The New York times : il est temps de briser le silence à propos de la Palestine
A l’heure où un Netanyahou perdant la raison délire en affirmant que Mohamed Amin al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem, aurait suggéré le génocide des juifs à Adolf Hitler lequel « à l’époque ne voulait pas exterminer les juifs » (Lire Sylvain Cypel faisant la recension du livre de Jean-Pierre Filiu « Main basse sur Israël », in Médiapart, 18 janvier 2019), Michelle Alexander – avocate et chroniqueuse au New York Times- appelle à briser le silence autour du conflit israélo-palestinien en prenant exemple sur le Révérend Dr Martin Luther King. Elle rappelle que ce dernier s’est élevé, le 4 avril 1967, contre la guerre du Vietnam malgré l’assentiment général exprimé par les Américains, en ne craignant pas de se faire traiter de communiste car « il arrive un moment où le silence est trahison. » (The New York Times, 19 janvier 2019)
Un énorme défi moral
Pour Alexander, « la crise Israël-Palestine est un des plus grand défis moraux de notre époque. » Elle relève que, jusqu’à très récemment, le Congrès est demeuré pratiquement muet face à la situation cauchemardesque des droits de l’homme que vivent les territoires occupés. Elle note : « Nos représentants élus qui opèrent dans un environnement dans lequel le lobby politique d’Israël est solidement établi, a invariablement minimisé et détourné les critiques visant l’Etat d’Israël. Le Congrès a maintenu cette attitude même quand Israël s’est de plus en plus enhardi dans l’occupation du territoire palestinien et a même adopté quelques pratiques rappelant l’apartheid en Afrique du Sud et les lois ségrégationnistes de Jim Crow (1876-1967) aux Etats Unis. De nombreux activistes et des organisations des droits civiques ont gardé le silence non par manque de sympathie pour le peuple palestinien mais par crainte de perdre des financements et par crainte des accusations d’antisémitisme. Ils s’inquiètent, comme je l’ai fait par le passé, que leurs importants efforts pour la justice sociale ne soient compromis ou discrédités par des campagnes visant leur honneur et leur réputation. »
Et ce n’est pas tout ! Nombreux sont les étudiants américains qui ont peur d’exprimer leur soutien aux droits des Palestiniens à cause des listes noires dressées par des organisations sionistes secrètes comme « Canary Mission » pour empêcher les jeunes d’accéder à l’emploi.
Prenant exemple sur le Révérend King, Michelle Alexander ne veut pas se laisser « hypnotiser par l’incertitude » et affirme : « Il est de notre devoir de dénoncer fermement la crise des droits de l’homme en Israël-Palestine, en dépit des risques et de la complexité de la situation. »
Elle signale que le Dr King a annulé, en 1967, un pèlerinage en Israël pour ne pas donner l’impression qu’il approuvait « tout ce qu’Israël a fait. »
Elle ajoute : « Si nous voulons honorer le message de King et pas seulement l’homme, nous devons condamner les menées israéliennes : les violations incessantes de la loi internationale, l’occupation continue de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de Gaza, la destruction des maisons et la confiscation des terres. Nous avons le devoir de dénoncer la façon dont sont traités les Palestiniens aux checkpoints, les fouilles devenues routinières de leurs maisons et les restrictions imposées à leurs mouvements ainsi que l’accès sévèrement limité à un logement décent, aux écoles, à l’alimentation, aux hôpitaux et à l’eau qui sont le lot de la majorité d’entre eux» car comment le Révérend King pouvait-il concilier son engagement pour la non-violence et la justice pour tous les peuples, partout dans le monde, avec ce qui était arrivé pendant la guerre de 1967 ?
Pour notre chroniqueuse, « l’opposition sans la moindre équivoque à la violence, au racisme, au colonialisme et au militarisme du Dr King auraient fait de lui, aujourd’hui, un critique mordant des politiques en vigueur en Israël. »
La chroniqueuse insiste : ne tolérons pas qu’Israël refuse même de discuter du droit au retour dans leurs maisons des réfugiés palestiniens comme il est prescrit par les résolutions des Nations Unies et interpelle : « Il est de notre devoir de mettre en question les financements du gouvernement américain qui ont appuyé les multiples actes de guerre et les milliers de victimes civiles à Gaza. Il est de notre devoir de mettre en question et de nous interroger sur les 38 milliards de dollars que le gouvernement américain consacre à l’armée israélienne. »,
S’appuyant sur les données de Adala, le Centre Légal des Droits de la Minorité Arabe, Michelle Alexander écrit : « Nous devons dénoncer, avec le maximum de courage et de conviction que nous pouvons mobiliser, le système de discrimination légale qui existe à l’intérieur d’Israël, un système complet qui compte plus de 50 lois qui instituent la discrimination contre les Palestiniens. La nouvelle loi de l’Etat-Nation dit explicitement que seuls les Israéliens juifs ont le droit à l’autodétermination en Israël, ignorant les droits de la minorité arabe soit 21% de la population. »
Les choses bougent et les mentalités évoluent
Après le Révérend Martin Luther King, Alexander évoque le rabbin Brian Walt, un autre penseur enraciné dans la spiritualité. Ce dernier lui a récemment expliqué les raisons de l’abandon de sa foi en le sionisme politique. Né en Afrique du Sud, le rabbin Walt, a été témoin, après plus de 20 séjours en Cisjordanie et à Gaza, d’horribles abus des droits de l’homme, des maisons palestiniennes détruites au bulldozer alors que les gens pleurent, des jouets d’enfants jetés sur un site démoli, des terres palestiniennes confisquées pour permettre l’érection de nouvelles colonies illégales subventionnées par le gouvernement israélien. Il a été obligé d’admettre la réalité de ces destructions, de ces colonies et de ces actes de violente dépossession. Tous ces actes ne sont pas le fait de voyous ou de voleurs mais ils sont entièrement soutenus, confortés et autorisés par l’armée israélienne. Pour le rabbin Walt, le tournant décisif a été d’être témoin de la discrimination légalisée contre les Palestiniens- y compris des rues réservées aux seuls juifs. C’est, affirme-t-il pire que ce dont j’ai été témoin, enfant, en Afrique du Sud.
Et Michelle Alexander de commenter : « Il n’y a pas si longtemps, il était plutôt rare d’entendre un tel point de vue. Ce n’est plus le cas. »
C’est ainsi que l’ONG américaine, JVP (Voix Juive pour la Paix) vise à sensibiliser le public au « déplacement forcé de près de 750 000 Palestiniens qui a débuté avec la fondation d’Israël et qui continue jusqu’à présent. » De même, l’ONG If Not Now (Si ce n’est pas maintenant) épaule les jeunes juifs américains qui luttent pour briser le silence de mort qu’observent encore trop de gens sur la question de l’occupation. Des centaines de groupes de laïques et de croyants ont cependant rejoint la Campagne américaine pour les Droits des Palestiniens. Il en résulte qu’actuellement, les critiques adressées au sionisme et aux agissements de l’Etat d’Israël, ne sont plus de saison et ne peuvent plus être qualifiées d’antisémites.
Malheureusement, en France, présentement, on peut critiquer la Chine, le Pape ou le Nicaragua mais pas Israël ! Les sionistes et leurs amis poussent fort à la confusion et certains maires, qui ont manifesté leur soutien au peuple palestinien martyrisé, se sont retrouvés face à des juges ! Depuis 1973, Kissinger et Nixon ont encouragé Israël à développer « l’industrie de l’Holocauste » pour servir la propagande d’Israël. (Lire Norman Finkelstein, « L’Industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des juifs », Agone éditeur, 2000).
Un enfant palestinien est aussi précieux qu’un enfant juif
Par ailleurs, Michelle Alexander donne l’exemple du Révérend Dr William Barber II, ministre protestant, membre de la vénérable NAACP (Association Nationale pour la Promotion des Gens de Couleur) qui s’engage résolument dans le combat contre l’antisémitisme mais qui fait preuve d’une solidarité inébranlable avec le peuple palestinien luttant pour sa survie sous l’occupation israélienne. En 2018, dans un discours captivant, il a prêché : « Pour rester fidèle aux enseignements divins en chaque personne, il faut insister sur le fait qu’un enfant palestinien est aussi précieux qu’un enfant juif. »
En conclusion, Alexander relève d’abord que « guidés par cette clarification morale, les groupes religieux agissent. En 2016, le fonds de retraite multi milliardaire de l’Eglise Méthodiste Unie a annulé ses placements dans les banques israéliennes qui prêtent pour la construction de ces colonies qui violent la loi internationale. En 2015 déjà, l’Eglise Unie du Christ a voté une motion appelant au boycott et au désinvestissement des entreprises qui tirent profit de l’occupation israélienne des territoires palestiniens. »
Ensuite, la chroniqueuse du New York Times voit des changements se profiler à l’horizon avec l’élection à la Chambre des Représentants des démocrates Rachida Tlaib et Ilhan Omar qui soutiennent publiquement le mouvement BDS contre l’Etat sioniste et son gouvernement d’extrémistes. Alexander rappelle que la représentante démocrate Betty McCollum a introduit, en 2017, une résolution visant à assurer que l’aide militaire américaine n’est pas utilisée au profit du système de détention des mineurs mis en place par l’armée israélienne : Israël traduit constamment des prisonniers mineurs palestiniens des territoires occupés devant des cours martiales.
On ajoutera que la journaliste Amira Hass a publié dans le quotidien Haaretz (12 janvier 2019) qu’Israël, au moyen de ses tribunaux militaires, a subtilisé aux Palestiniens, sous forme d’amendes, la coquette somme de 16 millions de dollars en trois ans. « Des sommes faramineuses comparées à la taille de la population et ses capacités économiques. Prison ou amendes et quelle que la sévérité de l’infraction tel est le dilemme.»
A l’heure où l’on ne cesse d’évoquer « la normalisation » et que certains gestes honteux de basse politique sont faits par des responsables arabes, l’Américaine Michelle Alexander prouve que la justice et le droit ne sont pas de vains mots.
Mohamed Larbi Bouguerra