On ne peut redistribuer ce que l’on ne produit pas : les enseignements à tirer de la crise vénézuélienne
Par Karim Saïd, Universitaire en France et expert international. Arrivé au pouvoir en 2013 à la mort d'Hugo Chavez, Nicolas Maduro s’est maintenu au pouvoir au prix d’une alliance stratégique avec les militaires ainsi que d’une confiscation de pans entiers de l’économie tels que l’alimentation et le pétrole. Le populisme érigé en mode de gouvernance s’est traduit par la nationalisation brutale du pétrole justifiée par la volonté de distribuer ses subsides pétroliers aux classes populaires. Ceci a eu pour corollaire non seulement l’assèchement de l’investissement local devenu trop risqué mais également une désorganisation des institutions de l’Etat à la solde de forces opaques ayant installé une corruption généralisée.
Si le pays dispose des plus grandes réserves mondiales d’or noir, force est de constater qu’il a progressivement sombré dans la pauvreté. Tous les indicateurs sont au rouge à l’image d’une inflation atteignant les 1000000% en 2018 et un PIB réel contracté de 35% par rapport à 2013. Représentant l’essentiel des sources de devises, la production de pétrole a atteint son plus bas niveau à 1,5 million de barils par jour selon l’organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L’effet conjoint de cette baisse de production ainsi que les dévaluations fréquentes du bolivar fuerté ont plongé le pays dans une situation d’hyperinflation semblable à la situation de l’Allemagne en 1923. La gravité de la situation économique a en outre provoqué la fuite de plus de trois millions de vénézuéliens vers les pays voisins notamment la Colombie, le Chili ou encore le Brésil.
On est bien loin de la situation de mai dernier ou le président Maduro à peine réélu promettait à son peuple « la paix, la prospérité et le bonheur ». L’opposition s’est rassemblée à l’assemblée poussant un jeune ingénieur de 35 ans, Juan Guaido, à se proclamer, en tant que Président de l'Assemblée Nationale, Président par intérim en se faisant reconnaitre aussi bien par les Etats-Unis que par le groupe de Lima regroupant 13 pays d’Amérique latine. Ce dernier demande à l’armée de le rejoindre pour rétablir la démocratie et organiser de futures élections. Le bref résumé du contexte vénézuélien vient conforter l’analyser de l‘historien Arnold Toynbee qui expliquait que l’essor et la chute des civilisations seront appréciés à l’aune de leurs capacités à répartir les bénéfices tirés d’une économie saine adossée à l’utilisation des techniques et pratiques les plus innovantes.
L'analyse du cas vénézuélien vient raviver en outre le débat entre les tenants des thèses de Keynes et Friedman trop souvent opposées par les prismes des politiques de demande et d'offre et de leurs conséquences sur la répartition. Fondamentalement, un pays en manque de compétitivité et structurellement importateur devrait davantage mener une politique d'offre comme le montre de manière extrême le cas vénézuélien. En effet, une politique de demande dans une telle configuration ne peut qu'accroître la dépréciation de la monnaie et induire de l'inflation importée sans qu'un bénéfice de cette dépréciation ne soit possible.
Mais cela ne suffit pas nécessairement si l'on se restreint à des questions de répartition des ressources statiques sur le marché et l'on pourrait inclure dans ce débat Schumpeter et son concept de « destruction créatrice ». En effet, la division internationale du travail consécutive à la mondialisation s’accompagne de destruction d'emplois mais également de création de nouveaux emplois. Schumpeter place au cœur de ses préoccupations l’innovation et le rôle de l’entrepreneur. Faire face à la mondialisation nécessite de plus en plus de s’appuyer sur des politiques publiques innovantes adossées sur le développement de l’économie de la connaissance et de la transformation digitale plutôt sur que sur la redistribution fondée sur des subventions publiques et associées à la vieille antienne de l’état providence.
De nouvelles formes de gouvernance publique doivent émerger sur la base d’un partenariat entre administrations centrales, collectivités territoriales, société civile et entrepreneurs locaux. Au niveau territorial, de nouvelles possibilités de participation démocratique doivent être encouragées afin de favoriser l’accès des citoyens aux opportunités économiques et à la prise de décision éclairée. C’est précisément ces nouvelles formes de gouvernance innovantes qui seront le plus à mêmes de créer les conditions d’une croissance endogène pérenne susceptibles de profiter au plus grand nombre et en même temps de favoriser à terme la restauration des grands équilibres macroéconomiques.
Ainsi, une gouvernance publique rénovée et responsable s’apprécie de plus en plus à l’aune de sa capacité à rompre avec la facilité du populisme, du clientélisme et celle du court-termisme. C’est à ce prix qu’on peut asseoir la crédibilité des pouvoirs publics et ainsi garantir les chances de succès d’une nation.
Karim Saïd
Universitaire en France et expert international