Taoufik Habaieb - Tunisie : De l’imposture
«Tout l’art de la guerre repose sur la duperie ! » Nous y sommes et en plein, méditant à nos dépens la formule du général chinois Sun Tzu (VIe siècle av. J.-C.). En ces temps d’imposture, la tromperie, travestissant la réalité et les faits, intensifie son influence politique préélectorale. Chacun prétend montrer son vrai visage et afficher ses visées réelles, mais s’en cache dans les faits. On est encore loin de la transparence exigée. L’opacité est érigée en système.
Faire éclater la vérité, tous s’en réclament, rares sont ceux qui y œuvrent. Six ans après, l’enquête sur l’assassinat de Chokri Belaïd, le 6 février 2013, n’a pas encore abouti à la condamnation des coupables. Tout comme celui de Haj Mohamed Brahmi. L’affaire de l’appareil sécuritaire parallèle imputé au parti Ennahdha bute sur des obstructions, des dénis et des manœuvres dilatoires qui empêchent la justice de s’exercer en toute indépendance et sérénité, sans retard.
Le financement opaque de certains partis politiques, médias et composantes de la société civile fausse le jeu et intoxique la démocratie naissante. Ses ravages n’en seront que plus désastreux à l’approche des élections.
Le brouillage de l’image que reflète la Tunisie est total. Quel est le poids réel des forces en présence ? A qui sourira le verdict des urnes et dans quelles proportions ? Le parti Ennahdha, bien que sérieusement ébranlé par l’enquête sur l’appareil sécuritaire parallèle et confronté au projet de loi sur la parité successorale, demeure fondé sur un socle large, profond et solide. En face de lui, qui est capable de lui disputer la majorité des suffrages et faire barrage à l’islamisation de la société et de l’Etat ? Dans ce foisonnement de partis (215 + 1), pour la plupart peu structurés, peu démocratiques et peu solvables, mais aussi la dispersion des rangs et la montée des ambitions personnelles, quels sont les vrais leaders charismatiques et visionnaires capables de s’imposer et d’en imposer ?
Des craintes réelles restent difficiles à dissiper. A voir le circus politicus habituel qui s’agite de plus en plus, les mêmes têtes, désuètes, obsolètes, qui ont fait la preuve de leur incompétence, risquent de polluer de nouveau l’ARP, le gouvernement et autres hautes fonctions.
Deux grands trains s’apprêtent à s’ébranler, chacun de son côté. Celui de Nidaa qui garde un fonds de commerce non négligeable, et celui qu’initie le duo Selim Azzabi-Youssef Chahed. Faute d’arrimer leurs voitures à une puissante locomotive commune, ils finiront par se confronter dans un terrible choc aux lourds dégâts. L’entêtement des uns et l’ego des autres, plutôt avides de pouvoir que de volonté de servir le pays, conduiront à l’échec du camp démocratique. Les figures qui s’affichent, ici et là, sont pour la plupart loin d’attirer les meilleurs. Les plus crédibles, désenchantés et réfractaires à toute politique politicienne, demeurent réticents à l’idée de se mélanger avec les vieux chevaux de retour.
Dans ce désert de grandes pointures, la pensée structurante, censée nourrir les programmes des partis et fonder les nouvelles politiques publiques, est en friche. Point d’études approfondies et perspicaces, point de vision novatrice, point de ressorts puissants à même de provoquer l’élan tant salutaire.
Le mandat 2020 - 2024 risque de s’annoncer en simple reconduction des mêmes et du même. Au mieux, avec juste un réajustement des dosages et un changement d’enseignes. Au pire, avec une déferlante islamiste que rien ne pourra plus arrêter d’ici de longues années.
Inutile d’alerter les politiques se réclamant du camp démocratique. Ils sont incapables de concevoir entre eux un pacte d’actionnaires de la démocratie. S’ils parviennent à le sceller, sauront-ils honorer leur signature ? « La guerre a le mensonge pour fondement et le profit pour ressort. » Sun Tzu ne sera pas démenti.
Rien n’est encore joué. Tout peut changer d’ici l’automne prochain. Une seule certitude : refusant d’être condamnés à choisir par défaut leurs élus, les Tunisiens multiplient les expressions de leur exaspération. Leur verdict risque d’être sévère : une sanction totale.
Leur unique espoir : l’émergence, en toute surprise, de vrais hommes et femmes d’Etat inattendus !
Taoufik Habaieb