Révolution tunisienne versus mouvements des gilets jaunes en France : on ne s’improvise pas démocratie
La Tunisie a connu en 2011 une révolution contre l’ancien régime du président Ben Ali mais aussi contre le système politique et social existant. La France connaît depuis fin 2018, un mouvement de protestation sociale et politique, le mouvement des gilets jaunes.
A première vue, on pourrait dire que les deux pays n’ont pas connu et ne connaissent pas le même phénomène. Mais à bien regarder le parallèle existe, avec toutefois un traitement différent.
La grande différence réside dans le fait qu’en France, la révolte est dans un pays démocratique alors qu’en 2011 en tout cas, la Tunisie ne l’était pas. Et là, s’arrêtent les différences et commencent les ressemblances, ressemblances qu’il faudra nuancées tout de même.
D’abord, il s’agit de ressemblances dans les éléments déclencheurs puisqu’il s’agit dans les deux cas d’un malaise social qui a fait exploser les choses. Rappelons-nous que l’immolation de Bouazizi a ses origines dans sa situation professionnelle et la misère dans laquelle il vivait. En France, la motivation de départ était le rejet de l'augmentation de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), pour s’élargir ensuite à d’autres revendications fiscales et sociales (hausse du pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires, maintien des services publics, rétablissement de l'ISF…), ainsi que politiques (amélioration de la démocratie représentative, notamment par le référendum d'initiative citoyenne, démission du président de la République, Emmanuel Macron…).
Ensuite, ressemblances aussi dans l’avancement et l’embrasement des protestations. La situation en Tunisie a commencé à se corser dans quelques villes pour s’étendre ensuite sur tout le territoire. En France, les contestations ont commencées par des mouvements dans les ronds points, où les « gilets jaunes » se sont installés pour manifester et réclamer des changements, pour s’étendre ensuite à l’ensemble des villes et du territoire français.
Les ressemblances concernent aussi le volet du traitement et le comportement des autorités. Et alors qu’en Tunisie, la post révolution et les tiraillements politiques n’ont pu être « calmés » que par le passage par un dialogue national sous l’égide du quartet formé par l’UGTT, l’UTICA, la Ligue des droits de l’homme, et l’Ordre des Avocats. Le président français a aussi opté pour une sorte de dialogue national, plus « populaire » et « citoyen », puisqu’une consultation nationale a été ouverte à tous les français sans l’intermédiaire d’un quelconque corps social.
Mais dans ces ressemblances, les différences nous semblent énormes, et alors que le l’ancien président Ben Ali s’est contenté de lâcher un « je vous ai compris, j’ai compris tout le monde », sans véritablement agir par des actes, le président Macron a vite fait marche arrière et à annoncer des mesures sociales importantes dont le relèvement du Smig (via l’augmentation de la prime d’activité) et l’abandon de la mesure qui concerne l’augmentation des taxes sur les hydrocarbures. De même et dans un second temps, et alors qu’en Tunisie le dialogue social n’a vu le jour que suite à des assassinats et à la détérioration du climat politique, le dialogue social en France n’a pas tardé à voir le jour, à s’installer et à proposer des solutions concrètes.
Dernière différence et non des moindres qui nous parait utile à rappeler, est celle du comportement des autorités sécuritaires. En France, les agents chargés de l’ordre ont essayés de ne pas utiliser la force excessive contre les protestataires, souvent violents et infiltrés par des casseurs à dire vrais, la Tunisie a connue un usage excessif de la force.
Rappelons-nous l’épisode, non encore élucidé d’ailleurs, de l’usage de la chevrotine à Siliana. En France, l’usage des flashs ball a vite suscité un tollé général et a fait l’objet de discussions et de remise en cause. Déjà et dès le 10 janvier 2019, le Défenseur des droits a alerté le Président de l’Assemblée nationale sur la dangerosité de cette « arme ». Et les autorités ont vite décidé d’équiper les policiers de caméras, justement pour contrôler l’usage de cette arme.
Dans un mode mondialisé, la comparaison entre différents mouvements est facile à faire que ce soit pour les manifestants ou pour les autorités. Ce qui l’est moins, c’est d’avoir assez de recul, de savoir faire, de rapidité et de lucidité dans les décisions. Cela nous a manqué et nous manque en Tunisie. Alors qu’en même temps, cela n’est apparemment pas suffisant pour calmer les contestations en France. On ne s’improvise pas démocratie, on y travaille pour le devenir.
Anis Bettaieb
Avocat