Naoufel Ben Abdallah
La Tunisie mathématique en deuil: Naoufel Ben Abdallah n’est plus. La nouvelle est tombée mardi dernier comme un coup de tonnerre. Naoufel Ben Abdallah, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, Professeur à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, l’un des mathématiciens appliqués les plus lumineux et les plus originaux de sa génération, est décédé lundi 6 juillet des suites d’un accident de la circulation, à l’âge de 42 ans.
Toute la communauté mathématique française était réunie jeudi 8 juillet à l’Institut Mathématique de Toulouse pour rendre un hommage unanime à sa mémoire, en présence de Mr le Consul Général de Tunisie à Toulouse et de certains des collègues tunisiens avec lesquels Naoufel avait travaillé. Au-delà du mathématicien de talent, dont tout le monde s’accorde à souligner le caractère inventif, pétillant, prolifique, c’est l’homme de science et de culture ouvert sur le monde et ses enjeux que ses collègues sont venus honorer.
S’il fallait un seul mot pour résumer Naoufel – mais comment résumer d’un mot une personnalité si riche ? - ce serait l’élégance. Elégance de ses mathématiques d’abord : épurées, inspirées, profondes, essentielles. Naoufel allait au fond des choses, il comprenait très vite l’essentiel, mais n’en travaillait pas moins – beaucoup - ensuite pour aller encore plus loin, jusqu’à épuiser le sujet. Elégance de sa manière d’être ensuite, et de sa relation aux autres. Il avait l’humilité des grands esprits, jamais arrogant, insoucieux de sa supériorité intellectuelle. Celle-ci ne comptait pas à ses yeux, celles du cœur et de la l’esprit – qui lui étaient également consubstantielles – étaient sans doute beaucoup plus importantes. Naoufel était toujours proche des plus «faibles », des étudiants en particulier, envers lesquels il n’était jamais avare d’un coup de main pour éclairer une situation, d’un coup de pouce pour débloquer une démonstration, d’un mot d’esprit pour dérider les visages et redonner l’espoir.
Naoufel n’a certes pas exercé en Tunisie, qu’il a quittée juste après le bac pour effectuer sa prépa en France. Il intègre ensuite l’X, dont il reçoit le diplôme en 1990, rapidement suivi d’un DEA puis d’une thèse soutenue en 1994 et d’une habilitation en 1998. A l’âge de trente ans, il devient l’un des plus jeunes professeurs jamais recrutés par l’Université de Toulouse, juste reconnaissance de son talent exceptionnel. Mais la Tunisie, où il repose depuis dimanche, ne l’a jamais quitté, elle est restée chère à son cœur et présente dans toutes ses pensées. Dès 1995, alors qu’il était encore jeune chargé de recherches au CNRS, il entame une longue et fructueuse collaboration avec les mathématiciens appliqués du LAMSIN-ENIT, qui se traduit par des cours assurés en Master, la soutenance de nombreux mémoires, de thèses, et d’une habilitation. Si la Tunisie est aujourd’hui présente par ses publications dans le domaine des équations cinétiques, modélisant la collision des atomes, on le doit à Naoufel et à ses collaborations tunisiennes. En 2007, Naoufel a engagé et représenté son Université au sein du consortium euro-maghrébin Imageen, financé par l’Union Européenne, et qui a permis pendant ses trois années d’existence plus de 200 mobilités de longue durée en licence, master et doctorat au profit des étudiants des 14 universités – dont trois tunisiennes - qui le constituaient.
Naoufel laisse, au terme d’une trop courte mais combien intense et prolifique carrière, un héritage mathématique considérable. A ses parents prostrés par la perte d’un fils prodige, à son épouse et à ses trois enfants qui pleurent un mari et un père aimant et aimé trop tôt disparu, dire que Naoufel ne nous quittera pas, qu’il vivra dans nos cœurs comme il vit dans les leurs, n’est sans doute qu’une consolation dérisoire au regard de l’immensité de leur douleur.
Pourtant, l’héritage humain qu’il leur laisse est le plus beau cadeau qu’un homme puisse offrir à sa famille, et d’abord à ses enfants. Il sera en effet présent à leurs côtés pour les aider à se construire, grâce au dévoilement progressif – au fur et à mesure de l’élargissement de leur compréhension des choses - de la richesse de sa personnalité et de la force de son exemplarité. De là haut, il les regardera grandir avec la satisfaction du devoir accompli mêlée à la tristesse de l’absence.
Naoufel Ben Abdallah avait intitulé « Quatrain » son programme de recherche ANR sur la physique quantique. Un acronyme en forme de clin d’œil aux Robaiyyat de Omar Khayyam, le mathématicien et l’astronome, le philosophe et le poète. Laissons donc le dernier mot à celui-ci, que Naoufel est parti retrouver :
Epervier fou, laissant le séjour du mystère
Mon âme avait voulu monter encor plus haut
Je n’ai point ici-bas trouvé ce qu’il lui faut
Et rentre d’où je viens, mal content de la terre
Mohamed Jaoua
(12 Juillet 2010)
Professeur à l’Université Nice Sophia Antipolis