Férid Ben Brahim : Les origines de l’explosion du refinancement des banques tunisiennes
L’excès de financement des entreprises et des personnes physiques issu de la hausse des crédits par rapport aux dépôts a généré une création monétaire qui est sortie du circuit fiduciaire classique et qui est venue alimenter l’inflation, l’économie parallèle et par conséquent, affaiblir également le dinar.La liquidité bancaire mesure les disponibilités des établissements de crédit en monnaie centrale. Celle-ci est émise par la banque centrale sous deux catégories: les billets de banques et les avoirs en compte auprès des banques centrales déposés par les banques commerciales et par le Trésor.
Deux cas de liquidité peuvent se présenter:
- la monnaie centrale est rare: ces établissements de crédit sont structurellement endettés à l’égard de la banque centrale. Ils peuvent, cependant, se procurer des liquidités en monnaie centrale par la mobilisation auprès de cette dernière d’une partie de leurs actifs.
- le second cas correspond à une situation où la monnaie centrale est abondante. Les établissements de crédit deviennent indépendants de la banque centrale et peuvent développer plus largement leurs crédits que dans le cas précédent.
Le refinancement de la banque centrale des banques résidentes entre dans le cadre de la mission d’exécution de la politique monétaire de la BCT.
Depuis 2010, nous sommes passés d’une ponction de liquidité (refinancement négatif) d’une moyenne de près d’un milliard de dinars au mois de janvier 2010 à une injection de liquidité (refinancement positif) d’une moyenne proche de 16 milliards de dinars au mois de septembre 2018.
Le volume de refinancement se décompose selon les instruments suivants:
- Les appels d’offres de la BCT: mise en pension aux banques des effets publics négociables ainsi que les créances ou valeurs sur les entreprises et les personnes physiques conformément à une liste arrêtée à cet effet par le conseil de la BCT. Cette catégorie était le véhicule principal de refinancement avant d’être capée à 7 milliards de dinars depuis le mois d’Août 2017. Son coût de refinancement est généralement proche du taux directeur de la BCT.
- La facilité à 24 H: ce mécanisme de réglage fin est supposé être ponctuel pour répondre aux insuffisances de liquidité des banques de la place. Etant donné le plafonnement du volume de l’appel d’offre, cette catégorie a pris le relais. Le volume moyen de cette catégorie a atteint, au mois de novembre 2018, 4 544 millions de dinars. Son coût de refinancement est égal au taux directeur plus 1% qui est la moitié du corridor soit actuellement 7,75%.
- Swap de change: en vertu des dispositions de la circulaire n°2013-19 du 27 décembre 2013, la Banque Centrale a décidé d’effectuer des opérations de swap de change avec les banques, qui consistent à acheter ou vendre des dinars au comptant contre devises et, simultanément, les revendre ou les racheter à terme, à une date et à un taux de change prédéterminés. Le volume moyen de cette catégorie, au mois de novembre 2018, est de 2 619 millions de dinars. Son coût de refinancement est actuellement proche de 8,74%.
- Pension de bons du Trésor à 3 mois: ce sont des opérations de prêt d’argent contre mise en garantie des bons du trésor. Son encours moyen depuis le mois de novembre 2018 est de 338 millions de dinars. Son coût de refinancement est proche de celui de l’appel d’offres.
- Open market: c’est le rachat des BTA à des taux proches de ceux des émissions sur le marché primaire du Trésor. L’encours moyen de cette catégorie sur le mois de novembre 2018 est de 1 579 millions de dinars.
Un emballement des crédits largement au dessus de l’épargne nationale
Les crédits à l’économie ont littéralement explosé passant de 32,5 milliards de dinars au premier semestre 2010 à 76 milliards de dinars en juin 2018 (+134%) tandis qu’aux mêmes dates, les dépôts sont passés de 32,3 milliards de dinars à 61,6 milliards de dinars (+91%).
Au 30 juin 2018, le déficit entre les crédits accordés et les dépôts reçus par les banques s’élève à 12,2 milliards de dinars contre un excédent de dépôts de 918 millions de dinars au 30 juin 2010.
Bien évidemment dans la même tendance le ratio LTD passe de 98% au 1er trimestre 2010 à 120% en juin 2018.
Pour résumer, nous pouvons affirmer que la forte progression de la demande de financement venant des entreprises et des ménages issue du différentiel entre la demande de crédits par rapport à celle des dépôts a généré une création monétaire qui est sortie du circuit fiduciaire classique et qui est venue alimenter l’inflation, l’économie parallèle et par conséquent, affaiblir également le dinar.
Plusieurs pistes peuvent se présenter pour tenter de limiter voire de résoudre ce problème:
- Une véritable politique de décashing qui s’appuierait sur les paiements par chèque pour les transactions dépassant un certain montant et la généralisation des moyens de paiement électronique pour tous les opérateurs économiques à travers notamment le renforcement de l’offre de la SMT (moyens de paiement électronique, cartes, …) et sur l’amélioration des services des opérateurs de l’économie numérique. Cette politique de décashing devrait être initiée par l’Etat qui n’accepterait plus par exemple les paiements en liquide pour les impôts qu’il perçoit alors qu’aujourd’hui il refuse ce qui n’est pas en cash.
- Une stratégie claire et visible sur le long terme de la politique de change qui rompt avec le glissement systématique et continu du dinar.
- Une intégration de l’économie parallèle dans le circuit formel via une amnistie fiscale avec un taux de taxation forfaitaire peu élevé qui permettrait à l’argent non déclaré de revenir dans le circuit.
- Une amnistie de change pour rapatrier l’argent en devises déposé dans les banques étrangères ou sous forme de cash.
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Férid Ben Brahim
Directeur général de l’AFC