News - 16.07.2010

El Hadhra … absente

D’habitude, le micro des télévisions a de la difficulté à recruter des festivaliers pour partager avec les téléspectateurs leur avis à la sortie des spectacles de Carthage. Hier soir, pourtant, les volontaires se pressaient pour exprimer tout le mal qu’ils ont pensé du spectacle d’El Hadhra 2010 qu’ils étaient venus, si nombreux, applaudir. Un homme qui s’était avancé pour dire qu’il a adoré a même failli être lynché et la jeune présentatrice a rapidement fui la foule qui ne cessait de gronder autour d’elle. Retour sur une soirée qui n’a pas tenu ses promesses …

L’ambiance était familiale et festive ce soir à Carthage. La réputation d’El Hadhra et de son créateur Faddhel El Jaziri n’est plus à faire et la tradition soufi a toujours rassemblé un public aux degrés de croyances diverses, à la recherche d’une forme de spiritualité universelle venue de la nuit des temps. La scène était immense, reléguant les chaises aux premières rangées des gradins et promettant un spectacle grandiose avec près de 200 protagonistes entre chanteurs, danseurs, musiciens et figurants.
Les premières notes sont rapidement couvertes par les you you des spectatrices venues chanter les louanges de leurs saints préférés et l’amphithéâtre, au grand complet, est traversé par cette vibration des sens que réveillent en chacun des nous les chants nostalgiques soufis qui s’élèvent, purs, simplement portés par les voix mélancoliques de leurs interprètes.

Quand le mélange des genres atteint ses limites

Mais l’on a du mal à reconnaître les airs qui ont fait le succès des sessions précédentes d’El Hadhra non seulement parce que leur rythme a été repensé mais aussi parce qu’ils sont accompagnés d’instruments insolites venus, allez disons-le, parasiter les repères rythmiques habituels (guitare électrique, saxophone, violoncelle, etc.). Le public est conciliant et attend de vibrer aux sons de cette Hadhra 2010 car après tout pourquoi pas ? S’il y a quelqu’un qui est bien placé pour revisiter le patrimoine traditionnel soufi et y introduire de nouvelles musicalités venues d’ailleurs, c’est bien Fadhel Jaziri. N’empêche, l’exercice est périlleux ! Et c’est comme si on regardait des derviches tourneurs évoluer sur des sons techno ou des chants gospel sur des rythmes jazzy. Le public n’a pas accroché. Le mélange des genres a atteint ses limites. Les bendirs auront beau se chauffer et se réchauffer, l’assistance demeurait froide et insensible. Le son électrique des guitares couvrait, celui plus subtil, des instruments de musique traditionnels tunisiens et n’arrivait pas à créer une harmonie avec eux.

On attendait les beaux mouvements d’ensemble des danseurs d’El Hadhra. Ces derniers sont restés bien immobiles ce soir-là sautillant parfois sur place puis partant chacun de leur côté pour des évolutions individuelles. De l’autre côté, des danseuses aux tenues bigarrées, d’inspiration asiatique, dansaient sur pointes, chacune dans son monde. Des chanteuses, dont la présence scénique était assez faible, s’avançaient parfois pour chanter sans parvenir à retrouver cette communion avec le public si caractéristique des spectacles soufi. Le public, si patient, se mit carrément à siffler lorsqu’une chanteuse au look Cour de Versailles du 18ème siècle, se mit à entonner des airs lyriques. Les gradins se vident, nous perdons rapidement nos voisins de droite puis de gauche alors qu’un jeune homme demandait à son ami si le spectacle allait bientôt commencer.

Même la mariée sur sa jahfa, qui avait revêtu une tenue à la Cléopâtre laissa le public insensible. La fin du spectacle sauva quand même la soirée avec Boussaâdia qui se débattait enchaîné et un retour à des rythmes plus purs. Pour leur salut final, les artistes de la Hadhra 2010 se sont inclinés devant des gradins à moitié vides. Par respect pour eux et leurs efforts, les spectateurs ont applaudi, presque malgré eux, déçus, avec le sentiment d’avoir été trompés sur le type de spectacle annoncé. En effet, cette expérience musicale est une très bonne initiative en elle-même mais le public qui a rempli Carthage ce soir-là n’était pas le bon. Il est venu retrouver le chant traditionnel soufi qu’il a tant aimé dans les Hadhra précédentes et ne s’attendait pas à le voir ainsi défiguré. Peut-être un autre titre que celui d’El Hadhra ou une indication que le public est convié à un autre univers aurait épargné aux spectateurs et aux artistes la frustration de cette soirée qui n’a pas tenu ses promesses.

Anissa BEN HASSINE