Raoudha Charni Ben Azzouz: Epouse de médecin en Afrique du Sud et professeur de français au milieu des éléphants
Qu’est-ce qui peut pousser un jeune couple tunisien bien installé à partir en coopération technique à l’autre bout du continent africain et, a fortiori, au fin fond de la forêt ? Le récit du mari, qui nous est rapporté par Dr Adnène Fhima, risque d’être incomplet s’il n’est pas accompagné par le témoignage de l’épouse d’un médecin qui a fini par exercer en pleine nature sa grande passion : l’enseignement. L’histoire que nous relate Raoudha Charni, épouse du Dr Hichem Ben Azzouz, est exceptionnelle. Une leçon de courage et d’accomplissement.
Dans cette banlieue classe aisée de Blairgrowrie, Randburg, à Johannesburg, aux rues bordées de magnifiques jacarandas à la superbe floraison mauve, la maison baigne dans la verdure. Fortement sécurisée, comme partout, le toit en tuile, entourée d’un vaste jardin avec piscine, elle a rapidement pris des touches tunisiennes. Céramique de Nabeul, margoums, couffins, nattes et autres produits de l’artisanat révèlent l’identité des propriétaires. Raoudha et Hichem l’ont acquise lorsqu’ils ont décidé en 2015 de «monter» des villages lointains pour s’installer à Johannesburg. «Le remboursement du prêt nous coûte moins cher que le loyer, très élevé, nous dit-elle. Et puis, c’est bien spacieux et très commode. Nous avons tenu à y implanter une partie de notre Tunisie, avec nos signes et notre mode de vie.»
Installée sur la terrasse ensoleillée, dans son coin préféré pour lire et se poser, Raoudha jette un regard affectueux sur ses deux chiens, bien dociles, qui obéissent à ses ordres prononcés en langue arabe. Des chiens qui comprennent l’arabe, il faut aller en Afrique du Sud pour les trouver. La partie diurne de la maison est composée d’une cuisine et de deux salons. L’un, havre de paix et de convivialité, avec cheminée, et l’autre, espace de travail et de lecture, donnant sur la piscine, et doté d’un bureau et d’une bibliothèque, est jonché de livres entassés sur une table basse. Quant à la partie nocturne, elle comprend la chambre des parents et celles de leurs trois enfants : Zakaria (24 ans), Fatma (15 ans) et Khadija (14 ans).
«Maman ne travaille pas!»
Raoudha lit beaucoup. Native de La Marsa, Hichem étant un villageois de Sidi Bou Said, elle est normalienne de formation. Après l’école primaire de la rue des Roses et le lycée Carthage Présidence, elle ira décrocher son diplôme de francisante à l’Ecole normale supérieure de Tunis . Entretemps, elle connaîtra Hichem, l’épousera et lui donnera leur premier enfant, Zakaria. Son rêve est d’enseigner. Elle devra déchanter ou du moins attendre de longues années et partir sous d’autres cieux pour le réaliser. A sa sortie de l’Ecole normale, elle sera affectée à Oued Meliz, dans la région de Jendouba. Mariée et mère d’un enfant, c’était bien dissuasif pour elle. Prenant son mal en patience, elle se consacrera à élever son fils. En grandissant, Zakaria était surpris de voir sa maman, contrairement à celles de ses camarades de classe, rester à la maison et ne pas travailler. C’était pour lui ‘’un peu mal vu’’. Raoudha se décidera à travailler et sera recrutée par une compagnie de réassurances qui a besoin d’une belle plume pour sa communication.
Le médecin féru de théâtre
Hichem Ben Azzouz, son mari, a une triple passion: la médecine, le théâtre et le cinéma, la science et les arts, la rigueur et le militantisme syndical dans le secteur de la santé. Il sera comblé. Etudes médicales à la faculté de Monastir, avec comme doyens les Prs Souad Yaccoubi et Mohamed Ben Farhat, intermède de deux ans de théâtre à Bordeaux, puis retour à la blouse blanche. Médecin généraliste, il rejoindra l’Onfp, alors dirigé par Nabiha Gueddana qui avait présidé son jury de thèse et l’avait recruté à l’Office. Dr Ben Azzouz intègrera le Laboratoire de Recherches épidémiologiques du Pr Habiba Ezzahi Ben Romdhane au sein de l’Institut National de Santé Publique. Le contact avec les malades lui ayant manqué, il finira par préférer…aller dans une unité en première ligne des soins de santé de base, un dispensaire à Raoued.
«Les années 2006 - 2007 devenaient pour nous très lourdes à supporter, lâche Raoudha. La vie est monotone, l’ambiance suffocante, le climat politique insupportable, la culture, très encadrée... Tout nous poussait à partir explorer d’autres cieux. Hichem était intéressé par une affectation à Agadez, au Niger, mais elle ne s’est pas concrétisée. C’est alors qu’un ami diplomate, alors en poste à Nice, Kamel Ben Hassine, nous signale un avis de recrutement en Afrique du Sud. Sans la moindre hésitation, la décision a été rapide à prendre. Entretien effectué, contrat signé, formalités accomplies, en une semaine on a vidé la maison en invitant parents et amis à venir récupérer les meubles qui les intéressent. Zakaria avait alors 13 ans, et ne parlait pas un mot en anglais. Qu’à cela ne tienne, il s’y mettra. Pour le moment, il devait rester à Tunis pour terminer les deux mois qui restaient de l’année scolaire et nous rejoindra par la suite.»
Baptême d’Afrique australe
Le lundi 26 avril 2008 sera inoubliable pour Raoudha Charni. «C’était le jour de mon anniversaire, et aussi celui de notre arrivée en Afrique du Sud, nous dit-elle, non sans émotion. Tunis - Paris-Johannesburg et directement Nelspruit, la capitale de la province du Mpumalanga, dans la région orientale de l’ancienne province du Transvaal, au nom évocateur qui signifie « lieu où se lève le Soleil». On est tout près du parc Kruger, le plus grand parc animalier d’Afrique. On était dans un groupe de 11 médecins, pour la plupart célibataires, trois seulement étaient accompagnés de leurs familles. Inutile de vous dire que le dépaysement est total.»
Guest house, avec des maisonnettes en toit de chaume, se souvient encore Raoudha. Le jour de notre arrivée, l’électricité était coupée. Trois semaines après et alors que nous attendions notre affectation, un incendie s’est subitement déclenché dans la guest house. En deux heures, tout était parti en fumée. Heureusement que nous avions une chambre isolée à l’extérieur de la guest house et nous l’avons ainsi échappé belle. L’ambassade a rapidement accouru pour nous réconforter.
Première affectation de Hichem, ce fut à Volksrust, c’est-à-dire «repos du peuple», petite ville rurale Afrikaaner,fondée lors des grandes batailles entre Afrikaaners et zoulous en 1879, qui, d’ailleurs donneront naissance à la fédération d’Afrique du Sud dont les Etats finiront par s’unir. Nous sommes à 600 km de Johannesburg, en pleine région Afrikaaner, avec sa culture et sa langue dominante. Guest house, en attendant de trouver une maison à louer. L’Amajuba Hospital est bondé de patients. Hichem y plonge immédiatement, malgré une orientation préalable très minime du ministère sud-africain de la Santé sur les programmes, le profil très différent des pathologies des communautés qu’il va servir, caractérisé essentiellement par une très forte épidémie de SIDA et tuberculose, et de traumatismes violents combinés à un manque de moyens évidents au sein de l’hôpital. Pour y pallier il réétudiera tout seul pratiquement toute sa médecine en a et s’inscrira dans toutes les formations cliniques de la province ou nationales qui se présentent à lui, notamment en VIH/SIDA et Tuberculose. Il quittera même sa famille pour aller faire une formation de quatre mois en anesthésie et dans la pratique de la césarienne. Ce qui semble être des compétences étrangères à un médecin généraliste dans nos contrées mais absolument nécessaires pour exercer la médecine en milieu rural. La fin de l’année scolaire en Tunisie permettra à Zakaria de nous rejoindre. D’emblée, il devait rattraper, avec le renversement des saisons, l’année scolaire en Afrique du Sud.
Une ferme avec des chevaux au milieu d’une grande réserve
En le plaçant à l’école secondaire, on ne savait pas qu’il allait faire non sans surprise ses premiers contacts avec les clivages sociaux et raciaux et trouver le bon choix pour son groupe scolaire. Entre communautés indienne musulmane conservatrice, noire des townships et Afrikaaners, il était difficilement classable. Pour profiter d’un cadre de vie plus agréable, nous avons décidé d’habiter à Wakkerstroom, un lieu paradisiaque pour les amoureux de l’observation des oiseaux (Bird watching), qui viennent du monde entier s’adonner à cette passion. On y a loué une ferme de 3.5 ha, avec un élevage de chevaux et une nature luxuriante à volonté. Zakaria sera placé dans un internat à 80 km de chez nous. Lorsque Hichem a dû partir faire sa formation en anesthésie et en obstétrique, j’étais restée seule pendant quatre mois avec mes deux filles, Fatma et Khadija. Heureusement qu’on avait fait la connaissance de Sud-Africains qui sont devenus nos meilleurs amis.
La ferme devenait pesante à gérer et la vie très au ralenti. Les enfants demandaient plus d’animation. En cherchant un lieu de vie active, nos amis nous proposent de les rejoindre à Hoedspruit, un endroit magique, en plein dans le Bush, formé d’une petite ville agricole du Limpopo située entre le parc national Kruger et le Blyde River. Une réserve naturelle de 150 ha accueille une petite communauté habitant au milieu des animaux sauvages dans un cadre féerique. C’est ce qu’on cherchait le plus. On y restera cinq ans.
Notre vie sera faite de nouvelles rencontres de gens venus du monde entier et d’expériences extraordinaires très riches faites de safaris, d’aventures, de hiking dans les montagnes du Drakensberg, de découvertes d’autres cultures et de la musique de l’ethnie Shangaan du Limpopo, et de la beauté incroyable de cette région. Cette exposition a d’autres cultures et espaces nous a permis et surtout à nos enfants de prendre conscience de l’Autre, ainsi que de l’importance de l’environnement naturel africain hautement menacé.
Hichem travaillera dans un Hopital du district où il dirigera la clinique de SIDA et veillera avec son équipe sur la promotion, le traitement et le suivi de près de 12 000 patients de la communauté atteints par le VIH. Il sera aussi nominé en tant qu’enseignant honoraire avec la prestigieuse Université de Wits de Johannesburg, qui fera appel à ses compétences pour enseigner la prise en charge des malades du SIDA en milieu rural, aux étudiants de 5ème année médecine et aux Assistants cliniciens, au cours de leur stage d’externat à l’hôpital.
Voulant également poursuivre sa passion du cinéma, il réalisera un film documentaire qui sera produit par une société américaine. Ce film s’intitule «Fishing on the Line» et dans lequel il donne une voix a une vieille communauté de pêcheurs du Cap de l’Ouest, luttant contre sa propre disparition programmée. Son film sera programmé dans une salle de cinéma à Cape Town en présence de la communauté de pêcheurs puis dans un festival de cinéma à Tunis.
Tombé amoureux du jazz sud-africain, il parviendra á connecter ses amis blancs du bush où il y vit avec sa famille et ses amis noirs de l’ethnie Shangaan où il travaille et ce en organisant des soirées de jazz avec les deux communautés qui se côtoient sans vraiment se mélanger.
Eléphants et girafes
L’un de mes meilleurs souvenirs, je le garde d’un soir lorsque je rentrais d’un dîner avec des amis. Il faisait noir et la route, évidemment, n’était pas éclairée. D’un seul coup, je vois surgir devant moi une montagne grise. Je m’arrête effarée et c’est là que je découvre qu’il s’agit d’un grand éléphant qui traversait la route. D’habitude, c’est des girafes qu’on voit s’élancer gaillardement devant nous le matin. Mais un éléphant, si près je n’y étais pas habituée.
Notre bonheur était inégalé, d’autant plus que, finalement, je commençais à réaliser mon rêve d’exercer ma véritable passion : l’enseignement. Je débute avec un petit groupe de cinq élèves, dans une école privée située en plein bush, très bien structurée où on y mettra nos enfants qui jouiront d’une éducation orientée sur le bush, ses animaux et l’environnement.
L’appel de Johannesburg
Décembre 2013 : c’est la fin de l’année scolaire. Zakaria a décroché son bac et doit aller dans une bonne université. Les filles qui ont grandi en pleine nature, entre girafes, zèbres et autres animaux, veulent habiter désormais dans une grande ville. C’est ainsi que nous avons décidé de nous installer à Johannesburg. Hichem y a demandé sa mutation et l’a obtenue. Il sera affecté au Krugersdrop Hospital. Il y restera neuf mois.
Dès 2014, il préfèrera travailler en tant que conseiller technique de programmes, spécialisé dans les maladies infectieuses, notamment le sida, auprès d’organisations non gouvernementales. Devenu par la suite Programme Manager dans la prévention biomédicale du sida, et gérant une équipe pluridisciplinaire de 200 personnes, il met en partage son expertise et sa connaissance du terrain.
Pour ma part, j’ai été rapidement recrutée en tant que professeur de langue française dans un lycée de jeunes filles. Le campus en Afrique du Sud réunit en un même lieu tous les niveaux à partir de l’âge de 3 ans jusqu’au bac. Le système est fondé sur les valeurs universelles à inculquer, d’où un très grand respect voué à chacun. Outre l’enseignement, les programmes comptent une large palette d’activités sportives, culturelles et sociales. C’est ainsi que chaque élève est tenu d’effectuer un certain nombre d’heures obligatoires consacrées à des travaux en faveur de la communauté. Avec les squatters dans la plus haute tour d’Afrique Tout récemment, j’ai conduit avec mon groupe une mission très particulière à Ponte Tower, un gratte-ciel cylindrique creux du quartier de Hillbrow de 54 étages, s’élevant à 173 m, construit en 1975. C’est le plus haut d’Afrique et le plus peuplé de par la densité de ses résidents. Abandonné par ses habitants, il a été occupé par des squatters venus de tous les pays voisins, notamment des francophones du Congo qui se trouvent dans une grande précarité. Notre action consiste à prendre en charge les enfants et les jeunes issus de familles francophones pour leur apprendre la langue française. Une mission très exaltante qui porte ses fruits.
La Marsa toujours dans le cœur
La tête en Afrique du Sud, les pieds dans son lycée et ses activités sociales, le cœur de Raoudha est à La Marsa, en Tunisie. Elle n’arrive pas à s’en détacher. Le chien remue sa queue. Khadija débarque de sa chambre pour aller prendre un jus. Sa sœur aînée, entendant notre conversation en tunisien, rapplique. Zakaria était déjà parti tôt le matin. Féru de cinéma, il s’intéresse au marketing digital. Pour préparer son nouveau projet de film documentaire, Hichem devait assister ce jour-là à un atelier de création pour storytelling. A son grand regret, il ne pouvait être là. Le téléphone portable sonne. C’est lui au bout du fil pour s’excuser de son absence et nous souhaiter la bienvenue. «Il faut revenir vite pour qu’on vous raconte l’autre partie de l’histoire », nous invite-t-il. Une aventure qui mérite bien un complément de récit.
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