Mohamed Adel Chehida: Chronique d’une journée consulaire en Italie (Vidéo)
Il y a un mois j’ai rencontré le maire de la ville où j’habite (Porto San Giorgio) et je lui ai proposé de nous offrir un local pour inviter une équipe consulaire tunisienne de Rome afin d’offrir aux Tunisiens résidents dans le Marche la possibilité d’accomplir les formalités administratives dont ils pourraient avoir besoin et leur éviter ainsi de se déplacer à Rome, il a accepté volontiers. L’année dernière la même initiative a été une réussite.
J’ai donc contacté le consul intérimaire de Tunisie à Rome qui m’a expliqué courtoisement les difficultés de la situation et le manque de personnel au consulat, il m’a proposé de profiter de l’arrivée d’une équipe spécialisée du ministère de l’intérieur dans le renouvellement des cartes d’identités tunisiennes, il m’a promis de me recontacter pour me donner son accord.
A travers notre association (ATI AssociazioneTunisini in Italia) et avec les moyens de bord nous avons informé les autres associations tunisiennes actives et un maximum de personnes. La journée s’est tenue le 11 novembre 2018.
Ici j’ouvre une parenthèse car certains compatriotes ont demandé pourquoi telle ville putôt qu'une autre, chose qui m’a laissé un peu perplexe, la critique est facile!
Deux jours avant le rendez-vous fixé et avec nos modestes moyens, nous avons fait un cadeau symbolique à la mairie, une lithographie d’une artiste tunisienne, en signe de reconnaissance. La mairie a mis à notre disposition une photocopieuse, de l’eau minérale et un employé.
Dimanche à 8 heure du matin, belle journée automnale, on distribue les numéros de passage aux nombreuses familles présentes, à 10 heure arrive le consul et son équipe, le maire de Porto San Giorgio Monsieur Nicola Loira nous reçoit et met à notre disposition la salle de réunion des élus en honneur de la communauté tunisienne, et dit un petit mot de bienvenue à nous tous.
A cet instant-là, mes pensées s’envolent en observant mes concitoyens adultes, jeunes, femmes, même enfant et bébés,je réalise combien l’activisme associatif et le volontariat peuvent aider à créer un pont culturel réel. Tout se passe dans l’ordre et avec grande professionnalisme et disponibilité de la part du l’équipe consulaire. Ce jour-là se sont même présentés des jeunes clandestins qui souhaitent régulariser leurs situations. Evidemment nous avons eu des discussions passionnées avec eux.Salah est en Italie clandestinement pour la sixième fois (sic) !Il est marié et a deux enfants. Je lui pose la question classique, Pourquoi risques-tu ta vie? Ne serait-il mieux pour toi de vivre modestement en Tunisie auprès de tes proches? A ma grande surprise, il me répond: Docteur vous n’avez pas une idée à quelle point est devenu difficile d’assurer le minimum vital en Tunisie, je préfère les 25 à 30 euro journalière au noir ici pour des travaux d’agriculture en espérant que «Yhillha Rabbi». Sami 19 ans clandestin. Il est presque imberbe, visage tendu, blouson noir et cigarette à la main, je lui adresse la parole, n’est-il pas mieux de prendre un café avec les amis que de se trouver ici dans le froid dans une situation irrégulière et risquer de perdre la dignité ou même la vie ? Il me regarde profondément en inspirant longuement sa cigarette, il s’énerve (toujours respectueux) et me répond: Doc moi j’ai fêté mes 18 ans en prison, à 17 ans j’étais avec des amis «fil Houma» arrive la Baga pour une rafle nous bloquent à la recherche de la «zatla», un policier me demande de baisser mon slip en pleine rue, j’ai refusé et ceci m’a couté une année de prison.
Là je réalise combien il est urgent pour nos élites, nos gouvernants, nos sociologues et ceux qui ont pris les commandes de la Tunisie depuis 2011 et quiprétendent être issus du peuple et le représenter, toutes ses élites et autres doivent urgemment se pencher sérieusement sur ses problèmes. Il est impératif de cerner les problèmes de notre jeunesse et de commencer à les traiter sérieusement!
Si je décris cette journée consulaire c’est bien pour mettre l’accent sur l’importance de la synergie entre le travail associatif comme lien entre les citoyens et les autorités institutionnelles aussi bien tunisiennes qu’italiennes. Bien d’autres associations ont organisé le même type de journée avec d’autres consulats, je citerai à titre d’illustration nos amis à Imola, à Cavezzo, à Palerme.
Ceci illustre depuis deux ans d’une reprise progressive en Italie de la confiance, entre les représentations diplomatiques et le citoyen. Avant 2011 seuls les pro-RCD à travers leurs «raïs chooba» du coin avaient droit à la parole.
Certes il y a bien d’autres sujets que nos diplomates devraient avoir le courage d’affrontersans calcul. Je citerais l’enseignement de l’arabe qui est totalement à la dérive et sans aucun vrai contrôle. Pour faire court je dirai que c’est un embrigadement en règle de nos enfants. Ailleurs, se posent d‘autres problèmes, l’exemple de Turin où il y a 2 enseignants pour un maximum de 10 à 15 enfants à raison de 4 heures par semaine, aucun enseignant d’arabe n’a été renouvelé cette année à cause des conflits politiques entre les partis. Ils veulent instrumentaliser l’école, c’est clair! Le chemin initié est long mais il n’y aura pas de marche arrière si une collaboration sur base de confiance et où seul l’intérêt des tunisiens à l’étranger comptera. Monsieur le ministre pour les Tunisiens à l’étranger vous avez une mission très importante et un travail difficile mais il est essentiel, plus de 10% des tunisiens vivent à l’étranger.
Dr Mohamed Adel Chehida
Président association ATI