A l’UNESCO, grandiose lancement de l’année du tableau périodique des éléments
Comme la crise de l’enseignement secondaire a heureusement pris fin, il nous a semblé utile de proposer cet article dans l’espoir qu’il puisse servir aux enseignants et à leurs élèves.
Nous espérons aussi que cette modeste contribution amènera le Ministère de l’Education et les mécènes à faire en sorte que chaque établissement d’enseignement secondaire de notre pays puisse avoir un Tableau Périodique des éléments accroché dans au moins une salle d‘enseignement scientifique.
Enfin en ce mois de février, nous pensons fortement à Rahma et à Sourour, ces élèves décédées le 6 de ce mois l’an dernier, dans l’incendie de leur dortoir à Thala. Nous pensons à ces jeunes pousses trop tôt disparues- victimes de la négligence et de la turpitude des adultes-car le 11 février 2019 est la Journée Internationale de la Femme et de la Jeune Fille dans les Sciences. Marie Curie a eu deux Prix Nobel pour la découverte de deux éléments : radium (Ra) et du polonium (Po) en 1903 et 1911, Berta Karlik a isolé l’astate (At), Lise Meitner a identifié un isotope du proactinium (Pa), Ida Noddack a découvert le rhénium (Re)…. Comme nous pensons fortement à ces jeunes de l’école de Regueb si longtemps privés d’un enseignement des sciences et auxquels on a caché les merveilles scientifiques que recèlent le Tableau Périodique sur la formation des étoiles et du Soleil.
Journée mémorable a l’Unesco
Mardi 29 janvier 2019, la grande salle de l’UNESCO à Paris a été le théâtre du lancement grandiose de l’Année Internationale du Tableau Périodique des Eléments (AITPE). En compagnie de Mikhail Kotyukov, Ministre de la Science et de l’Enseignement Supérieur russe, de Pierre Corvol, président de l’Académie des Sciences (Institut de France) et d’Andrey Guryev, PDG de PhosAgro (entreprise d’engrais russes), Audrey Azoulay, la directrice générale de l’organisation onusienne, a déclaré ouverte l’année consacrée au Tableau de Mendélieff. Devant un amphithéâtre plein à craquer de chimistes et de scientifiques du monde entier, la cérémonie d’ouverture a été ponctuée par de la musique classique (Chopin, Brahms et Scriabine). Lui a fait suite une série d’exposés scientifiques par des orateurs de divers pays et notamment de jeunes chimistes de Malaisie, d’Egypte, du Ghana, d’Afrique du Sud, de Chine…
A la 74ème session de l’ONU à New York, le 20 décembre 2017, l’Assemblée Générale a proclamé 2019 Année Internationale du Tableau Périodique des Eléments. Cette initiative était patronnée par la Fédération de Russie en collaboration avec l’UNESCO. Il est revenu à l’UNESCO et à l’Union Internationale de Chimie Pure et Appliquée (IUPAC) de coordonner cette Année en coopération avec les sociétés et les unions scientifiques nationales, régionales et internationales.
Pour Mme Azoulay, « Le Tableau Périodique est plus qu’un simple guide ou un catalogue de tous les atomes connus dans l’Univers : c’est essentiellement une fenêtre ouverte sur l’Univers qui aide à étendre notre compréhension du monde qui nous entoure. Cette année marque le 150ème anniversaire de sa création par Dmitry Ivanovich Mendélieff. »
A travers l’AITPE, l’ONU visait à sensibiliser l’opinion internationale d’une part et à promouvoir d’autre part la chimie comme facteur essentiel dans le développement durable, la découverte de solutions aux défis globaux comme l’énergie, l’agriculture, l’éducation, la sécurité alimentaire et la santé.
La cérémonie de clôture de l’AITPE se déroulera à Tokyo le 5 décembre prochain.
Une découverte capitale et un succès phénoménal
A la suite du premier congrès mondial de chimie de Karlsruhe de 1860, Mendélieff (1834-1907) réalisa que les éléments chimiques ne devaient pas être assemblés de façon anarchique. Il essaya de comprendre les règles de leur organisation. Et c’est ainsi que le 6 mars 1869, il présenta à l’Académie des Sciences russe son projet de classification périodique de la soixantaine d’éléments connus à l’époque. Aujourd’hui, on en connaît 118 disposés dans un tableau à sept lignes et dix-huit colonnes. Les cases symbolisant les éléments chimiques sont disposées de façon que chaque colonne du Tableau regroupe des éléments aux propriétés chimiques similaires comme dans le cas de la colonne 17 qui regroupe les éléments bien connus de tous de la famille des halogènes comme le fluor, le chlore, le brome, l’iode et l’astate.
Le Tableau Périodique résume en grande partie notre savoir de la structure atomique de la Matière et ses propriétés chimiques. Ainsi, « le numéro atomique » de chaque élément du Tableau indique le nombre de protons que contient le noyau de l’atome considéré. Mais ce numéro ne peut croître à l’infini : plus le nombre de protons est élevé, plus les répulsions mutuelles déstabilisant le noyau sont grandes. On n’a répertorié à ce jour que les éléments allant jusqu’au numéro atomique 118. Cependant, par des réactions nucléaires, on a créé une vingtaine d’éléments de très courte durée de vie donc très instables. Sur les 118 éléments identifiés, les 94 premiers se produisent naturellement sur Terre et les 24 restants sont synthétiques, faits de la main de l’homme.
Le système de Mendélieff avait pour fondement le poids atomique et la similitude chimique. Mais le chimiste russe, armé de la périodicité qu’il venait de mettre en lumière dans son tableau, avait prévu la découverte de cinq éléments manquants. Les éléments inconnus prévus par Mendélieff furent effectivement découverts : le gallium (1875), le scandium (1879) et le germanium (1887).
Immense succès qui fit de Mendélieff- alors encore en vie - un des géants sur les épaules desquels la chimie a acquis le statut que nous lui connaissons. En 1939, une chimiste française a découvert le francium dont la case avait été laissée vide par Mendeléiff qui avait prévu son existence.
Pour la petite histoire, le savant russe avait inscrit sur des cartes les propriétés des éléments et il les avait organisées comme s’il jouait à faire une patience quand soudain, il réalisa, le 1er mars 1869, que s’il plaçait ses cartes dans l’ordre croissant de poids atomiques, certains types de régularité apparaissaient.
Un peu d’histoire
L’AITPE commémore en réalité une suite d’étapes importantes ayant jalonné l’histoire du Tableau Périodique. Celle-ci remonte à des repères marquants qui datent de 2800, 350, 230, 190, 150 et 80 ans.
On pense que la fusion du plomb (Pb) a commencé en Afrique, il y a quelques 9000 ans. Le plus ancien artéfact de plomb connu est une statuette en plomb trouvée dans le temple d’Osiris sur le site d’Abydos en Egypte.
Vers 800, le grand chimiste Jaber Ibn Hayyan a, le premier, isolé les éléments chimiques arsenic (As) et antimoine (Sb).
En 1669, Hennig Brandt a découvert chimiquement le phosphore (P) dans l’urine. L’année de la Révolution en France, 1789, Lavoisier publia la liste de 33 éléments chimiques classés en gaz, métaux, non métaux et terres. Mais sa contribution à la Science en général et à la chimie en particulier s’arrêta net quand en 1794 il fut guillotiné comme collecteur d’impôts.
Un outil important
Aujourd’hui, le Tableau Périodique des Eléments est un des succès les plus significatifs de la Science. Il recèle non seulement l’essence de la chimie mais aussi d’autres domaines du Savoir comme la biologie et la physique. C’est un outil à nul autre pareil dans la mesure où il permet aux scientifiques de prédire les propriétés de la Matière non seulement sur Terre mais également dans le reste de l’Univers que ce soit sur le Soleil, la Voie Lactée ou Mars.
La quête de nouveaux éléments se poursuit et constitue un puissant moteur pour l’exploration de l'espace. Le Centre russe de Doubna est en pointe dans ce domaine comme d’autres équipes (Japon, Etats Unis…). En 2015, on a annoncé la synthèse des éléments 113, 115, 117 et 118 (Lire Pour la Science, Février 2019). La synthèse d’éléments nouveaux améliore notre compréhension des produits radioactifs et des atomes superlourds.
Des orateurs internationaux et des exposes captivants
La conférence du professeur hollandais Ben Feringa – Prix Nobel de chimie 2016- intitulée « Le tableau périodique pour la société et pour l’avenir » a mis en relief la chimie en tant que « langage universel », sans frontières. Il a montré la puissance de l’inventivité de la chimie -« une science de la création »- remarquant cependant que si un Airbus avec 300 personnes à bord est entièrement synthétique, nul n’est en mesure de faire « une cellule de pigeon » ! Notre corps est fait de 357 millions d’atomes d’hydrogène, 132 millions d’atomes d’oxygène et 85 700 000 de carbone. La chimie intervient dans la thérapie de précision, les antibiotiques photo contrôlés…Concluant son intervention, le professeur Feringa affirme : « La meilleure façon de prévoir l’avenir est de le créer. »
Ahmed Salim, ancien ambassadeur de Tanzanie, est un entrepreneur britannique et le créateur d’initiatives sociales et éducationnelles de grande notoriété qui ont vu la participation de 400 millions de personnes à travers le monde est venu inaugurer « 1001inventions : Voyages de l’alchimie à la chimie ». Il relève que l’histoire culturelle de la Science a commencé avant Newton et avant Dmitri Mendélieff. Il insiste sur le fait que l’alchimie – avec Omar Khayyam, al Kindi et al Ghazi- a permis d’avancer « mais peu de gens le savent ». Son Initiative a envahi le hall 4 de l’UNESCO où des foules denses d’écoliers parisiens ont pu profiter des démonstrations mises au point avec le Pr Jim al-Khalili (physique théorique) de l’Université du Surrey (GB) et célèbre auteur de « La Science et l’Islam » De son côté, Ahmed Salim a réalisé un film « Les 1001 inventions et le monde d’Ibn al Haytham », le fondateur de l’optique au XIème siècle.
Quant au professeur Maria Lugaro de l’Observatoire de Budapest, elle commence son intervention en citant le philosophe français Auguste Comte- qu’admirait beaucoup le président Bourguiba- qui affirmait en 1835 : « On peut déterminer la forme, la taille et le mouvement des étoiles, nous ne serons jamais capables d’étudier leur composition chimique ou leur structure minéralogique ».
Or, aujourd’hui, on connaît la composition du Soleil. L’analyse des météorites qui tombent sur notre Terre prouve qu’une grande radioactivité a présidé à la formation du système solaire. Cette analyse a permis d’avoir une vision claire des processus nucléaires qui ont conduit aux éléments chimiques dans le Cosmos. On a acquis une preuve irréfutable que les éléments sont produits à l’intérieur des étoiles géantes quand on y décelé du technécium en 1952. Le technécium a été produit artificiellement en 1937. Il avait été prévu par Mendélieff sous le nom « ekamanganèse ». Le technécium a été le premier élément chimique artificiel. Métal radioactif, il est utilisé en médecine nucléaire pour établir de nombreux diagnostics.
Signalons pour conclure que le Professeur Youri Oganessian, directeur scientifique du Laboratoire Flérov à Doubna (Russie) a parlé des éléments « nouveaux-venus » dans le Tableau, les éléments artificiels. Le numéro 118, l’oganesson, (Og) a été découvert par Pr Oganessian lui-même. Il est le seul homme vivant dont un élément chimique porte le nom !
Parmi les activités organisées dans le cadre de cette Année internationale par l’UNESCO, citons notamment le défi sur le tableau périodique :
- un concours en ligne destiné aux élèves de l’enseignement secondaire et qui vise à tester leurs connaissances et éveiller leur curiosité sur le sujet.
- « Les femmes et les éléments du tableau périodique », une conférence organisée à Murcie (Espagne), les 11 et 12 février.
- « Le tableau périodique a 150 ans », conférence lors du 47e Congrès mondial de la chimie, Paris (France), du 5 au 12 juillet.
- Le Congrès Mendeleïev sur la chimie générale appliquée, à Saint-Pétersbourg (Fédération de Russie), du 9 au 13 septembre.
Mohamed Larbi Bouguerra