Opinions - 06.03.2019
Slaheddine Sellami : 2019 en Tunisie, l’année de tous les dangers
L’année 2019 sera une année difficile, mais elle sera surtout cruciale pour l’avenir de la Tunisie.
Il faut relever que le pays a fait des avancées importantes en matière de libertés publiques et individuelles ; même si quelques affaires semblent montrer que ces acquis sont encore fragiles.
Malheureusement, en parallèle de cela, le processus politique ainsi que l’économie sont en panne et la classe politique n’arrive pas à trouver les solutions aux problèmes quotidiens de la population.
La situation économique du pays et de plus en plus difficile. Les indicateurs n’ont jamais été aussi mauvais et inquiétants. Plusieurs raisons expliquent cet état critique. Tout d’abord, l’Etat survit grâce aux dons et aux emprunts, souvent mal utilisés. Par ailleurs, le pouvoir d’achat continu à se détériorer malgré les augmentations de salaires (rapidement rattrapés par l’inflation).
On nous promet tous les ans une amélioration pour l’année qui suivra… sans résultat aucun.
Sur le plan politique l’offre existe. Nous comptons aujourd’hui plus de deux cent partis. Et ce nombre croît encore aujourd’hui, à quelques mois des échéances électorales. Le paysage politique n’arrive pas à se stabiliser. C’est même le contraire qui se produit puisque nous assistons à un éparpillement extrême des forces politiques, phénomène aggravé par un système politique et un code électoral mal adaptés. Le risque d’entrainer une paralysie des institutions et de l’action gouvernementale est d’ailleurs grandissant.
L’alliance entre les deux partis arrivés constituant le duo gagnant lors des précédentes élections (que l’on a appelé « tawafek » ou compromis) a permis d’avoir une majorité confortable. Pour autant, cela n’a pas résolu les problèmes du pays. Et pour cause, le seul point commun de ces deux partis était le partage du pouvoir, dans son acception la plus primaire.
Concernant la justice transitionnelle, elle a été instrumentalisée par certains partis politiques, et c’est encore ici un échec total. On a ainsi perdu notre unique occasion de réconciliation nationale.
S’ajoute à tous les éléments précités le fait indiscutable que le peuple n’a plus aucune confiance dans ses élus. Tous les sondages montrent à ce titre que l’Assemblée Nationale et les partis arrivent en dernière position. Le « tourisme politique », l’absentéisme des députés aux séances et le discours des élus ont largement contribué à ce désamour entre le peuple et la politique.
La majorité des tunisiens n’arrivent pas à identifier l’Homme ou le parti en qui ils auront confiance. Ils attendent et espèrent que les politiciens mettront enfin l’avenir du pays comme seule et unique priorité.
Cette situation dramatique engendre un phénomène plus que prévisible : le désintérêt total des citoyens pour les prochaines élections. Le taux d’abstention risque d’augmenter et de dépasser largement celui constaté lors des dernières élections. Elle a aussi favorisé la montée en puissance des partis extrémistes et « antisystème » ; ceux-là mêmes qui promettent soit le retour vers le passé proche ou lointain, soit la rupture totale avec le présent (sans avoir un programme autre que celui de la rupture).
La nostalgie de certains leur fait penser qu’ils souhaiteraient le retour de la dictature. Mais doit-on accepter un retour à la case départ après avoir fait et subi toutes ces épreuves ? Il serait pour le moins affligeant d’avoir parcouru un tel chemin et d’arriver devant la source Démocratie sans pouvoir étancher sa soif.
La Tunisie a besoin d’un pouvoir fort, capable d’engager les réformes profondes dont le pays a besoin ; et non d’une dictature. Elle a besoin de vrais patriotes pour engager le pays vers le chemin de la démocratie et de la prospérité.
Il est aujourd’hui vital qu’avant les échéances électorales, le pays soit doté des institutions nécessaires à l’application de la démocratie. Il s’agit en particulier de la Cour Constitutionnelle qui doit nous prémunir de toute tentative de dérive vers un régime et des pratiques dictatoriaux. Elle doit être constituée d’Hommes de lois professionnels et convaincus du chemin à prendre pour une véritable démocratie.
Notons par ailleurs qu’aucune démocratie n’est viable face à la montée de la paupérisation d’une frange de plus en plus importante de la population, et face à l’absence d’équité dans le partage des richesses entre les individus et les régions.
Le peuple a besoin de réalisations et non de promesses. La lutte contre la corruption doit être une priorité pour laquelle nos gouvernants déploient une véritable stratégie et des actions concrètes. Nous n’avons que faire d’un simple slogan…
L’amélioration de la vie dans toutes les régions doit se faire en tenant compte des aspirations spécifiques des habitants de ces régions.
Aucune amélioration n’est envisageable avec la paralysie de l’action gouvernementale trop préoccupée par les marchandages politiques.
En dehors de toutes ces considérations il faut noter que les citoyens ne sont pas seulement créanciers de droits ; ils sont également débiteurs d’obligations.
Il est aujourd’hui nécessaire de revenir à la culture du travail. Il faut en effet d’abord produire de la richesse pour pouvoir la partager ensuite.
Seul un rapprochement entre les partis ayant des valeurs communes (même programme économique, même orientation sociale, même vision stratégique, etc.) sera salvateur. Ce projet alternatif, doit être offert aux futurs électeurs pour faciliter le choix et limiter les abstentions.
Ce rapprochement peut se faire sur les principes suivants:
- Le compromis basé sur les intérêts exclusifs des partis est grandement responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Gouverner doit se faire sur la base d’un programme exécuté par des personnes compétentes, honnêtes et patriotes.
- L’unité nationale ne peut être obtenue sans une justice indépendante, non partisane. Aucune réconciliation nationale n’est envisageable sans que toute la lumière soit faite sur les assassinats politiques et tout ce qui touche de près ou de loin à notre sécurité nationale.
- Le système politique et le mode de scrutin sont l’une des causes majeures de la paralysie de nos institutions (gouvernement et parlement). Il faut aujourd’hui envisager un changement par le passage au vote citoyen.
- La mise en place de la Cour Constitutionnelle doit se faire de préférence avant les élections ou dès la prochaine rentrée parlementaire.
- La lutte contre la corruption, le circuit parallèle, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale doit être inscrite comme la priorité du prochain gouvernement avec une stratégie claire et des actions concrètes.
- La discussion avec les partenaires sociaux ne doit pas se limiter aux augmentations de salaires. Elle doit englober aussi la maitrise de l’inflation, le surendettement et l’amélioration de la compétitivité de notre industrie, de notre agriculture et de nos entreprises.
Slaheddine Sellami