Walid Bel Hadj Amor: 2019 Une année de rupture dans un monde incertain
L’échec des politiques social-démocrate ou social-libérale dans la mise en œuvre de modèles solidaires fait aujourd’hui le lit des thèses simplistes prônées par les conservateurs et les nationalistes. Les populismes et le repli sur soi ont le vent en poupe. Le multilatéralisme se trouve secoué dans ses fondements et avec lui les thèses de la mondialisation et du libre-échange. C’est l’affrontement entre ceux qui pensent qu’il y a trop de solidarité et ceux qui pensent qu’il n’y en a pas assez, ceux qui veulent plus d’ouverture et ceux qui en veulent moins, alors que la question serait plutôt : quelle solidarité et quelle ouverture voulons-nous ?
Le monde affiche un endettement record qui ne profite pas aux plus faibles, tant la précarité se renforce et les inégalités se creusent dans un monde où les marchés court-termistes font la loi. La mondialisation ne peut être synonyme d’uniformisation et ne peut se contenter d’appuyer l’idéologie du libre-échange sans être questionnée sur ses effets sur le bien-être des populations. Il y a beaucoup trop de souffrance et pas assez d’espoir pour continuer à gouverner de la même manière.
Les technologies, si elles apportent du confort aux utilisateurs, ne doivent pas précariser la société et affaiblir les plus faibles, elles doivent contribuer à combler les écarts plutôt qu’à les creuser. Elles doivent servir une solidarité fondée sur l’inclusion économique et l’autonomisation plutôt que sur l’aumône.
La démocratie élective a vécu et n’est plus en mesure d’apporter les réponses attendues. Les citoyens n’acceptent plus qu’une poignée de gens, fussent-ils élus au suffrage universel, accaparent le pouvoir, pour n’être jugés que quelques années après. Les mouvements citoyens se multiplient et l’investissement de la société civile devient de plus en plus fort, réclamant une moralisation et une redevabilité immédiates de l’action politique.
Dans tout cela, la Tunisie post-2011 n’a pas su trouver sa place, faute d’avoir pu s’accorder sur les choix fondamentaux qui s’imposent. L’année 2018 est perçue au mieux comme une année pour rien, au pire comme une année où le pays se sera enfoncé dans le modèle d’une économie low-cost et l’Etat dans la faillite sociale, morale et politique.
Une transition politique bloquée et avec elle des leviers économiques qui ne répondent plus, affectés qu’ils sont par les distorsions créées par un secteur informel florissant et une corruption galopante qui poussent la logique comptable des finances publiques à asphyxier l’investissement, pourtant seul poumon capable d’insuffler encore un peu d’air à une reprise à laquelle peu croient encore.
Dégradation du service public dans l’éducation, la santé et le transport sous l’effet de revendications, légitimées par le populisme, totalement déconnectées de la réalité économique.
Paupérisation de la classe moyenne dans un paysage peu enclin à se réformer, où chacun campe sur ses positions, cherche à préserver ses avantages sans avoir la capacité de se projeter dans un environnement réformé où tous y gagneraient.
Tous les voyants sont au rouge et seul un scénario de rupture pourrait mettre la Tunisie sur une voie économiquement plus performante et socialement plus juste, où chacun aurait prise sur son destin. Pour identifier un scénario de rupture plausible, il faut s’appuyer sur les signaux faibles. Or le seul indice positif à retenir en 2018 reste la mobilisation de la société civile lors des élections municipales. Artisane de la révolution, elle avait su se remobiliser en 2013 et elle démontre encore une fois qu’elle est capable de se mobiliser lorsque nécessaire, pour sauver ce qui peut l’être encore.
Or, 2019 sera une année électorale où, là encore, les enjeux politiques prendront le pas sur les enjeux économiques. Ce pourrait être une année de consécration de l’action civile et citoyenne, annonciatrice de la fin d’un cycle. En effet, l’abstention sans cesse croissante, la défiance vis-à-vis des partis qui voient leur nombre d’adhérents baisser sont autant de signes de la mort clinique irrémédiable du modèle des partis politiques.
On pourrait imaginer un tel mouvement être reconduit lors des prochaines législatives comme probable et unique voie d’un sursaut citoyen pour mettre fin à la médiocratie et la corruption qui gangrènent un système politique chancelant. Il pourrait s’appuyer sur les technologies d’aujourd’hui pour consulter instantanément les citoyens, élaborer des programmes et justifier ses propositions. Une forme d’ubérisation de la politique qui conduirait à s’affranchir de ces intermédiaires que sont devenus les partis, uniformisateurs de la pensée et artisans de l’immobilisme.
L’ubérisation en économie est une forme d’organisation qui permet de lutter contre les monopoles, les situations de rentes et les structures corporatistes fermées. En politique, ce serait un moyen de lutte contre le monopole des partis et des professionnels de la politique. L’Uber-parti serait une organisation éclatée où chaque militant aurait une autonomie de mouvement appuyée sur un socle de valeur et non plus une unité de pensée. Ce serait une plateforme collaborative, agile, capable de transcender les générations et les catégories sociales et de porter une démarche moderniste et réformatrice.
Un outil qui permettrait d’instaurer une démocratie consultative, qui nécessiterait certainement de former un smart-citoyen autrement qu’en lui fourrant un smartphone entre les mains.
C’est là le sens de l’histoire….
Walid Bel Hadj Amor
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