En finir avec le syndicalisme de papa
Pour une fois que le secrétaire général de l’Ugtt se montre aussi conciliant et salue « la volonté du chef de Gouvernement d’éviter une crise sociale dont l’issue serait incertaine », ne boudons pas notre plaisir. Survenant quelques jours après l’intention proclamée des dirigeants de la centrale de s’impliquer directement dans les prochaines élections, la nouvelle posture de Noureddine Taboubi détonne dans cette grisaille de mauvaises nouvelles du début de l'année 2019, constituant une mince lueur d’espoir : elle peut bouleverser radicalement les rapports de force dans le pays à un moment où les Tunisiens, désespérés par l’incurie de la classe politique, semblaient se résigner à la fatalité d’une défaite cuisante des partis séculiers à ces élections face à un parti islamiste sûr de lui et dominateur.
Jusque-là, nos syndicalistes semblaient se complaire dans ce rôle éminemment confortable de spectateur et parfois de donneur de leçons. Mais devant la gravité de la situation, ils ont dû se raviser. En fait, cette situation n’est pas inédite. Elle constitue un retour aux sources du syndicalisme tunisien. Rappelons-nous : dans les heures les plus sombres de la lutte nationale et alors que la plupart des dirigeants croupissaient dans les geôles françaises, c’était Farhat Hached qui avait spontanément pris la tête de la lutte armée comme si cela tombait sous le sens. Le 5 décembre 1952, le secrétaire général de l’Ugtt a été assassiné non pas en tant que syndicaliste, mais en tant que chef de la résistance tunisienne. Au lendemain de l’indépendance, la centrale syndicale s’était alliée avec le Néo-destour lors des élections constituantes de 1955 puis aux élections présidentielles et législatives de novembre 59 dans le cadre d’un front national. Nombre de dirigeants destouriens comme Ahmed Ben Salah ou Abdallah Farhat étaient à l’origine des dirigeants syndicalistes. Jusqu’à 1978, le secrétaire général de l’Ugtt siégeait au bureau politique du parti. D’ailleurs, c’est cette réelle synergie entre les deux principales forces de l’époque qui avait permis à la Tunisie d’enregistrer des résultats probants dans sa lutte contre le sous-développement pendant les deux premières décennies de l’indépendance. Il est donc grand temps de rééditer cette expérience qui a beaucoup profité au pays.
Avec tous les défis qu’il faut relever, la crise économique, la menace du terrorisme, le mécontentement de la population face à la hausse vertigineuse des prix, la Tunisie est aujourd’hui grosse d’une nouvelle révolution qui risque de balayer tout sur son passage pour le plus grand bonheur des tenants du chaos créateur et du grand soir. Heureusement, le pire n’est jamais sûr. Ce dont le pays a surtout besoin, aujourd'hui, pour éviter le naufrage, c’est de solidarité et d’un climat apaisé pour réfléchir à un autre développement, une autre gouvernance et surtout un autre syndicalisme. Car tel qu’il est pratiqué, celui-ci ne peut que conduire le pays à sa perte.
Oui Il faut en finir avec ce syndicalisme de papa dont le rôle se limite à revendiquer encore et toujours, à suivre la base, même dans ses égarements. Les déclarations de Noureddine Taboubi sont peut-être les prémices d’une conscience retrouvée après tant de fourvoiements. La participation de l'Ugtt à la gestion de l’Etat permettrait aux syndicalistes de sortir de leur cocon, de percevoir les problèmes du pays d'un autre point de vue, de prendre conscience de la complexité de la situation et surtout d’atténuer les effets néfastes de l’économie de marché d’une couche de fibre sociale pour donner corps à leur grand dessein d’économie solidaire.
Laisser des politicards qui ont dépassé de loin leur niveau d'incompétence et de surcroît obnubilés par leurs ambitions personnelles, gambader tels des cabris sur la scène politique, en toute irresponsabilité, serait plus qu’un crime, une faute.
H. Behi