Mehdi Taje - La Tunisie et le Sahel africain : comprendre par la géopolitique pour mieux coopérer
Fin septembre 2018, la Tunisie abritait une réunion réunissant l’Etat-Major du commandement américain pour l’Afrique (AFRICOM) et les responsables du renseignement militaire de 13 pays d’Afrique du Nord, du Sahel et d’Afrique de l’Ouest. Cet événement, inaugural pour la Tunisie, marque un net rapprochement entre Tunis et Washington quant aux problématiques sécuritaires et de renseignement relevant du Maghreb et de sa profondeur sahélienne, deux espaces en profonde restructuration sur les plans géopolitiques et sécuritaires. Parallèlement, un récent rapport publié par la plateforme des vétérans américains, Task and Purpose, citant des officiels du Pentagone mentionne l’intervention militaire directe aux côtés de l’armée tunisienne de « bérets verts » dans le cadre de combats contre des groupes terroristes retranchés dans le mont Sammama(1) . Cette information est reprise par la lettre hebdomadaire d’informations stratégiques TTU en ces termes : « Sept mois après l’embuscade de TongoTongo au Niger, une unité de Raiders des Marines, en équipe intégrée avec les Tunisiens, a donné l’assaut contre la branche locale d’AQMI, en attaquant le bataillon Uqba Ibn Nefaa dans les monts Semmama, près de la frontière algérienne. Une opération soutenue par la composante aérienne des Marines (ISR, Suppression)(2) » .
En se référant à ces sources, Tunis s’érigerait ainsi en nouveau poste avancé des Etats-Unis en Afrique du Nord et au Sahel. Il s’agirait d’une rupture par rapport à l’histoire tunisienne et aux fondamentaux de la diplomatie mis en place depuis l’ère bourguibienne tout en révélant un tropisme américain marquant la quête d’une réassurance sécuritaire dans un environnement complexe et volatile. Dans le cadre du reclassement en cours des puissances à l’échelle planétaire, de la nervosité algérienne croissante à l’approche des échéances électorales de 2019, des rivalités exacerbées, y compris entre Occidentaux (France, Etats-Unis, Italie, Allemagne, etc.), du retour en force de la Russie et de la Chine en Méditerranée et au Maghreb, de stratégies complexes et rivales des pays du Golfe, de la Turquie, etc. il convient pour les autorités tunisiennes de bien saisir les ressorts de la géopolitique de l’espace sahélien, des facteurs alimentant une conflictualité chronique et le jeu des puissances en cours afin de se positionner au mieux de ses intérêts stratégiques.
Derrière la menace terroriste, des stratégies de l’ombre complexes sont à l’œuvre. Tel un médecin, il convient de poser le bon diagnostic afin de prescrire le remède adapté loin de toute considération idéologique. Il s’agit de décrypter la personnalité et le génome stratégiques de cet espace dérégulé et fragmenté, sources de multiples menaces mais également riche d’opportunités qu’il convient d’être en mesure de saisir avant un concurrent. A cet effet, il est indispensable de comprendre et d’analyser pour mieux décider et agir. Telle est la modeste ambition de ce Policy Paper s’adressant aussi bien aux autorités politiques et sécuritaires qu’aux chefs d’entreprises tunisiens désireux d’investir dans la région.
Tunis, le 26 Novembre 2018
Mehdi Taje
Géopoliticien et prospectiviste,
Directeur de Global Prospect Intelligence
(1) Voir pour de plus amples détails : https://www.le1.ma/la-tunisie-nouveau-pc-avance-des-usa-en-afrique-du-nord-et-sahel/
(2) Lettre TTU, N°1121, 26 Septembre 2018, p.1.