Une lecture de l’ouvrage de Hamma: "L'individu et le collectif dans la liberté et l'égalité"
Je pensais lire une réflexion du Che, j’ai découvert un Gramsci national.
Le dernier essai de Hamma Hammami "L'individu et le collectif dans la liberté et l'égalité", édition Parti des Travailleurs, met en lumière en effet son côté intellectuel organique, souvent méconnu.
L’ouvrage est un recueil de textes et d’articles, pour l’essentiel, déjà publiés dans la presse nationale. L’auteur cherche, dans une période pré-électorale et donc risquée, à convaincre avec brio et méthode ses lecteurs et son public de ses convictions profondes sur des thèmes sociétaux, qui parfois dérangent car ils touchent à des «tabous»: «je préfère défendre les valeurs qui font progresser la société même si cela pourrait me coûter électoralement plutôt que de m’aligner pour des fins clientélistes sur une pensée dominante qui soit hostile au progrès.» écrit-il avant d’ajouter, «Mes camarades et moi, nous ne cherchons pas le pouvoir pour le pouvoir; nous œuvrons pour changer et faire progresser la société.» «(…) Le pouvoir et le prestige lié aux Hautes fonctions ne nous intéressent pas en soi si notre légitimité n’est pas tirée du peuple. Nous nous considérons comme étant aux services du peuple et de la lutte contre la pauvreté et les inégalités de tous genres.» a-t-il précisé.
Le contexte social dicterait les comportements des individus
Dans sa démarche lors des chapitres par exemple sur «l’homo et la transsexualité» (chapitre 6) ou encore celui sur «La femme, la morale, l’amour, le sexe et la famille» (chapitre 11), sans oublier celui sur «La peine capitale» (chapitre 15), tout comme Emile Durkheim ou encore Pierre Bourdieu, Hamma accorde une importance capitale au contexte social car il renvoie, d’après lui, aux structures sociales (groupes sociaux, familles, etc.), au milieu social (origine sociale par exemple) dans lequel se situent les individus. Ainsi, les comportements des individus sont alors le produit, le résultat de mécanismes sociaux qui les dépassent.
De la nécessité de la sécularisation des sociétés arabo-musulmanes
La sécularisation de la société est un autre thème cher à Hamma; sa démarche n’est pas sans rappeler celle de l’illustre philosophe John Locke, père des droits de l’Homme et du principe de la dissociation du politique du religieux: « La sécularisation de la société, écrit-il, est le seul moyen qui puisse garantir au musulman et à la musulmane l’équilibre nécessaire, recherché, car elle permet la séparation entre la foi et la "Chariâ", entre ce qui relève de la religion/la foi/ la croyance, imprégnant l’esprit de manière absolue, et, entre ce qui relève du sociétal, la politique, la vie courante, qui sans cesse évoluent en fonction des intérêts antagonistes des acteurs, qui sont amenés à prendre très souvent des positions, des postures, contradictoires sur le même sujet.»
Au même temps Hamma réfute les «laïcares» qui sont alignés, au nom d’une appréciation erronée de «l’universalisme», aux forces impérialistes occidentales: «Evidement, il existe une frange d’individus qui est façonnée par l’occident impérialiste au point de l’acculturation et le dénigrement de leurs propres cultures au nom de la modernité, du progrès et de l’universalisme » précise-t-il.
Ainsi, monsieur Hammami est autant attaché à la préservation de notre civilisation et culture arabo-musulmane qu’à sa sécularisation. Aussi, la séparation entre la gestion de la cité et la religion est un impératif préalable à toute conquête de la liberté.
L’égalité dans l’héritage
Sur les pas de Taher Al-Haddad, nous trouvons dans l’essai de monsieur Hammami un exceptionnel plaidoyer en faveur de l’égalité dans l’héritage entre les deux sexes. Son exposé et son argumentaire ne laissent place à aucune équivoque: «Il est temps d’abroger toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes; la loi doit désormais assurer aux femmes l’égalité dans l’héritage avec le sexe masculin. Il convient de rompre définitivement avec les anciennes pratiques qui sont profondément injustes et rétrogrades.» insiste-t-il.
A l’instar des philosophes des Lumières, Hamma est contre l’idée d’un absolu divin en acte. Il entend revenir à l’expérience humaine et à sa relativité. Il refuse avant tout l’esprit de système et l’apologie dogmatique de l’œuvre divine.
Pour conclure, l’Essai de Hamma est aussi une autobiographie qui nous permet de mieux connaître l’homme et ses souffrances pendant ses années de lutte. Il nous offre surtout un plaidoyer en faveur des valeurs et des causes qu’il défend depuis près de 50 ans et qui continuent à agiter notre société, particulièrement conservatrice. Il a finalement le mérite de rappeler la phase sombre de l’exécution de la peine de mort et de la "justice de classe" dans les années soixante-dix et quatre-vingts.
Ezzeddine Ben Hamida
Docteur en Sciences économiques,
Professeur de Sciences économiques et sociales