Tunisie 2019 : le temps long de l’inconduite
"Il n’y a point de déshonneur dans l'infortune, le déshonneur est dans l'inconduite ; un homme estimable peut être pauvre" (Shûdraka ; Le chariot d'enfant - VIIe s.)
Shûdraka est un des grands auteurs et poètes indiens, prolifiques, qui ont fait florès en l’an 200 après Jésus Christ et plus tard.
A son actif le "le chariot de terre cuite" figure parmi les classiques de la littérature sanskrite.
Il aurait selon toute vraisemblance vécu une moitié de siècle, dans son pays et se serait distingué dans le théâtre, la littérature, la poésie et la philosophie l
Il n’y a point de "déshonneur dans l’infortune" est une démonstration très parlante de la sagesse des hommes de la pensée et de l’écrit qui privilégient la richesse de l’esprit et son corollaire une conduite saine et honorable à celle de l’aspect matériel de la fortune.
Plus prés de nous et de notre temps, il est clair que la richesse de l’esprit est plus large que dans le passé, puisque elle conduit forcément à celle de la fortune matérielle, sachant que cette dernière est une des conséquences positives d’un esprit sain dans un corps sain.
L’esprit sain mène à la richesse matérielle alors qu’un esprit faible, tourmenté, déstructuré condamne son auteur à l’inconduite dévastatrice.
Il y va des ensembles humains, qu’ils soient villes, régions ou états, ou personnes individuelles, comme de leurs ensembles, états-nations, régions ou structures plus modestes.
Un état-nation mal organisé, pauvre, et d’une conduite discutable est la conséquence naturelle de la situation de ses membres, habitants actifs ou inactifs qui par la sommation de leurs comportements impriment la tendance haussière ou baissière de l’ensemble qui le compose.
Et vice versa, un état mal régulé, déstructuré, imprime une tendance baissière à la qualité de la conduite de ses composants humains.
C’est un peu la situation de notre pays depuis les événements du début de la présente décennie, marquée par une grande allégresse des premières semaines, suivie par la suite par une culbute vers les abysses d’un comportement à contrecourant de tout ce qu’on pouvait espérer.
Le citoyen a contrecourant de la citoyenneté
Depuis 2011, notre pays a peu coulé des jours heureux, laminé qu’il est par l’excès en tous genres de ses citoyens.
Tour à tour hautement enthousiaste, puis bruyamment contestataire, le citoyen tunisien crie ses sautes d’humeur à tout va, histoire de se faire connaitre et comprendre.
Il crie sa déception devant l’incroyable vaudeville qui se joue dans nos villes et nos rues de la capitale principalement.
Un vaudeville haut en cris et chuchotements, et fort de décibels de ceux qui pensent que seul le bruit est en mesure de se faire entendre, dans ces échanges cathodiques assenés avec force décibels, destructeurs de tympans.
Pauvres écrans cathodiques, les témoins de grande proximité et les passeurs obligés des discours bruyamment assénés à nos oreilles fatiguées et bientôt désabusées !
Sans s’en rendre compte, le citoyen s’introduit dans ce curieux débat d’idées et ajoute sa symphonie douloureuse à celles de ses prédécesseurs dans cette gigantesque foire d’empoigne souvent inaudible et toujours inutile, car à contrecourant du discours structuré et porteur d’idées dont a besoins son pays.
Une des grandes déceptions de ce monde politico-médiatique et économique, est bien son apparition bruyante, qui de plus ne se cache pas d’ajouter à la confusion régnante sa propre couche additionnelle, corrosive, critique à l’excès des autres et magnanime à l’égard des tendances amies qu’il veut bien discrètement aider.
Que devient la citoyenneté dans ce mélimélo, elle se perd dans cette foire d’empoigne des idées mal argumentées et porteuses de désespérance pour ceux citoyens dignes, qui voient la stature de leur pays sombrer dans cette foire d’empoigne des idées et des ambitions usées.
Et c’est toujours notre pays qui dégringole, dans le sillage de ce chaos qui perdure, une croissance qui plafonne au mieux à 1%, au pire avec un chiffre négatif.
Et toujours ce surplace politique des gouvernants et des opposants, les uns "très satisfaits" de leur présence au pouvoir, et les autres loin de partager ce sentiment, sachant que "s’ils y étaient ils feraient bien mieux en toutes circonstances".
"La décennie tunisienne"
Les événements de l’année 2011, ont commencé par notre pays avant de se propager un peu partout dans notre univers géographique le plus proche et de se disséminer ici ou là, ailleurs.
"La révolution de jasmin", la bien nommée, était supposée vivre, à l’infini, des moments heureux, joyeux pour son peuple euphorique.
Et patatras, il fallut au bout d’un quinquennat admettre que même le jasmin se fane et qu’il n’en reste plus, au bout d’un temps, qu’une vulgaire copie jaunie et débarrassée de son odeur.
Le temps béni de l’allégresse, et du discours prononcé en toute liberté, par le peuple et sa jeunesse déchainés, a fait le lit du retour de bâton du politique, et plus tard du politiquement correct.
Avec pour corollaire les divergences, l’arrogance, l’ignorance qui s’invitent et la violence qui s’infiltre.
Et, et ….retour à l’ancienne case des politiciens chevronnés, qui nous jouent le "remake" d’une pièce de théâtre ancienne, avec des protagonistes qui se dévorent, des antagonismes qui s’exacerbent et la violence qui se fait reine, massacrant et tuant des êtres humains innocents.
Et parmi ces derniers des personnalités politiques et des citoyens courageux et dignes, partis en laissant, pour toujours, la trace de leur contribution à l’éveil d’une nation longtemps maintenue muette, sous tutelle de la dictature et de la démagogie, alors qu’elle disposait d’une jeunesse vivante et de ses ainés qui ne demandaient qu’a se donner corps et âme à son éveil et à son décollage.
La "décennie tunisienne" que nous vivons n’est pas une catastrophe en soi, car avec le temps nos descendants la regarderont avec plus de compassion, plus d’indulgence et se souviendront qu’elle a mis les fondements de ce que sera un Etat pleinement démocratique, dans lequel règne la liberté, pas seulement de parole, mais aussi celle d’entreprendre, de développer des richesses, celle du culte et de toutes les autres formes du vivre ensemble.
Conclusion
Nous sommes toujours dans le temps de l’inconduite. Il dure au regard du temps présent. Mais qu’en est-il dans le temps long de l’histoire ? Pas grand-chose, sachant que cette période est un marche pied pour celle qui lui succèdera, que l’on souhaite plus stable, plus aboutie, plus heureuse.
Il en est ainsi, c’est l’Histoire qui nous l’apprend et le confirme, de tous les grands soulèvements humains, générateurs d’une immense espérance, quand ils apparaissent.
Ils sont généralement suivis, par un tassement, voire un recul d’une durée respectable, "le temps long de l’inconduite", qui déçoit les plus impatients, car ils n’y voient plus l’euphorie de la douce période précédente.
Mais peut on vivre dans la folie de l’allégresse, qui est parfois le marche pied de l’inconduite ?
Non, car la vie, ce long fleuve, pas toujours tranquille, est une succession de temps différents, longs et difficiles, courts et beaux, qui font la grandeur de l’humanité, et l’incomparable génie de son créateur.
Mourad Guellaty