Riadh Zghal: Miser sur l’intelligence émotionnelle pour sortir de la crise en 2019
Que ce soit en politique ou en gestion d’entreprise ou d’organisation, on n’est pas dans la rationalité pure, on est aussi dans l’émotionnel qui fait autant que la rationalité partie de l’intelligence. L’intelligence émotionnelle forge des aptitudes et des habiletés. Outre la capacité de maîtriser ses émotions, ce dont beaucoup de nos représentants politiques sont démunis, il y a l’auto-motivation et l’empathie. Ces deux aptitudes sont liées. Pour s’auto-motiver il faut un objectif et la perception de cet objectif comme étant juste. Et pour que cette perception de justice soit effective, il faut s’extraire de l’enfermement de son ego et de ses référentiels supposés plus rationnels que ceux des autres (notamment les idéologies) et chercher à comprendre l’autre, à se mettre à sa place, bref à être capable d’empathie. C’est à ce prix que les négociations aboutissent à la reconnaissance de ce qu’est l’intérêt commun.
Or ce que nous constatons actuellement dans ce paysage politique tunisien de la transition turbulente, c’est une mise en avant des ego générateurs de conflits ouverts ou tacites et de querelles de clans qui donnent en spectacle leurs affrontements récurrents. Le paysage social y répond par l’expression de sentiments d’injustice à travers l’indiscipline, la désobéissance, le désordre, l’abandon des valeurs nécessaires au vivre-ensemble, la violence dirigée particulièrement envers les plus faibles, le tout faisant fleurir la corruption et semant le désespoir.
Pourquoi en est-on arrivé là ? Pourquoi l’élan de solidarité et d’empathie envers les déshérités, les victimes de la répression, les régions laissées pour compte n’aura été qu’un feu de paille?
Il me semble que, pris dans le tourbillon du juridisme dominant l’après-révolution, on n’a pas pris le temps de faire mûrir le débat qui aurait dû s’articuler avant tout sur les moyens de répondre à la demande populaire de dignité, de liberté et de justice. Et voilà que nous disposons d’une inflation de lois et de réglementations sans que le changement souhaité par le peuple ne se produise ! Certaines de ces lois ne sont pas délibérément appliquées, d’autres sont inapplicables, d’autres expriment des intentions de réformes cosmétiques et bien d’autres sont surtout nourricières de querelles et de conflits sans fin.
C’est par exemple ce que l’on observe actuellement à l’occasion du vote de la loi de finances, aussitôt votée, aussitôt portée devant l’instance du contrôle de la constitutionnalité des lois. Elaborée sans suffisamment de maturation des débats participatifs impliquant la société civile, des organisations de cette dernière se sont rebiffées. Au lieu de chercher à générer des synergies salvatrices, les institutions, les organisations de la société civile, les corps professoraux et autres composantes du système Tunisie fonctionnent en silos, dans l’entre-soi, à l’intérieur de cloisons plus ou moins étanches de sa «propre rationalité», de ses intérêts, de ses ambitions, c’est selon! Alors le sens de l’intérêt commun partagé par le plus grand nombre n’émerge pas ou n’est pas perceptible pour les acteurs. Reste la tentation de la contrainte que pourrait exercer l’Etat au nom de la loi avec tous les aléas autour mettant en doute le succès de son entreprise. Son échec patent à mener des réformes structurelles est en train d’alimenter les oppositions et de renforcer la radicalisation de ceux qui ne jurent que par leurs intérêts particuliers ou de leur idéologie. En témoignent les prises de bec à l’ARP et les chamailleries qui meublent les plateaux de télévision.
Que se passerait-il si aujourd’hui on changeait de paradigme et que chacun reconnaisse que sa rationalité est limitée? Ou plutôt que chacun s’interroge sur ce qui est commun, sur ce qui fait la priorité pour un meilleur vivre-ensemble, sur ce qui est juste. Ceci dans le but de pouvoir s’auto-motiver pour servir l’intérêt commun. Et si au lieu de se rejeter mutuellement, on faisait un effort d’empathie et de compréhension de l’autre, des autres ? Cela peut paraître utopique mais passons à un exercice pratique.
Le pays est en crise, l’atmosphère est morose, le pouvoir d’achat des citoyens est en chute libre, les compétences fuient ou cherchent à fuir le pays, les médias enfoncent le clou du mal vivre…La loi de finances a provoqué une levée de boucliers de plus d’un secteur et de profession. Des partis surfent sur l’injustice inhérente à cette loi. Dans un tel contexte, quels objectifs peuvent nous réunir? Sortir d’une telle situation désastreuse bien sûr ! Alors il y a une raison de nous auto-motiver chacun dans sa position, plutôt que de subir la contrainte et se défausser de sa responsabilité car démocratie rime avec responsabilité, ce que l’on oublie souvent. Prenons le cas des institutions financières et des grandes surfaces qui génèrent un chiffre d’affaires conséquent. Pourquoi attendre qu’une loi vienne leur imposer une contribution au budget au moyen d’une taxe supplémentaire? N’ont-elles pas intérêt à ce que l’économie fleurisse, que les citoyens vivent mieux et consomment les produits locaux (puisque ces produits représentent plus de 80% des marchandises exposées dans les grandes surfaces, dixit le président de leur chambre syndicale), qu’ils épargnent, que les écoles et les hôpitaux fonctionnent dans de meilleures conditions, que l’investissement se développe? Si les dirigeants de ces institutions voient en cela leur intérêt, alors c’est dans le cadre d’une politique de responsabilité sociétale qu’ils pourront inscrire leur contribution à la sortie de crise. Sans attendre des mesures contraignantes, ils peuvent contribuer volontairement à sauver une situation qui s’aggrave de jour en jour. Un tel raisonnement basé sur une perception de l’intérêt général peut s’appliquer à toute organisation mais à condition d’un retour à la confiance. Et c’est à cela que doivent s’employer le gouvernement et toutes ses institutions. L’engagement pour un projet commun l’exige dans un contexte qui se veut démocratique et où c’est la confiance dans les institutions qui manque le plus aujourd’hui.
Riadh Zghal
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