Habib Touhami: Un parti «étacide» (1)
L’existence d’un appareil clandestin au sein du parti Ennahdha ne cesse de susciter passions et polémiques. Mais le débat restera tronqué tant que certaines constantes historiques ne seront pas prises en considération. En effet, tous les partis politiques «totalitaires» ou ayant vécu longuement dans la clandestinité ont constitué un appareil clandestin. La spécificité d’Ennahdha ne réside pas dans l’existence de cet appareil avant le 14 janvier 2011, mais dans son maintien après, au sortir de la clandestinité et malgré l’accession au pouvoir.
Deux raisons expliqueraient ce maintien. Imbu de la conception séculaire selon laquelle la «Omma» prime sur la Nation, le parti Ennahdha fait peu de cas de l’Etat tunisien, son expression politique et territoriale. Faute de le mettre à bas, du moins dans une première phase, Ennahdha mit tout en œuvre pour l’intimider et le noyauter comme le confirment plusieurs déclarations publiques ou privées des principaux dirigeants d’Ennahdha eux-mêmes. La seconde est que quarante ans de clandestinité ont développé chez les dirigeants et les militants de ce parti des réflexes « conditionnés » et une culture du secret et du complotisme. La pratique du camouflage et du double langage, l’intimidation et le fichage de tous, « amis» compris, en constituent les «résidus» ataviques.
Quelles seraient les raisons «pratiques» ayant conduit Ennahdha à maintenir actif son appareil clandestin ? La première est que ce parti s’attend à être mis hors la loi à la première occasion. L’exemple égyptien lui donne à réfléchir. Il lui faut donc maintenir son appareil clandestin au cas où une telle éventualité se produirait. La deuxième est que le noyautage de l’Etat et de la population a ses limites. Le parti Ennahdha ne se fait pas beaucoup d’illusions sur la fidélité et la solidité des nouveaux «convertis». Il sait par expérience que la vitesse des lâchages est au moins égale à celle des conversions. La troisième concerne l’environnement régional et international. Après avoir favorisé les desseins d’Ennahdha, le vent semble tourner pour les contrarier. Il lui faut donc maintenir vivace un noyau dur, inébranlable et sacrificiel.
Toutefois, un fait «culturel» et politique essentiel doit être pris en considération. Face à une tradition néo-destourienne, excessive peut-être, faisant de l’Etat le point de concordance nationale et le moyen d’atteindre les objectifs socioéconomiques du développement, Ennahdha répond par une vision radicalement opposée prônant le libéralisme économique et remettant en cause les attributs de l’Etat tunisien, y compris certaines de ses fonctions régaliennes. C’est précisément ce fait qui doit retenir l’attention malgré le ralliement opportuniste au parti Ennahdha de certains destouriens «défroqués».
(1) le suffixe Cide signifie tueur. Exemple : parricide : celui qui tue ses parents. Etatcide, littéralement, c'est le parti qui tue l'Etat.
Habib Touhami
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