Elyès Fakhfakh: Comment relancer le processus d’intégration économique maghrébine
En ce 30ème anniversaire de la création de l’Union du Maghreb Arabe (UMA) le 17 février 1989, il est difficile d'évoquer l’unité du Maghreb et son intégration économique sans un sentiment de frustration, de déception… et même de colère.
En effet, au vue de l’échec des différentes tentatives d’intégration économique depuis l’indépendances des pays de la sphère maghrébine, et desrésultats très faibles même après l’avènement de l’UMA, on peut affirmer sans détour, que l’Union économique maghrébine n’existe pas. Et ce n’est pas les chiffres des échanges commerciaux et encore moins ceux de l’investissement qui vont démentir ce constat.
Des chiffres et des facteurs accablantes
Le Maghreb est considéré par la Banque Mondiale comme la plus faible intégration régionale au monde, avec un échange régional ne dépassant pas les 3% énergie incluse. Loin derrière la COMESA – 13%, CEN/SAD – 19%, ASEAN – 23% sans parler de l’ALENA – 56% et l’UE – 65%.
La situation n’est guère meilleure, si l’on regarde,du côtédes investissements où le volume des IDE intermaghrébin qui est de l’ordre de 2% du volume global des IDE dans la région (170m$/8B$) dont plus de la moitié sont réalisés par la Tunisie depuis 2003 (1,4B$/2,5 B$).
Il convient donc de souligner à ce propos d’ailleurs que le volume global des IDE dans la région est très faible (1,8% du PIB).
Ces résultats, sont hélas loin des espérances des populations, d’une part, et du potentiel qu’offre la région, d’autre part.
Ces résultats ou plutôt ces échecs pourraient être attribués à trois facteurs essentiels:
- La primauté du politique sur l’économique,
- La verticalité et la dépendance économique et financière de l’UE,
- Le manque de vision, de stratégie et de planification.
Des perspectives de développement qui existent
Toutes les études s’accordent à dire que le coût dû à l'absence d'une sphère économique propre au Maghreb, est d’au moins 2 points de croissance pour chaque Pays.La Banque Mondiale affirme qu’une meilleure intégration conjuguée avec une amélioration du climat des affaires pourrait augmenter le PIB actuel d’au moins 30% sur 10 ans.Cette augmentation pourrait atteindre 50% avec la formation d’un bloc commercial uni qui établirait un accord global avec l’UE.
Ce bloc identitairement homogène est aujourd’hui à la recherche d’un projet d’avenir commun. Si l’on se réfère à la définition de l’identité donnée par Al-Jabri et Malraux:"L’identité, c’est une langue commune, une histoire commune et un projet d’avenir commun".
Ce projet commun est indispensable pour mieux exploiter nos forces, opportunités et potentiel à savoir:
1 - Un marché de 100 millions d’habitants
2 - Des richesses naturelles importantes:
- 3% de la production énergétique mondiale – Pétrole et Gaz
- 15% du phosphate mondial
- 1% du fer mondial
3 - Une situation géographique stratégique entre l’Europe et l’Afrique subsaharienne, d’une part, et l’est de la méditerranée d’autre part. Sans oublier l’ouverture sur l’Atlantique et la Méditerranée et ses avantages logistiques.
Les défis qui nous attendent
Mais si le projet commun est là nous devons aussi faire face aux défis et menaces auxquels nous sommes confrontés principalement :
- les défis démographiques et le chômage (6 millions de postes à créer à l’horizon 2030) - 70% de la population vivrait dans les villes en 2030 aussi.
- les défis climatiques et écologiques (Eau, Littoral, Sahara, Villes).
- les défis sécuritaires.
- les défis de la transition démocratique.
De même, si l’on regarde la situation d’un point de vue purement économique, il est patent que le Maghreb présente plusieurs faiblesses :
- un faible niveau de la compétitivité économique et industrielle, et une faible intégration dans la chaine de valeur mondiale, malgré les divers programmes de mise à niveau entrepris pour préparer nos économies à l’ouverture suite aux accords de libre échanges signés avec l’UE (Tunisie en 1995, Maroc en 1996 et Algérie en 2002).
- des programmes de mise à niveau jugés d’ailleurs insatisfaisants, au regardnombre d’entreprises ayant bénéficié deces programmes (5000 en Tunisie, 2000 au Maroc et 1000 en Algérie)
- le faible niveau des IDE dans la région essentiellement dû à:
- L’environnement des affaires et la corruption
- Le cadre juridique
- L’infrastructure insuffisante
- La taille du marché en l’absence d’un marché commun.
Enfin, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le potentiel actuel pour le commerce interrégional de marchandises semble limité :
- Une faible complémentarité
- Une grande similarité entre la Tunisie et le Maroc
- Une faible intégration dans la chaine de valeur mondiale
Il est saisissant de constater que les chefs d’entreprises qui essayent malgré tout d’entreprendre font tous état d’un sentiment de frustration et d’impuissance, principalement à causedes mêmes maux que sont le protectionnisme, la complexité des procédures, le manque d’indépendance pour la prise de décision de la posture politique et enfin la faible intégration financière
Pour ce dernier point, j’ai personnellement œuvré lorsque j’étais ministre des finances en 2013 pour la concrétisation du projet de lancement de la BMICE en arrêt depuis 2006 pour ne pas dire depuis 1991. Avec l’organisation de deux commissions ministériellesmaghrébines en l’espace de quelques semaines(la première à Marrakech le 31 mai 2013 et la deuxième à Tunis le 26 juin 2013) pour entériner la procédure de lancement officiel de la banque et le déblocage du capital. Cette banque est aujourd’hui opérationnelle avec son siège social à Tunis.
L'urgence d'une feuille de route
N’étant pas partenaire du statuquo et de ceux qui soutiennent la thèse de la subordination de l’avenir de l’UMA à la résolution du conflit Algéro-Marocain sur la Sahara occidentale, je voudrai terminer par une proposition de feuille de route pour une intégration économique efficace :
- le développement d’une vision stratégique pour un espace économique Maghrébin,
- l’identification des complémentarités industrielles entre les pays du Maghreb en poursuivant la montée en gamme et en adoptant un plan régional de mise à niveau,
- le renforcement de l’infrastructure régionale (Route, aérien, maritime, TIC…), en s’engageant sur une quotepart dédiéedans les budgets des états membres,
- le développement de catalyseurs moteurs nationaux pour stimuler la coopération (Société civile, secteur privé, syndicats, universités …)
- le renforcement de la coordination dans la négociation avec l’UE.
Elyes Fakhfakh
Ancien ministre des Finances