Forum de la mer de Bizerte - Hakim Ben Hammouda: Arrêtons de tourner le dos à la «Mare medi terra»
Mes responsabilités et les fonctions que j’ai occupées dans différentes institutions internationales m’ont donné la chance de visiter un grand nombre de pays. A chaque fois, il fallait les aider à lever les défis auxquels ils étaient confrontés et les appuyer dans leur quête de nouvelles stratégies pour sortir des chemins bien-pensants du développement conçus par les missionnaires de la pensée unique. J’ai visité un grand nombre de pays avec des préoccupations et des défis différents. J’ai beaucoup appris de ces différences et de cette diversité qui m’ont beaucoup aidé à mieux comprendre le monde.
De ces voyages et de ces expériences j’ai surtout gardé en mémoire les difficultés rencontrées par les pays enclavés. De l’Amérique Latine avec la Bolivie, l’Uruguay à l’Asie avec le Népal, l’Afghanistan et surtout en Afrique où on trouve le plus grand nombre de pays enclavés avec le Rwanda et le Burundi, la Zambie, le Botswana, la République centrafricaine, le Zimbabwe, le Tchad, le Niger, le Mali, l’Ouganda, les difficultés et les enjeux sont les mêmes et la géographie constitue un défi parfois insurmontable.
En effet, les défis de l’enclavement sont nombreux. Il y a d’abord ceux qui sont de nature politique et culturelle car l’enclavement réduit la capacité de rencontrer l’Autre et de s’ouvrir sur sa culture, ce qui est à l’origine d’un entre-soi parfois porteur de drames et de tragédies. L’enclavement a d’importants coûts économiques. Les coûts des transactions commerciales internationales augmentent ainsi que les délais car il faut y ajouter les frais d’acheminement vers les ports les plus proches. Ces coûts supplémentaires ne favorisent pas l’arrivée d’investisseurs internationaux qui choisissent plutôt de diriger leurs investissements vers des pays ayant un accès maritime. Sans compter que l’approvisionnement peut être à la merci d’une décision politique du pays voisin, ce qui constitue une pression constante sur la souveraineté des pays enclavés. Il faut aussi mentionner les conflits dans les pays voisins qui empêchent les approvisionnements. J’ai en tête les difficultés supplémentaires qu’ont connues des pays comme le Mali et le Burkina Faso au moment du conflit en Côte d’Ivoire et la nécessité pour eux de trouver de nouveaux ports d’attache autres que celui d’Abidjan pour acheminer leur commerce international.
J’ai eu en tête ces réflexions lorsqu’on m’a demandé de préparer une contribution pour ce numéro spécial sur la mer. En effet, la question qui se pose est de savoir si nous avons tiré profit de cette chance extraordinaire qui est notre ouverture sur la mer Méditerranée. Et la réponse est plutôt mitigée. Car si nous avons pu bénéficier de cette ouverture à travers l’histoire et nos aïeuls qui ont donné à la Méditerranée une dimension stratégique, je crois que nous n’avons pas exploité toutes les potentialités que nous offre cette mer et nous lui avons tourné le dos. Il est temps d’en faire un partenaire stratégique de notre développement à travers la définition d’un business plan audacieux.
On peut mentionner quelques domaines dans lesquels nous pouvons encore bénéficier de cette ouverture sur la mer. D’abord, en matière de transport et même si la place de la Méditerranée a été détrônée au profit d’autres océans, notamment l’Atlantique et le Pacifique, en matière de transport de marchandises, elle continue à représenter près de 30% du commerce mondial. Nous devons tirer bénéfice de ces courants d’échange. Mais, ceci ne pourra se faire que si nous développons notre infrastructure portuaire.
Un autre aspect au cœur de la dynamique méditerranéenne est celui du tourisme qui représente 30% du tourisme mondial. Certes, nous bénéficions d’une partie de cette manne, mais nous devons améliorer notre infrastructure et diversifier notre produit touristique pour devenir une destination de référence pour les touristes.
Et puis, il y a ces milliers de réfugiés errant au péril de leur vie et que peu de pays au Nord veulent accueillir. N’est-ce pas l’occasion aussi d’œuvrer ensemble pour faire de cette mer comme elle l’a été du temps de sa splendeur un havre de paix, de codéveloppement et de prospérité pour ses riverains et non pas un lieu de désespoir, de drames et de tragédies ?
Il est temps d’arrêter de tourner le dos à la «mare medi terra», de la regarder en face et surtout de prendre à bras-le-corps toutes les potentialités qu’elle nous offre pour notre développement futur et notre transition économique en cours.
Hakim Ben Hammouda
Ancien Ministre de l’Economie et des Finances
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