Taoufik Habaieb: l'insouciance comme antidote à la sinistrose?
Sommes-nous en pleine tectonique des plaques, avec la dérive, cette fois-ci, non pas des continents, mais des formations politiques. Au vu de tant de transhumances et nouvelles alliances, la théorie fixiste du globe solide censée caractériser le paysage politique en prend pour son grade.
Affligés par pareil spectacle, les Tunisiens, lassés, ne s’en soucient, en fait, que très peu, ou presque pas. Que des députés changent de bloc parlementaire, que des partis scellent de nouvelles alliances, que des tribuns portent de nouvelles casquettes, que des ministres quittent le gouvernement et d’autres prennent leur place, cela n’améliore en rien les conditions de vie de la population.
Inventer le récit commun, forger l’avenir désirable et faire preuve d’une réelle audace dans la prise des décisions qui s’imposent sont loin de constituer le fer de lance de la classe politique actuelle. La seule dynamique perceptible est celle de l’immobilisme, chacun se cramponnant à son siège, s’attachant à ses privilèges, sans se soucier réellement ni de la situation fort dégradée de l’économie, ni de l’envolée des prix. Les discours se font de plus en plus creux, les promesses ne trouvent aucune oreille attentive.
L’insouciance se conjugue avec l’impunité. Que risque un fonctionnaire, un élu, un ministre ? Que peut craindre un malfrat, un contrebandier, un usurpateur de biens publics? La perversité l’emporte sur la construction du bien. Des dizaines de projets de loi, dont des accords de financement cruciaux, de décrets d’application essentiels pour la mise en œuvre des textes votés ou d’autorisations indispensables pour affranchir de grands projets sont relégués aux oubliettes. Dans l’insouciance. Sans condamnation.
A ce rythme-là, la démocratie ne creuse-t-elle pas son tombeau? La léthargie fait-elle le lit d’une forte revendication populaire? Personne ne semble savoir comment s’en dépêtrer. Le propre du politique est d’accéder au pouvoir, pour le garder.
L’unique horizon pour la classe politique est l’automne 2019, c’est-à-dire les élections législatives et la présidentielle. Comme si le résultat des scrutins pouvait apporter un changement effectif, de nouvelles politiques publiques et des bénéfices immédiats tant attendus. Jusque-là, point de programmes en gestation, seule une course qui se prépare.
Les vainqueurs risquent de n’être que des champions des urnes qui s’imposeront difficilement en véritables leaders conduisant vers l’essor.
La loi de finances et le budget de l’Etat pour 2019 fixent les limites sans cesse réduites des crédits alloués dans le Titre II au développement. Tous ces investissements publics en faveur des projets, petits et grands, devant s’implanter dans les régions n’en reçoivent que la portion congrue. Sur un budget total de 40.861 millions de dinars (en croissance de 8.5% par rapport à 2018, sous l’effet des dépenses, et en déficit de 4.512 MD, 4.9% du PIB), les crédits de développement ne comptent que 6.150 millions de dinars, soit 5.3% du PIB. Mais aussi presque le principal de la dette publique arrivant à échéance de remboursement en 2019, qui est de l’ordre de 6.170 millions de dinars à laquelle il faudrait ajouter 3.137 millions de dinars en intérêts, totalisant ainsi 9.303 millions de dinars à servir.
Comment générer de la croissance et parer aux urgences? Dans la quadrature du cercle, tout gouvernement, quel que soit son génie, ne peut compter que sur la magie salutaire, pour échapper au monopole de la déglingue.
Dans cet Atlas des fractures tunisiennes déjà profondes, sur une vie politique disloquée se greffent une économie délabrée et un social à la dérive. Encore une année de patience, en espérant que les deals qui se nouent et se dénouent finiront par porter une vision d’avenir.
Sans trop y croire, il reste aux Tunisiens de se résoudre... à l’insouciance.
Taoufik Habaieb
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