Hatem Kotrane: A l’impossible nul n’est tenu !(1) Non au retour en bloc des terroristes en Tunisie !
A l’impossible nul n’est tenu (Ad impossibilia nemo tenetur- لا التزام بمستحيل) ! Voilà un principe général de droit qui gagnerait à être mis à contribution au moment où l’on discute de nouveau de la question du retour programmé en Tunisie des terroristes tunisiens, impliqués dans les pires crimes en Syrie.
On invoque à cet égard, l’article 25 de la Constitution du 27 janvier 2014 qui interdit « …de déchoir de sa nationalité tunisienne tout citoyen, de l’exiler, de l’extrader ou de l’empêcher de retourner dans son pays ».
Ces dispositions sont, ainsi que rappelé par le Président de la République lui-même et par d’éminents constitutionnalistes, on ne peut plus claires : tout tunisien peut, à tout moment, retourner à son pays qui ne saurait, de surcroît, le déchoir de sa nationalité quels que soient les crimes qui peuvent lui être imputés. Le texte s’exprime en termes si généraux qu’il ne parait autoriser aucune exception, ainsi qu’il est précisé dans une autre règle générale de droit selon laquelle « Lorsque la loi s’exprime en termes généraux, il faut l’entendre dans le même sens. » (Article 533 du Code des obligations et des contrats)! Ces dispositions pourraient même conduire un jour la Cour constitutionnelle une fois installée, si elle en était saisie dans les conditions définies aux articles 120 et 123 de la Constitution, à déclarer inconstitutionnel l’article 32 du Code de la Nationalité Tunisienne, tel que modifié par la loi n° 84-81 du 30 novembre 1984, selon lequel « Perd la nationalité tunisienne, le Tunisien qui, remplissant un emploi dans un service public d'un Etat étranger ou dans une armée étrangère, le conserve....
L'intéressé est libéré de son allégeance à l'égard de la Tunisie, à la date du décret qui prononcera la perte de la nationalité tunisienne ».
Tout cela est parfaitement connu ! Mais la question n’est guère celle-là ! Il s’agit de savoir si la Tunisie est en mesure de recevoir, suivant des accords plus ou moins déclarés ou sournois, la cohorte de milliers de terroristes partis à l’étranger combattre au sein de « l’Etat islamique » ! La question, faut-il convenir, n’a pas du tout été envisagée au moment de l’adoption de l’article 25 précité de la Constitution ! Il s’agit bel et bien d’une question toute autre, que la Constitution n’est pas d’un secours réel en vue d’y apporter une réponse satisfaisante.
Nous sommes bien, à mon humble avis, dans le cadre de la théorie de l’imprévision, plus ou mois consacrée en droit privé, mais qui a pu être appliquée en droit public, en droit constitutionnel et en droit international ! Rebus sic stantibus, enseigne une doctrine juridique de droit international public qui dit que les éléments à la base d'un traité ou d'un contrat ne restent applicables que pour autant que les circonstances essentielles qui ont justifié la conclusion de ces actes demeurent en l'état et que leur changement n'altère pas radicalement les obligations ...
L’article 25 de la Constitution suscite une difficulté pareille ! Comment peut-on soutenir l’engagement de la Tunisie à accueillir les terroristes sous prétexte du dit article 25 qui a été, sans doute, adopté pour pourvoir à des situations toutes différentes ! La Tunisie n’est point liée par une telle disposition qui n’est opposable que dans des circonstances habituelles, celles d’un tunisien faisant valoir son droit de retourner à son pays. Il ne saurait valoir de fondement à un retour aussi massif de terroristes, mettant en péril la sécurité du pays !
Je dirai même plus ! Si, en représailles à la montée en puissance du phénomène d’une Tunisie, naguère terre de tolérance et d’amitié entre les peuples, si tristement devenue premier pays pourvoyeur de terroristes, les pays européens et autres décidaient de refouler en bloc des milliers de tunisiens régulièrement – ou irrégulièrement - installés sur leur territoire, la Tunisie rencontrerait de réelles difficultés à recevoir en même temps et en un seul bloc tous ses ressortissants !
C’est dire que la question n’est guère réductible à un simple débat juridique de droit constitutionnel ou de droit international! Les juristes, quelle que soit leur réputation, ne sont pas d’un secours réel pour la résoudre et y apporter une réponse satisfaisante tenant compte des circonstances exceptionnelles auxquelles notre pays est confronté! La diplomatie, la coopération et la coordination internationales entre les Etats et les organisations internationales, l'entraide la plus large possible entre les services de renseignement et les instances judiciaires pour toute enquête, procédure pénale ou procédure d'extradition relative aux crimes terroristes commis, y compris pour l'obtention des éléments de preuve dont ils disposent et qui sont nécessaires aux fins de la procédure, l’unité nationale et le sens de la défense des intérêts supérieurs de la Tunisie sont autant de voies mieux adaptées en vue de résoudre ce dilemme! Tout le reste n’est que bavardage !
Hatem Kotrane
Professeur à la Faculté des Sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis.
(1) Article paru au Journal La Presse du 8 janvier 2017
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Très important et convaincant ;bravo pour les citations en langue .latine !