Faouzia Charfi - Le professeur de physique, la pression atmosphérique et le verset coranique : L’islamisation de la science à l’œuvre en Tunisie
« Un jour, un professeur de physique s’interrogea sur la meilleure manière de transmettre à ses élèves du collège pilote de Kairouan, une propriété physique de la pression atmosphérique, la diminution de sa valeur en fonction de l’altitude. Il eut une première idée : rappeler la fameuse expérience conçue par le mathématicien, physicien, philosophe Blaise Pascal (1623-1662).
Pascal s’est interrogé sur le concept de vide, affirmant contrairement à Aristote que le vide n’est pas une chose impossible dans la nature, que le vide n’est pas cette chose horrible que certains soutiennent ! Dans le cadre de cette réflexion, il s’intéresse à la pesanteur de l’air et pour avancer dans cette étude, il conçoit une expérience devenue célèbre. Elle fut réalisée en 1648 par son beau-frère. Elle consistait à mesurer la variation de la pression atmosphérique avec l’altitude. Le dispositif expérimental servant à la mesure fut installé dans un premier temps dans la ville de Clermont-Ferrand (moins de 400 mètres d’altitude), puis dans un deuxième temps au sommet du Puy-de-Dôme, à 1400 m d’altitude. Le résultat conforta l’hypothèse de Pascal : la pression diminue lorsque l’altitude augmente. Pascal ne fut pas oublié pour cette contribution aux avancées de la physique : l’unité de mesure de la pression dans le système international est le Pascal.
Mais cette référence à la fameuse expérience de Pascal ne fut pas retenue par le professeur. Elle lui a parue trop banale. Et de plus, elle n’enrichissait pas suffisamment la culture générale des enfants. Il fallait trouver une référence qui les élève, qui les « enracine » dans leur identité arabe et islamique pour être en conformité avec l’article 39 de la Constitution. A cet effet, il introduisit dans l’examen de sciences physiques, un verset coranique, le verset 125 de la sourate 6. »
En tant que professeur de physique, il m’était difficile de ne pas réagir à cette dérive de l’enseignement à laquelle nous assistons en ce moment. Il m’était difficile de ne pas faire part de la terrible confusion de deux référentiels dans un devoir de physique : le référentiel scientifique et le référentiel religieux. Une confusion qui met définitivement fin à l’autonomie de la science et à la rationalité scientifique. Le professeur de physique qui a mêlé un verset coranique dans l’examen de sciences physiques a été applaudi, honoré par ses élèves. Cela s’est passé au sein du collège pilote de Kairouan, hier, 12 mars 2019. Nous sommes bien loin de l’objectif défini dans les programmes officiels de l’enseignement secondaire en 1959, par le premier ministre de l’éducation de la Tunisie indépendante, Mahmoud Messadi : donner aux élèves une formation humaniste et exploiter au mieux la valeur éducative des sciences qui réside, non pas dans l’acquisition des connaissances plus ou moins encyclopédiques, mais dans la formation de l’esprit. Faut-il rappeler les débuts de l’école publique il y a soixante ans, à ceux qui nous gouvernent aujourd’hui ? Faut-il leur rappeler que ce qui a constitué la force de notre pays est l’éducation de ses enfants, priorité nationale comme la santé, il y a plus d’un demi-siècle ? Doit-on assister aujourd’hui en silence à la déconstruction de notre cher pays ?
Nous sommes nombreux à savoir que l’éducation est le grand enjeu des fondamentalistes, quels qu’ils soient. L’exemple des évangélistes créationnistes américains ou australiens comme celui des obscurantistes musulmans ou hindous est édifiant. Leur cible, ce sont nos enfants à qui nous devons donner les outils pour affronter les difficiles problèmes du monde actuel. Nous savons tous combien les enfants sont vulnérables et, à ce titre, comment les idéologues de tout bord exploitent leur fragilité pour les modeler et en faire de futures recrues. Tous les projets élaborés pour empêcher la radicalisation de la jeunesse tiennent compte de cette donnée essentielle et proposent des actions multiples dans le domaine de l’éducation.
Alors ne sombrons pas dans un silence complice, ne nous taisons pas.
Parents réveillez-vous, vos enfants ont besoin de votre parole.
Faouzia Charfi
13 Mars 2019