Exclusif - Le protocole du Sommet de Tunis : Un casse-tête arabe, maîtrisé et réussi (Photos)
Comme du papier à musique ! La moindre entorse entache tout le cérémonial. Pourtant la complexité d’un sommet au niveau de chefs d’Etat, avec 21 Etats-membres et les dirigeants de cinq grandes organisations internationale et régionales, en quelques heures effectives seulement prête facilement à des « tolérances » et beaucoup d’imprévus. Rien de cela au Sommet de Tunis : le protocole présidentiel a assuré ! Un véritable cas d’école. Comment ça a fonctionné ? Révélations.
«Rien qu’à imaginer 26 cortèges officiels, séparément, à quelques minutes seulement d’intervalle, convergeant en toute fluidité et ordre, de différents lieux de résidence vers le Palais des Congrès, et assurer l’accueil des illustres hôtes par le Président de la République, en 30 minutes : cela suppose une parfaite synchronisation, sans faille ». Ministre-Directeur du cabinet présidentiel, Selma Elloumi Rekik, qui a coiffé l’ensemble de l’organisation, en est bien fière. « Pas moins de douze commissions spécialisées avait été constituées et ont dû travailler d’arrache-pied en toute coordination, souligne-t-elle à Leaders. Des réunions quotidiennes, parfois trois à quatre fois par jour, des plannings précis et des check-lists détaillés étaient nécessaires. Chaque semaine, le Président tenait une réunion de briefing, veillant personnellement à chaque détail. Pleinement engagés, les services de la Présidence de la République, cabinet, protocole, sécurité, communication et logistique, s’y sont investis. En dépit du nombre réduit des effectifs et des moyens alloués. »
Depuis des mois déjà, l’ambassadeur Mondher Mami, conseiller auprès du Président de la République, chargé des Services du protocole présidentiel était en mode sommet. En tout et pour tout, l’ensemble de son équipe ne compte qu’une douzaine de personnes, toutes, il faut le dire chevronnées. Il saura capitaliser sur leur enthousiasme et en faire le noyau dur du dispositif qu’il mettra en place. Akram Laatar, diplomate de carrière, attaché de cabinet à la Présidence et Mounir Badri, depuis longtemps aux Services du Protocole, seront désignés en pivots, à des points-clefs. Aussi, a-t-il tenu à associer aux équipes de jeunes secrétaires des Affaires étrangères, parmi les nouvelles recrues à qui il avait enseigné le protocole à l’Institut diplomatique. Ils seront très motivés, fiers de s’initier concrètement au métier, à la faveur d’une manifestation aussi importante que le sommet arabe.
Une valeur ajoutée tunisienne
Un sommet est du ressort du Président de la République et son organisation relève d’abord des services de la Présidence, en s’appuyant sur les différentes parties concernées. D’emblée la mise en place d’un comité d’organisation, présidée par Mme Elloumi Rekik, avec notamment une unité logistique, dirigée par l’ambassadeur Hafedh Bejjar, a été essentielle pour couvrir l’ensemble du processus. « Le sommet au niveau des chefs de l’Etat qui s’est déroulé dimanche 31 mars dernier, précise l’ambassadeur Mami, n’est que la séquence finale d’une série de réunions qui avaient débuté au début de la semaine écoulée, à l’échelle des hauts fonctionnaires, puis, délégués permanents auprès de la Ligue arabe, le conseil économique et social, et les ministres des Affaires étrangères. »
« Le travail des services du protocole avait en fait commencé longtemps à l’avance, avec le lancement des invitations, la réception des confirmations, le choix des lieux de réunions et d’hébergement, la mise au point des différents dispositifs. Dès le départ, le Président de la République avait tenu à ce que tout soit dans l’excellence. » Le contrat était clair pour Mondher Mami. Lui qui a participé à tant de sommets, de différents formats, en Tunisie et à l’étranger depuis près de 25 ans, il devait réussir la synthèse de tout ce qu’il y avait de mieux et y ajouter une valeur ajoutée tunisienne.
Toute une mécanique intelligente, innovante
La chorégraphie des arrivées au Palais des Congrès des 21 chefs de délégation et cinq grands invités était chronométrée à la seconde près : accueil, présentation au président de la République, gestion des équipes médias, installation dans le salon VIP, photo de groupe, puis introduction dans la grande salle. Sans la moindre discontinuité, ni télescopage.
Parmi les innovations, les salles de rencontres bilatérales entre chefs de délégation, aménagées pour la première fois en Tunisie, et dotées chacune de son dispositif approprié. Il fallait en effet gérer les rendez-vous, préparer les drapeaux, accueillir et installer les délégations, veiller au catering, introduire les équipes médias des deux pays... Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Son crédo était de tout préparer, d’envisager toutes les hypothèses, de prévoir l’imprévisible et de garantir une parfaite synchronisation. L’ensemble en étroite coordination des services de sécurité. Il faut dire que la direction générale de la Sécurité du Chef de l’Etat et des Personnalités officielles, commandée par Raouf Mradaa, conseiller principal auprès du Président de la République et directeur général, fera montre d’un grand savoir-faire, réussissant un véritable exploit.
Comment l’ambassadeur Mondher Mami s’était-il pris pour réussir le protocole ? Récit.
Dispositif
A chaque site, son équipe de protocole, a prévu l’ambassadeur Mami : le pavillon présidentiel à l’aéroport, chaque lieu d’hébergement (les quatre résidences présidentielles à Gammarth, les hôtels...), le Palais des Congrès et l’hôtel Laico où devait se tenir le déjeuner officiel du dimanche 31. A chaque délégation, un chargé de liaison en 24H. Reliés en boucle télécom spéciale, en plus de leurs téléphones professionnels et personnels, tous les chargés du protocole étaient en liaison directe entre eux et avec l'unité permanente activée en mode salle d'opérations.
Précurseurs et autorisations
Le premier déclenchement opérationnel a été effectué lors d’une réunion tenue le 28 février à Carthage avec les précurseurs dépêchés par les pays participants. Chaque délégation était composée des chefs de protocole, de sécurité et de communication. L’expérience des sommets aidant, réponse avait été préparée à toutes les questions pouvant être posées. Présentation générale, visite des sites et réunions bilatérales avaient permis une bonne mise au point. De retour à leurs capitales, les précurseurs devaient tout finaliser et confirmer à Carthage. Aussi, ils communiquent les demandes d’audiences ainsi que, si nécessaire, les restrictions alimentaires pour les repas officiels. Cette étape était cruciale.
Par ailleurs des autorisations sont nécessaires pour le survol du territoire, l’atterrissage et le décollage, les fréquences de transmission, l’introduction d’armes de poing et munitions (escorte), etc. Les demandes y afférentes sont adressées par les ambassades au ministère des Affaires étrangères qui les traitent avec les parties concernées et délivrent les autorisations requises.
Hébergements
Les hébergements constituent un aspect important. Sous la houlette de Mme Olfa Dhahak, conseillère à la Présidence de la République chargée de la coordination et du suivi, la commission y dédiée a veillé au grain, tant dans les résidences présidentielles que les hôtels. Toutes les demandes (regroupement, rapprochement etc.) ont été satisfaites.
Préséance
L’ordre protocolaire est lui aussi important. Selon les règles établies par la Ligue des Etats arabes, le seating lors des réunions respecte l’ordre alphabétique, autour de la grande table en fer à cheval. En premier rang se trouve le chef de la délégation alors que quatre fauteuils sont réservés à membres de sa délégation en format N+4.
Les dirigeants des cinq grandes organisations (ONU, UE, AU, OCI et Parlement arabe) sont installés à la droit du podium de présidence, par ordre de prise de parole, un pupitre étant tout près. Derrière eux prennent place les secrétaires généraux adjoints de la Ligue arabe et certains hauts fonctionnaires de l’organisation.
Dans un espace légèrement surélevé, en dehors Les chefs des institutions relevant de la Ligue sont placés avec les invités du sommet : invités étrangers, chefs de mission diplomatique, membres du gouvernement, conseillers du Président et Président de l’ARP.
Pour la photo de groupe et le déjeuner officiel, on applique les normes usuellement pratiquées dans les sommets. C’est ainsi qu’on commence par les têtes couronnées, puis les autres chefs d’Etat en fonction de l’ancienneté dans l’exercice de la fonction, puis les chefs de délégation selon le niveau de représentation, tout en tenant cependant des impératifs de compatibilité entre voisins, s’il y a lieu.
Déjeuner officiel
Mise en place générale, seating, nappage, vaisselle, menu, ordonnancement du service, gestions des arrivées et installation : chaque élément est significatif. Une grande table d’honneur, circulaire était dressée, réservée aux chefs de délégation. Puis des tables circulaires étaient destinées aux membres des délégations et aux invités. En troisième ligne, celles pour les suites techniques des chefs de délégation (aides de camp, protocole, sécurité...). L’ordonnancement obéit à de subtils plans de tables, sauf que, au moindre changement, tout doit être revu. Un chef de délégation devant quitter plutôt que prévu, ou s’excusant de ne pouvoir prendre part au déjeuner, les plans de tables doivent être changés de suite. Il fallait alors avoir déjà préparé différentes options pour une application immédiate appropriée.
Cadeaux
Chaque chef de délégation trouve sur son desk un porte-document personnalisé en cuir avec bloc-notes et stylo ainsi qu’un cartable pour les documents de travail. Fournisseur de la maroquinerie : une marque tunisienne de renommée. Des cadeaux présidentiels ont été prévus dans les suites d’hébergement : produits d’artisanat, livres, etc. soigneusement choisis selon les goûts de leurs récipiendaires.
Arrivées - départs
Ce sont des séquences marquantes. Les hymnes nationaux, communiqués par les pays participants sont communiqués au ministère de la Défense nationale (Régiment d’honneur, fanfare). Des lignes protocolaires d’accueils sont mises en place. Le protocole tunisien notifie à ses homologues les plages horaires durant lesquelles le président de la République sera présent pour accueillir les chefs d’Etat, afin que les arrivées y soient calées. Samedi 30 mars, la première plage commençait à 10H et la seconde à 15h. Le président Béji Caïd Essebsi, tenant à accueillir lui-même ses invités, dans un marathon remarquable, n’a pas hésité à rester encore plus longtemps, en raison de certains retards de dernière minute.
Au départ, les chefs d’Etat et de délégation étaient salués, lorsque le Président Caïd Essebsi était dans l’impossibilité de le faire, par Habib Essid, en tête d’une ligne comprenant notamment le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, le gouverneur de Tunis et la Mairesse de la capitale.
Et ça recommence !
Le dernier hôte parti, l’ambassadeur Mondher Mami et son équipe n’ont point de répit : débriefer, et s’occuper, en plus du protocole quotidien, des nouvelles cérémonies qui vont se suivre tout au long de ce mois d’avril. Il s’agit successivement de la commémoration ce samedi 6 avril à Monastir du 19ème anniversaire du décès du Président Habib Bourguiba, puis le mardi 9 avril à Sidjoumi de la fête des martyrs et la célébration, le 18 avril de la fête des forces de sécurité intérieure.
Taoufik Habaieb
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