Chedly Ben Ammar: Finances tunisiennes, affronter la tourmente avec bravoure
La décision du Conseil d’administration de la Banque Centrale de Tunisie d’augmenter de 100 points de base son taux directeur a fait l’effet d’un "coup de poing dans les gencives" aux dirigeants d’entreprises, toutes catégories confondues: banques, institutions financières, industrielles, commerciales, agricoles, ainsi qu’aux particuliers et aux syndicats, patronaux et ouvriers.
Depuis avril 2017, c’est la cinquième fois que la Banque Centrale de Tunisie décide de relever son taux directeur. En deux ans, ce dernier a été augmenté de 350 points de base, soit une augmentation de 3,5 en points de pourcentage, et cela sans parvenir à juguler l’inflation, ce fléau dévastateur qui devient de plus en plus menaçant pour notre pouvoir d’achat et pour l’économie du pays.
Comme nous l’avions déjà souligné dans notre article du 19 juin 2018, la décision de la Banque Centrale de Tunisie n’aura pas de résultats sur le court terme, car cette inflation est pour l’essentiel importée (envolée des prix internationaux de l’énergie et de la plupart des produits de base, remontée de l’inflation chez nos principaux partenaires, …) et aggravée par le déficit chronique de la balance commerciale, qui a atteint 19 milliards de dinars en 2018 contre 8 milliards de dinars en 2010, et par la dévaluation du dinar, un dinar que les autorités monétaires ont laissé imprudemment flotter depuis juin 2016. De plus, la B.C.T. et le gouvernement ne jouent pas la même partition, au risque de voir les mesures prises par l’une (la B.C.T.) neutralisées par l’autre (le gouvernement) qui, en raison de son manque de rigueur dans la politique budgétaire, de son incapacité à respecter les engagements qu’il a pris pour bloquer les salaires, à réduire le nombre de fonctionnaires – par ailleurs pléthorique – dans la fonction publique et à engager sans délai les réformes d’ajustement de fond nécessaires (réformes fiscales, réforme des caisses de Sécurité Sociale…), constitue de fait un bien piètre partenaire, déterminé à sacrifier la stabilité financière à la paix sociale.
Le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie avait-il un autre choix que de relever de manière substantielle son taux directeur? Non, car la Banque Centrale de Tunisie est soucieuse de s’assurer les bonnes grâces du Fonds Monétaire International et de ménager sa crédibilité auprès de lui, sous peine de voir ce dernier décider d’une remise en question de ses accords avec la Tunisie, rendant le recours à l’endettement extérieur difficile, voire impossible.
C’est pourquoi les entreprises ainsi que les ménages vont continuer à souffrir encore cette année du relèvement du tmm qui entrera en vigueur début mars 2019. L’augmentation du tmm va rendre le coût de l’investissement trop élevé et, par conséquent, pénaliser les entreprises endettées et décourager les investissements, seuls capables de faire de la croissance et de créer des emplois. Quant aux particuliers, endettés auprès des banques, des employeurs, des épiciers ou encore des marchands de toutes sortes, ils verront à leur grand désespoir le bénéfice des récentes augmentations de salaires purement et simplement annulé, ce qui aggravera encore davantage leurs difficultés à honorer leurs prochaines échéances.
A qui la faute? Assurément, au gouvernement d’abord qui, par son manque de fermeté et de rigueur, n’a pas su mener une politique budgétaire adéquate ni freiner les importations de biens non nécessaires qui ont non seulement détruit le tissu industriel tunisien, mais également aggravé le déficit commercial. Il n’a pas pu davantage engager les réformes nécessaires (fiscales et des caisses de Sécurité Sociale), ni mettre en place un programme de développement économique basé sur des investissements publics massifs, à même d’assurer au pays une croissance capable de créer des emplois. Il a tout autant échoué à instaurer la stabilité sociale et fiscale qui aurait pu encourager le privé à investir, ou à mettre à l’abri la Tunisie d’une mise au ban sur la liste noire européenne, ce qui ne manquera pas de rendre encore plus compliquée une situation économique et financière déjà plus qu’inquiétante.
La Banque Centrale de Tunisie, quant à elle, n’est pas en reste. Elle n’a pas su ou pu défendre notre dinar, qui a été dévalorisé de 42,3% vis-à-vis de l’euro depuis juillet 2016 et qui n’a pas fini sa dégringolade. La baisse de la valeur du dinar tunisien a eu pour conséquence d’aggraver la hausse du déficit courant ainsi que le Service de la dette. La B.C.T. n’a pas su également prendre les mesures nécessaires pour assainir le secteur bancaire, lequel va continuer à souffrir en 2019 en raison du manque de liquidités, du renchérissement du coût des ressources et de la récession de l’activité économique. L’inscription de la Tunisie sur la liste noire européenne ne manquera pas de compliquer encore la situation des banques tunisiennes, dont les perspectives pour 2019 s’annoncent négatives, d’après l’agence Fitch Ratings.
Les chiffres affichés sur le tableau de bord donnent froid dans le dos:
- Aggravation du taux d’endettement public, qui représente, à la fin de 2018, plus de 74 % du PIB.
- Le service de la dette en 2019 sera de l’ordre de 8,5 milliards de dinars, alors qu’il était de 6,7 milliards en 2018.
- L’incapacité de l’Etat à maîtriser les dépenses publiques, qui ont explosé ces dernières années pour atteindre quelques 30 milliards de dinars en 2018, contre 15 milliards de dinars en 2010.
L’Etat vit bien au-delà de ses moyens, et c’est peu de le dire… Et encore faut-il ajouter les points qui suivent:
- Les dépenses énergétiques ont été multipliées par plus de 4,5 entre 2010 et 2018. Aussi, les importations énergétiques ont-elles atteint les quelques 8 milliards de dinars en 2018, contre 2,8 milliards de dinars en 2010. Le déficit de la balance énergétique est ainsi passé de 3,5 milliards de dinars en 2010 à 7,9 milliards de dinars en 2018.
- Le déficit commercial a enregistré un record en 2018, pour se situer à près de 18% du PIB, alors qu’il était de 13,5% du PIB en 2010. Le déficit de la balance courante, quant à lui, enregistre un record, se situant à près de 11,2% du PIB – ce qui engendre un accroissement de l’endettement extérieur du pays- dont la principale composante, le déficit de la balance commerciale, a affecté durement les avoirs en devises.
- Les recettes générées par les exportations de l’industrie des phosphates se situent, en 2018, à 1,4 milliard de dinars, alors qu’elles étaient de l’ordre de 2,1 milliards de dinars en 2010. Cette baisse a également contribué à aggraver le déficit de la balance commerciale.
Cette politique économique a mené la Tunisie dans une situation très délicate, elle est en train d’appauvrir le Tunisien et de sinistrer le pays. Il appartient au gouvernement de remettre, sans délai, le pays au travail, d’engager les réformes d’ajustement de fond nécessaires (réformes fiscales, réformes des caisses de Sécurité sociale…), de lutter contre l’évasion fiscale et la corruption, qui sont en train de prospérer d’une manière inquiétante. Il en va de la survie de l’économie tunisienne, mais aussi et surtout d’une souveraineté nationale qui risque d’être mise à mal. Mais les luttes déjà engagées pour les prochaines échéances électorales, dans sept mois à peine, nous amènent à douter de la volonté du politique de mettre en œuvre ce programme.
Et pourtant, il suffirait d’un peu de bon sens et d’amour de la patrie pour surmonter les égos ravageurs des politiciens en lice, et travailler ensemble au nécessaire redressement de notre pays au sein d’un grand parti centriste unifié. Le salut de la Tunisie et des Tunisiens est là et pas ailleurs, dans cette volonté commune de construire un avenir meilleur. Notre Tunisie est un petit pays, dont la population ne dépasse pas les 12 millions d’habitants, ses problèmes ne sont pas si complexes à résoudre, pour autant que l’on mise sur le bon sens et le patriotisme désintéressé. Tunisiens, unissons-nous!
Chedly Ben Ammar