Le projet de Loi relatif à "la répression des atteintes contre les forces armées" et laprotection annoncée des militairesen opérations !
Le projet de Loi relatif à "la répression des atteintes contre les forces armées" refait surface et relance un débat des plus tendus, déjà quant à son intitulé,sa pertinence,aux risquesd’atteinte aux libertés et droits et d’autres craintes plus ou moins fondées.Suite à l’attentat suicidaire du 29 octobre écoulé à l’Avenue Habib Bourguiba, et en signe de soutien aux Forces de Sécurité Intérieure (FSI), le Président de l’ARP a appelé à accélérer l’examen du dit projet par l’ARP.La tendance générale serait plutôt pour un nouveau projet de loi, plus consensuel, résultant d’un débat dépassionné entre institutions concernées et société civile, et protégeant,certes, sécuritaires et militairesmais sans atteinte aux libertés.
Le projet de Loi en question, version avril 2015, initié, élaboré et défendu exclusivement par des représentants des Forces de Sécurité Intérieure, inclut, parmi les corps qu’il se propose de protéger, les membres de l’Armée Nationale, les militaires. Pour cette raison et en guise de contribution personnelle à un éventuel débat, mon propos portera dans ce qui suit sur la"protection des militaires en opérations" dans ce projet de loi, bref une lecture du projet sous l’angle strictement militaire.
Au fait, l’examen attentif du texte proposé, dans sa version d’avril 2015, permet de se rendre compte que cette loi ne protège les militaires que très partiellement, ne pallie pas non plus les vides juridiques actuels dont souffrent les militaires et ainsi, elle ne répond pas à leurs attentes quant à leur protection en opérations.
Cette loi, protège-t-elle vraiment les militaires en service commandé?
De fait, cette loi a été conçue et élaborée dans l’esprit et pour répondre aux besoins spécifiques des Forces de Sécurité Intérieure et très accessoirement, y a été incluse l’Armée Nationale. D’ailleurs, rien ne laisse indiquer, que l’Institution Militaire en a été avertie où qu’elle ait pris part à l’élaboration de ce texte. A mon avis, le besoin de protection des militaires se situe en priorité ailleurs, c’est au niveau de la responsabilité pénale personnelle.
1.Objectif et contexte général du projet de Loi
Déjà, de l’Exposé des Motifs du projet de la Loi en question, il ressort clairement que celle-ci vise la protection des agents des corps armés chargés de la sécurité publique et de veiller au respect de l’application de la Loi, en d’autres termes,essentiellement la protection des Forces de Sécurité Intérieure. Quant à l’Armée, elle ne fait pas, et ne doit pas, faire partie de ce groupe de forces, pour la simple raison que son implication dans les missions de sécurité publique, se limite en fait, comme il sera développé ultérieurement, à la seule contribution, au maintien de l’ordre,par la protection de points sensibles. De ce fait, cette Loi ne protège les militaires que dans ce cadre bien limité et non comme attendu, lors de l’accomplissement de toutes les missions institutionnelles opérationnelles ordonnées par le Commandement, en tout temps et tous lieux.
2.L’Armée et la sécurité publique
Outre l’emploi impropre del’expression « Forces Armées », les articles (11), (12) et (13) de cette Loi, stipulent successivement qu’il:
- « Est puni de trois ans d’emprisonnement …, quiconque a sciemment, dans le but de porter atteinte à la sécurité publique, fait obstacle …»;
- « Est puni de deux ans d’emprisonnement …, quiconque se rend coupable d’outrage aux forces armées dans le but de nuire à la sécurité publique…»
- « Est puni de l’emprisonnement à vie, qui conque volontairement incendie ou… dans le but de nuire à la sécurité publique. Est puni de dix ans … dans le but de nuire à la sécurité publique».
Ainsi, les actes en question ne sont condamnables que s’ils sont commis «dans le but de nuire à la sécurité publique - بالأمن العامقصد الإضرار », condition exigée dans chacun des trois articles susmentionnés, mais s’agissant d’intention, cela reste extrêmement difficile à prouver et sujet d’interprétations un peu trop subjectives.
Encore une fois, cette loi ne couvre pas toutes les agressions commises contre le personnel militaire, leurs équipements, documents et installations, mais elle se limite à celles où il est prouvé que l’intention( !) de l’agresseur est bien «de nuire à la sécurité publique », donc pratiquement le cadre du maintien de l’ordre, cadre propre aux FSI.
Ainsi, de ce qui précède ressort clairement que cette loi ne protège l’Armée, (personnels, installations, équipements, secrets …) que très partiellement, seulement dans les situations en rapport avec la sécurité publique, domaine du ressort des FSI et auquel l’Armée n’y prend part en réalité qu’occasionnellement et seulement par la protection de points sensibles.
En effet, le présent projet de Loi n’assure pas la protection attendue des militaires en opérations, une protection générale, totale, en tout temps et tous lieux, bien sûr tant qu’ils agissent en application d’ordres reçus du Commandement et conformément aux lois et règlements en vigueur dans l’Armée.
L’Armée et les missions de maintien de l’ordre
Contrairement à l’idée largement répandue, l’Armée n’assure pas de missions de maintien de l’ordre, elle y contribue quand nécessaire,et seulement par la prise en charge, à la place des Forces de Sécurité Intérieure et en coordination avec leur Commandement, de la protection de certains points sensibles. Ceci, exclut entre autres,tout frottement à la foule. Au fait, les militaires, n’ayant pas l’habilitation légale"d’officier ou d’agent de police judiciaire", n’étant pas équipés de moyens appropriés au maintien de l’ordre,permettant une réponse graduelle et proportionnelle à la menace, ils ne peuvent tout simplement pas être chargés de missions de maintien de l’ordre. Et là aussi, la loi en question, d’esprit plutôt de sécurité intérieure, ne protège l’Armée que des agressions avérées dans ce cadre, alors qu’en réalité les militaires ont grandement besoin d’un texte juridique qui les dégage surtout de la responsabilité pénale personnelle, bien sûr tant qu’ils agissent en exécution de missions ordonnées par le commandement et ce,conformément aux lois et règlements militaires en vigueur.
1.A Responsabilité pénaledes militaires en opération
Les réalités montrent que c’est au niveau de la responsabilité pénale que les militaires ont le plus besoin de protection par un texte juridique. En effet, malgré tous les textes existants, dont notamment l’article (42) du code pénal qui stipule que: "N'est pas punissable, celui qui a commis un fait en vertu d'une disposition de la loi ou d'un ordre de l'autorité compétente" et suite aux évènements de 2011, un certain nombre de militaires, agissant en application d’ordres reçus et selon le règlement et les procédures militaires en vigueur, se sont retrouvés accusés selon le cas, d’homicide volontaire ou involontaire et autres accusations aussi graves les unes que les autres. Pourquoi cet article, (42) du code pénal n’est-il pas applicableà ces militaires ? Seuls, MM les juges qui ont traité cette affaire le savent. En tout cas la législation en vigueur n’a pas protégé ces militaires, d’où le besoin d’adopter une nouvelle loi à cette fin. Ces soldats, depuis le 16 janvier 2011, affrontent encore jusqu’à ce jour, leur destin seulsface à la justice, absolument tels des criminels de droit commun! A titre d’exemple, parmi ces militaires, un homme du rang, un sous-officier et un officier supérieur se trouvent depuis plus sept ans, malmenés entre le Tribunal de Première Instance, la Cour d’Appel,de nouveau et pour la troisième fois devant la Cour de Cassation et leur sort n’est encore pas scellé. Sept ans après,ces pauvres soldats ne semblent pas au bout de leur peine, car ils restent, Dieu seul sait pour combien de temps encore, sous la menace de lourdes sentences.
Certes, il faut bien rendre justice à toute victime, mais que chacun, y compris l’Etat, l’Institution, assume la responsabilité de ses décisions, cependant, il ne faut surtout pas se tromper de responsables. Dans le cas d’espèce, il est vrai que la détermination des responsabilités est sujette à de nombreuses considérations qui découlent des spécificités du métier de soldat, du contexte exceptionnel des faits, mais certainement,à d’autres considérations que celles d’un crime de droit commun.
Ces militaires ont agi au nom et pour le compte de l’Etat, sur ordre de leur Commandement, conformément aux règlements et procédures militaires en vigueur, naturellement avec l’obligation et le devoir d’exécuter les ordres reçus sans aucune possibilité de s’y dérober. De ce fait, il aurait été impérieux que les instances judiciaires identifient d’abord les vrais responsables des conséquences de l’exécution des ordres reçus et déterminent la part de responsabilité de ces agents d’exécution, si jamais ils en avaient une part. La raison de justice veut qu’on ne puisse être responsable que de sa propre volonté et décision, ce qui présuppose la possibilité de choisir entre au moins deux alternatives, mais le militaire, a-t-il la possibilité de choisir et décider par soi-même ? Peut-il raisonnablement l’avoir, même si on voulait la lui concéder? Quelle Armée aurions-nous si chaque soldat a légalement la latitude de décider lui-même de l’opportunité d’exécuter ou non les ordres reçuspour en assumer la responsabilité? Soyons conséquents, la responsabilité des dégâts et même d’éventuelles bavures occasionnées par l’accomplissement de telles missions commandées, ne peut en aucun cas incomber aux agents d’exécution, car ceux-ci n’agissaient ni de leur propre initiative ni pour leur propre compte et n’ont aucune latitude de se dérober des instructions reçues. Au contraire, on leur demande de bien mener à terme les missions dont ils sont chargés, si nécessaire à leur risque et péril. En quoi consiste donc, leur responsabilité quant aux éventuels dégâts occasionnés par l’accomplissement de ces missions?
Pour ces raisons et pour bien d’autres, le militaire a besoin d’être protégé et dégagé, par la loi,de toute responsabilité, pénale et autre, tant qu’il agit en application d’ordres reçus du Commandement et conformément aux lois,règlements et procédures militaires en vigueur.
Le projet de loi proposé ne répond pas à ce besoin. Dans son article (18), cette protection est venue très limitée «L’agent des forces armées n’assume aucune responsabilité pénale s’il cause, dans le cadre de sa lutte contre une des atteintes prévues par les articles 13, 14 et 16 de la présente loi, des blessures à l’auteur de l’infraction ou son décès, si sa réaction était nécessaire pour …». Cette protection donc, est expressément limitée aux cas de réponses aux atteintes prévues par les articles 13, 14 et 16 sus mentionnés,et de la sorte, elle ne couvre que le volet maintien de l’ordre, mission bien spécifique aux FSI et à laquelle l’Armée n’y prend part que par la «protection de points sensibles» sans plus.
Ainsi cette loi, et contrairement à ce qui est annoncé dans son premier article, ne répond pas au besoin pressant de protéger les militaires engagés en opérations dans le cadre de leurmission institutionnelle principale, la défense du pays, y compris la guerre au terrorisme, évidemment tant qu’ils agissent dans le cadre des lois et règlements militaires en vigueur, et ce en tout temps et tous lieux.
Concepts et Terminologie
Au niveau de la terminologie et des concepts, le texte du projet de loi en question version avril 2015, comporte certaines imprécisions qui pourraient avoir d’importantes conséquences juridiques. Déjà, dans ces deux premiers articles, les expressions « Forces Armées » et « Forces portant d’armes »et d’autres désignations sont employées d’une façon impropre, en contradiction avec la Constitution même, ce qui peutau niveau juridique, prêter à différentes interprétations et confusions préjudiciables aux institutions et à leurs agents.
- L’article premier du dit projet de loi définit ainsi son objectif «La présente loi vise à protéger les forces armées contre les atteintes qui menacent leur sécurité et leurs vies, … également à réprimer les attaques faites contre les édifices, les établissements et les équipements qui sont mis à leur disposition ou protection ou surveillance, ainsi que la répression des atteintes contre les secrets de sécurité nationale».
- L’article (2) du même texte définit les forces concernées par la présente loi comme étant: «les agents porteurs d’armes appartenant aux forces armées militaires, aux forces de sécurité intérieure et à la douane».
1.« Forces Armées »
Déjà la Constitution, dans son article 17, cite "les Forces Armées" en tant qu’entité clairement distincte et différente des "Forces de Sécurité Intérieure":
«L’État seul est habilité à créer des Forces Armées et des Forces de Sécurité intérieure, conformément à la loi et au service de l’intérêt général.»
للدستور: "تحتكر الدولة إنشاء القوات المسلّحة، وقوات الأمن الداخلي" النسخة العربية Ainsi,dans la Constitution l'expression «Forces Armées»(القوّات المسلّحة) désigne clairement et seulement «l’Armée» (الجيش) et rien d’autres; et ne peut désigner en même temps et ensemble, l’Armée, les FSI et la Douane, comme précisé dans l’article(2) du projet de loi en question. En outre, parler de "forces armées militaires" est un pléonasme,car les forces militaires ne peuvent pas ne pas être armées et quand il s’agit de militaires il s’agit forcément de forces armées!
Cette désignation spécifique de l’Armée par "Forces Armées" est en effet confirmée dans l’article 77 de la Constitution qui stipule que:
«Le Président de la République représente l’Etat… Il est également habilité à :
- ……………………………………
- assurer le Haut Commandement des Forces Armées … » ;
et bien sûr, là, il ne peut s’agir que du Haut Commandement de l’Armée car il n’y a pas un Commandement commun aux trois Institutions : Armée, FSI et Douane ensemble, et ainsi, encore une fois Forces Armées veut exclusivement désigner, d’ailleurs comme partout dans le monde: l’Armée !
Ainsi, il n’y a de "Forces Armées" que l’Armée. Les forces, autres que l’Armée, sont dénommées par la Constitution (art.17) "Forces de Sécurité Intérieure" (Police de différents types, Garde Nationale…). Quant aux autres corps, Protection Civile, Douane et autres, ce ne sont que des corps paramilitaires.
2."Forces Armées" et "Forces de Sécurité Intérieure"
Malgré le partage de très rares points communs, ni la nature et le type de leurs missions institutionnelles spécifiques, ni leurs organisations et équipements, ni leur doctrine d’emploi, ni leur mentalité, ni le cadre et l’environnement où elles sont appelées à opérer et les exigences qui en découlent, ne permettent d’inclure l’Armée Nationale dans un même groupe que les autres corps armés. A titre d’exemple, au niveau individuel, le soldat est généralement équipé d’une arme individuelle avec des munitions réelles et entrainé pour détruire ou au minimum neutraliser l’ennemi, généralement un étranger, et ce au premier coup et le plus vite possible, dans tous les cas avant d’être abattu. Par contre l’agent de Sécurité Intérieure, excepté celui qui estengagé contre des terroristes, il est entrainé plutôt à protéger le citoyen en face de lui, un compatriote, et même en cas d’affrontement, il est tenu à respecter les principes "sacrés" de nécessité et de proportionnalité, en d’autres termes utiliser tout juste le minimum de force nécessaire et proportionnelle à la menace, le but étant de maintenir l’ordre public tout en préservant le citoyen. C’est pour cela d’ailleurs, que les FSI sont et devraient être, dotées d’une panoplie d’équipements permettant une réponse graduelle et proportionnelle, ce qui n’est absolument pas le cas des militaires. Les contextes d’emploi respectifs, le maintien de l’ordre public pour les FSI d’une part, la guerre pour l’Armée de l’autre, et les mentalités respectives de leur personnel sont totalement différents. Le vis à vis de l’Agent de sécurité intérieure est le citoyen qui reste à protéger, celui du militaire est un ennemi à abattre au plus vite. D’où la différence monumentale entre FSI et Armée à tous points de vue. Inclure donc l’Armée avec les FSI et autres corps paramilitaires sous le vocable "Forces Armées", risque de prêter aisément à la confusion totale, même chez les Hautes Autorités, quant à l’engagement de ces différents corps et à leurs spécificités de point de vue mission, équipements, capacités, exigences des missions institutionnelles spécifiques, mentalités et bien sûr domaines et modalités d’engagement; et aussi, textes juridiques y afférents. Il est toujours très préjudiciable de faire faire aux militaires les taches revenant aux FSI ou l’inverse, Armée et FSI ne sont en aucun cas interchangeables ou assimilables, sont tout simplement différents, quoi que leurs missions peuvent dans certains cas se compléter. Ce projet de loi, ne tient pas compte des spécificités de l’Armée, se limite à celles des (FSI) et corps paramilitaires.
3. «Forces portant des armes » et/ou «porteurs d’armes»
L’emploi de ces expressions n’est, à mon avis, qu’un abus de langage introduit par l’ARP dans le nom de la Commission législative permanente chargée, entre autres, du secteur "Défense et Sécurité Nationale" et très maladroitement dénommée, "Commission de l’Organisation Administrative et des Affaires des Forces Portant des Armes". Les militaires, même s’ils portent des armes individuelles, ils ne sont pas seulement "porteurs d’armes", ils sont plutôt «armés, équipés», en plus des armes individuelles, de nombreux systèmes d’armes assez complexes et divers, chars, avions, navires, canons… non portés par les hommes mais mis en œuvre par ceux-là, pour cela on parle de «Forces Armées» et non de forces «portant des armes». En revanche, les FSI et les corps paramilitaires, sauf quelques rares exceptions, se limitent aux armes individuelles et pour cela, à la limite elles pourraient être considérées comme des «Forces portant des armes".
Ainsi, l’expression «Forces Armées» devrait être réservée pour désigner exclusivement "l’Armée Nationale", les forces paramilitaires sont déjà désignées par la Constitution "Forces de Sécurité Intérieure" et "Douane". Quant à la notion générique de « forces portant d’armes », peut être exprimée par «Corpsarmés » et non «forces armées الأسلاك(ولا القوّات) المسلّحة -».
En conclusion, c’est dans l’intérêt du pays et de ses Institutions, militaire et sécuritaire, de reprendre le projet de cette loi version avril 2015, pour aboutir,après un débat dépassionné, loin des arrières-pensées et des surenchères politiciennes et impliquant les Institutions concernées et la société civile, pour aboutir à une loi qui protège effectivement les militaires et les sécuritaires lors de l’accomplissement de leurs missions spécifiques, tant qu’ils agissent en conformité des lois et règlements en vigueur, sans pour autant porter atteinte aux libertés publiques et individuelles. Faut-il que les lois et règlements d’engagement des uns et des autres dans les différents contextes, paix, crise, état d’urgence et guerre, soient à leur tour révisés et mis à jour. Ce n’est qu’ainsi que ces institutions pourraient être renforcées, leurs agents protégés et consolidés dans leurs rôles et la confiance des citoyens en ceux-là rétablie.
- Que Dieu garde la Tunisie -
Gl(r) Mohamed Meddeb
(Armée Nationale)