de la Tunisie, bientôt membre du Conseil de Sécurité de l'ONU, mais aussi faire garder le cap au camp arabe et surtout préserver l’unité de ce groupe, mais aussi de la communauté des pays islamiques. Les pommes de discorde ne manquent pas. Si la réunion arabe extraordinaire s’est focalisée sur les agressions iraniennes contre l’Arabie saoudite, à l’exclusion des autres drames qui ensanglantent la région, le sommet islamique offre un cadre plus élargi. Mais, en dehors des discours classiques, bien marbrés dans la langue de bois, point de voix franche et sincère ne sera audible au somptueux palais Essafa, sur les hauteurs de la Mecque.
Les convenances protocolaires, le soin de ne pas égratigner l’autre de la moindre vérité, chacun craignant le déballage de ses propres frasques, et le souci d’une démarche « main dans la main pour aller vers le futur », thème du sommet, n’auguraient d’aucune surprise à attendre de ces ballets diplomatiques.
D'abord, les précurseurs
Le président Béji Caïd Essebsi ne pouvait s’y résigner. Il tenait à dire à ses pairs, évidemment en termes choisis mais suffisamment clairs, ce qu’il est important pour eux d’écouter. En vieux de routier de la diplomatie, il sait que pour la déclaration finale du sommet islamique tout se joue lors des réunions préparatoires. C’est pour cela qu’il a chargé son ministre des Affaires étrangères, Khemaies Jhinoui d’y prendre part à la tête d’une délégation de hauts fonctionnaires, tous bien imprégnés des dossiers arabes et islamiques, ayant déjà servi comme ambassadeurs de Tunisie dans la région, auquel s’est utilement joint l’ambassadeur de Tunisie à Ryad, Lotfi Ben Gaïed. Tout au long de la semaine écoulée, l’équipe était à pied d’œuvre sans relâche. Terrain déblayé et contacts pris, il ne restait plus à BCE que de monter au créneau.
Dire aux arabes et aux islamiques les vérités qu’ils ne voudront pas écouter
La Tunisie peut-elle rester insensible à ce qui se passe en Libye livrée à une guerre civile, attisée par procuration ; en Syrie, quasi occupée par des uns et des autres ; en Palestine vouée à une simple et pure liquidation, avec annexion de ces territoires ; au Yémen où croule la population sous les bombes de la coalition arabe et le feu nourri des houthis armés par l’Iran ? Et tant d’autres brasiers ?
Pour en avoir payé le lourd tribut, la Tunisie peut-elle taire les affres du terrorisme, ne pas dénoncer ses commanditaires et omettre de souligner toutes ses conséquences ?
Et ne pas rappeler les impératifs de solidarité agissante et, sur un autre registre, l’attachement au multilatéralisme, aujourd’hui vacillant ?
Le président Béji Caïd Essebsi était décidé à livrer son message. Le peaufinant sans cesse dans l’avion qui le conduisait jeudi à Djeddah, pour rallier la Mecque, il en soupesait chaque mot, pour trouver la bonne formule. Même s’il devait évoquer une à une les grandes questions, il s’est essayé à trouver le dénominateur commun des maux dévastateurs, où chacun des responsables se reconnaîtra.
Suivez mon regard
Comme à son accoutumée, il commencera par une salve d’honneur pour annoncer la couleur : « Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde islamique ne traduit pas ce dont la nation possède en moyens ! » dira-t-il en mode suivez mon regard. Et d’embrayer rapidement : « Et ce à quoi aspirent nos peuples ». La mise en garde est à peine voilée, rien que les mouvements en Algérie ou au Soudan et la rue palestinienne l’affirment fortement. Tour-à-tour, Caïd Essebsi passera en revue le triste bilan qui se déroule sous nos yeux dans l’indifférence des décisionnaires arabes et islamiques, en Libye, Syrie, Palestine et au Yémen, avant de rappeler les ravages dévastateurs du terrorisme.
A bon entendeur...
Décor planté, le président Caïd Essebsi, passe au message direct : « Autant nous comprenons des divergences d’orientations et des croisements d’intérêts, autant nous considérons que tout cela ne justifie en rien aucune forme que ce soit d’ingérence dans les affaires intérieures des pays, ou tout comportement de nature à saper la stabilité de la région, l’augmentation du niveau de tension et la mise en danger de la paix et de la sécurité internationales. » Tout est dit. A bon entendeur… Comme s’ils ont une tendance maso, les plus impliqués dans la fomentation de tous les maux de la nation islamique, étaient les plus fervents à applaudir les propos de BCE, puis d’aller le saluer vivement. Il faut dire, les autres aussi. Sous les lambris dorés de cette immense salle royale du Palais d’Essafa, voir ce plébiscite remporté par la Tunisie et cet hommage à sa diplomatie, est motif de grande fierté pour tout Tunisien.
Pourquoi le Momentum a-t-il si tardé?
Mais, pour revenir à la situation intérieure dans le pays, qu’attend Béji Caïd Essebsi pour s’adresser aux Tunisiens, avant qu’il n’en soit plus trop tard, en mode rassembleur, face à l’aventure menaçante ? Son entourage laisse entendre qu’il y résolu, reste à décider du momentum. Pourquoi a-t-il si tardé?
Taoufik Habaieb
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