Blogs - 01.10.2018

Révolution, qu’as-tu fait de mon peuple?

Révolution, qu’as-tu fait de mon peuple?

J’ai eu beau me mentir, relativiser les difficultés que traverse le pays en les comparant à la gabegie qui règne en Libye ou en Syrie, les faits sont là. Ils sont têtus.

Huit années d’instabilité politique et de marasme économique comme on n’en a jamais connu depuis la chute de Carthage ont fini par me désespérer de tout. De mon pays, de mes compatriotes, de notre classe politique, de ce défaut de bon sens qui est devenu chez nous la chose du monde la mieux partagée.

Huit ans, c’est bien peu dans l’histoire d’un pays. Mais c’est suffisant pour en dresser un premier bilan. Des acquis ? La liberté d’expression et la démocratie bien sûr. Des générations en ont rêvé. On en a usé tout notre soûl pendant cette période, notamment sous la coupole du parlement avec des débats dont le niveau frôlait le ridicule. Mais cette révolution n’a pas libéré seulement la parole, elle a libéré aussi les forces du mal : l’islam politique avec toutes ses scories (le terrorisme, les assassinats politiques). Elle a également tué notre surmoi, en transformant un peuple si policé il y a quelques années, en violeurs, parricides ou braqueurs. Dans ses oripeaux, le crime organisé et la contrebande ont prospéré ; la crise économique et l’instabilité politique se sont installées pour aboutir au délitement de l’Etat et ses corollaires obligés : l’effilochement du sentiment d’appartenance, l’incivisme, le tribalisme, le corporatisme et last but not least, la montée en puissance de la centrale syndicale, l’Ugtt devenue notre plaie d'Egypte. A force de  bomber le torse, elle a fini par instaurer avec le gouvernement des rapports de domination/soumission. Elle entend désormais lui imposer ses diktats, y compris les plus insensés, comme ces lignes rouges qui lui permettent d'éviter les sujets où ses interlocuteurs auraient beau jeu de lui démontrer l'inconsistance de son argumentation. C'est notamment, le cas des entreprises publiques qui s'apparentent de plus en plus au tonneau des Danaïdes, des caisses sociales désormais confrontées à un déficit abyssal.

Excepté l’intermède de Solidarnosc en Pologne, jamais un syndicat n’aura concentré entre ses mains autant de pouvoirs et atteint un tel degré de puissance et d’arrogance. Au nom des services rendus à la lutte nationale, elle prétend être en droit de régenter toutes les activités du pays. Comme l’armée prussienne au XIXe siècle dont on disait qu’elle était une armée qui disposait d’un Etat, l’Ugtt post-révolution, dominatrice et sûre d’elle-même, est aujourd’hui une organisation qui dispose d’un Etat. Grâce à cette arme de destruction massive qu’est la grève, elle peut obtenir tout ce qu’elle veut, quand bien même des voix s’élèveraient de plus en plus pour la critiquer en recourant, il est vrai, aux circonlocutions pour ne pas subir ses foudres. Grâce aussi à l’appui d une extrême gauche pour qui la classe ouvrière est sacrée et l’opportunisme de la classe politique. Car, aller à l’encontre de l’Ugtt, c’est risquer de se priver d’un gisement de voix qui pourrait être déterminant aux prochaines élections. Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, un homme simple, affable avant sa nomination, mais transfiguré par ses nouvelles fonctions, n’hésite pas à toiser le chef du gouvernement. Après l’avoir soutenu pendant des mois, il s’est mis à le critiquer sans raison apparente allant jusqu'à réclamer à chacune de ses interventions son départ, à la manière de Caton l'Ancien lorsqu'il concluait ses discours par un appel à la destruction de Carthage.

«L’Ugtt, par sa ferveur revendicatrice,  est en train d’empêcher la Tunisie de se développer», titrait il y a quelques semaines une revue économique britannique. Elle est surtout en train de faire le lit de la dictature dont elle serait sans doute le première victime.

Hédi Béhi

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7 Commentaires
Les Commentaires
Habib - 02-10-2018 11:47

Bravo Si Hedi Behi pour cette excellente analyse que vous dressez , avec discernement et bon sens , des causes et agissements irresponsables qui sont a l'origine de la grave crise que traverse notre pays .

Mohamed - 02-10-2018 14:43

Mes chaleureuses salutations à M. Hédi Béhi et mes félicitations pour sa grande lucidité et la justesse de ses points de vues sur la Tunisie post-"révolution". J'avais envie d'écrire la même chose et pire. Car la démocratie (ce n'est pas les élections) est inexistante 8 ans après, encore moins la stabilité et le progrès. La Tunisie post-"révolution" a surtout montré un peuple - collectivement et dans sa majorité - ignorant, inculte, radicalisé, frustré, arrogant... Est-ce l'héritage des béni Hillel ??? Et une pseudo élite politique et syndicale radicalisée, arrogante, opportuniste, cupide, incompétente, et irresponsable... Cette pseudo élite a promis au peuple le paradis sur terre (UGTT et l'extrême gauche) ou le paradis dans l'au-delà (les islamaouites). Mais le peuple tunisien, grâce à son absurdité débordante, en a exigé les deux paradis (mon Général !) ici et maintenant. Allez résoudre l'inequation !!!! Bref, tout un pays, traversé par des forces étrangères (du mal) et des thèses destructrices, se tire plusieurs balles par heure dans les pieds.

Habib Kraiem - 02-10-2018 22:47

Bien vu et on ne peut mieux décrire la situation de notre chère patrie! Un ancien jeune collègue sicilien fonctionnaire des NU qui était affecté au PNUD en Tunisie au début des années 1990 m'avait signifié que votre pays est un pays de "cornuto" et de "bastardo" plus que la Sicile, ce qui m'avait franchement choqué. Avec du recul, après réflexion et au vu de ce qui passe en Tunisie depuis janvier 2011, je me suis résigné à admettre une telle "insulte" si je peux ainsi dire. Etant de formation scientifique, je reconnais que la diversité peut constituer une source de richesse et de prospérité, comme c'est le cas du nouveau monde (USA, Canada, Australie, etc.), comme elle peut être source de décadence dans l'ancien monde auquel nous appartenons, celui du monde arabo-musulman, en raison de la dissemblance des contextes. Cette dissemblance réside à mon avis dans le fait que dans le monde occidental et le nouveau monde, il y a eu une séparation claire et nette entre la religion et la politique depuis plus de 2 siècles, ce qui n'est pas le cas chez nous où le problème, bien qu'enterré avec notre première constitution en 1959, a refait surface avec la "meilleure constitution du monde" de 2014 avec l'intrusion des "charlatans de l'islam", les frères musulmans, qui ont enfourchés la soi-disant "Révolution".

Maalej Abderrazek - 04-10-2018 10:50

Merci Si Hédi un article succinct, mais ô combien pertinent, des mots justes : le défaut de bon sens généralisé, le diktats, les lignes rouges, l’arrogance et l’ivresse du pouvoir de ces syndicalistes J’adore ce style, mille mercis Si Hédi

Dziri - 05-10-2018 12:26

Très belle analyse de la situation.... Où est passé le printemps arabe? Qu’a t-on fait du prix Nobel de la paix?

abassi hichem - 15-10-2018 16:34

Le syndicalisme à L'UGTT est entrain de désintégrer notre vie politique profitant du marasme Economique résultat inéluctable d'une médiocre gouvernance depuis 2011.

chebil sejir - 02-11-2018 07:22

L’ODIEUX EST LA PORTE DE SORTIE DU RIDICULE. Tout jacobin qu’il est ton peuple, et le mien, n’en peut plus si el Hedi, courant derrière le pain quotidien, il laisse faire les pseudo politiciens, qui s’en donnent à cœur joie, l’ambiance délétère aidant. Ces derniers (de la… classe), à l’ego surdimensionné, aux délires psychotiques de grandeur, et aux appétits hégémoniques insatiables, représentent le degré zéro de la perversion morale, et du vice érigé en vertu, faut-il pour les ramener sur le bon chemin, leur ériger, comme le disait Georges Orwell un ministère de la vertu ? Quant à l’UGTT, notre plaie d’Egypte comme tu le dis si bien, ses acteurs (au départ insignifiants), se découvrent des talents oratoires, et des ambitions, inversement proportionnels à leur QI, d’où la constipation intellectuelle, de certains d’entre eux, n’est-ce pas Samir Cheffi…

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