Ahmed Ben Salah et l'expérience collectiviste en 570 pages
Monumental ! A la mesure de l’homme, l’ouvrage que lui consacre Salem Mansouri est exceptionnel. Sous le titre Ahmed Ben Salah et son temps, en 570 pages, grand format, publié aux éditions Nirvana, et préfacé par Chedli Klibi, l’ancien ministre du Plan et des Finances de Bourguiba se révèle sous des angles souvent peu connus. Chercheur universitaire, ancien gouverneur et P.D.G. d’entreprises publiques, l’auteur connaît son « héros » depuis près de 50 ans. Admis dans son cercle restreint, engagé dans le comité qui a pris sa défense formé à Paris en 1970 sous la présidence de Jean-Marie Domenach (Esprit), lui rendant visite dans son exil, et resté à ce jour l’un de ses visiteurs assidus, Mansouri est un témoin précieux et un confident privilégié. Auteur d’un ouvrage sur « La Mission de l’Ugtt 1946 - 1956» (Sud Edition, 2013), il allie la double connaissance de Ben Salah et de son moule fondateur, la centrale syndicale ouvrière. C’est en effet Farhat Hached qui mettra Ben Salah sur la rampe de lancement, l’enverra pour un long séjour auprès de la Cisl à Bruxelles, le préparant ainsi à assurer sa relève, après son assassinat, à la tête de l’Ugtt.
L’ouvrage revient longuement sur les différentes étapes du long parcours de Ben Salah : son enfance à Moknine, ses études à Sadiki, puis à Paris, sa proximité de Moncef Bey dans son exil à Pau, jusqu’à son décès, puis son inhumation au Jellaz, ses années d’enseignant à Sousse, son adhésion à l’Ugtt, son action syndicale militante, son accession au cabinet, puis au gouvernement de Bourguiba, les années de ministre, puis la descente aux enfers. Documents à l’appui, l’ouvrage nous fait revivre les circonstances du renoncement au socialisme destourien et l’abandon du collectivisme, l’arrestation, le procès et les tentatives d’empoisonnement qui avaient résolu Ben Salah à opter pour son évasion de la prison du 9 Avril et les années d’exil.
S’il lève un coin de voile sur tant de péripéties et d’intrigues au sommet de l’Etat, l’ouvrage a surtout le mérite d’expliciter les contextes idéologiques et politiques, de balayer tant de mythes et de fausses rumeurs, et d’apporter des clarifications utiles. Au-delà de Ben Salah et de son époque, c’est un pan important de l’histoire contemporaine de la Tunisie qui est présenté, sans passion ni parti pris, avec le recul nécessaire. Même si un complément reste à apporter par les autres protagonistes.