Netanyahou fait de tous les Juifs de la terre des citoyens Israéliens… mais la résistance s’organise
A l’heure où l’Administration américaine par le truchement de Jared Kushner, le gendre de Trump, veut faire disparaître les réfugiés palestiniens en oubliant les crimes israéliens de 1948 et en coupant les vivres à l’UNRWA, la loi fondamentale fascisante de «L’Etat-Nation», votée par le parlement sioniste le 19 juillet dernier (lire Leaders 20 juillet 2018), fait quelques vagues. Les intellectuels, pour la plupart, sont cependant aux abonnés absents.
Loi fasciste, elle proclame que «la colonisation» des terres palestiniennes est une valeur nationale faisant ainsi fi du droit international. Le politologue israélien Zeev Sternhell déclarait récemment: «La colonisation et l’occupation pourrissent notre société.» (L’Humanité, 3 mai 2018)
Loi fasciste, elle accorde «le droit de retour» en Palestine à tous les juifs mais interdit aux Palestiniens d’inhumer même leurs morts dans leur terre natale. (Lire Ahmed Tibi, Haaretz, 2 août 2018). Si elle fait de l’Holocauste et de la journée des soldats morts en service commandé «des journées officielles du souvenir», elle interdit par contre, dans son article 9, toute référence et toute commémoration de la Nakba. L’éditorialiste du Guardian (Londres) du 22 juillet 2018, après avoir fait remarquer que cette loi enterre les engagements solennels de la Déclaration d’Indépendance de 1948 sur les droits des minorités en Israël concluait: «Les Arabes israéliens affirment que la nouvelle loi en fait des citoyens de deuxième classe. Il est difficile de ne pas leur donner raison.»
L’état exclusif des juifs
Cette loi fait de tous les juifs de la terre des citoyens israéliens. Sans leur demander leur avis. Abraham Burg, ancien président du Parlement israélien, écrit (Haaretz, 2 août 2018) : « Tout comme la France appartient aux Français et l’Allemagne aux Allemands, Israël appartient aux Israéliens - à eux seuls… Il n’appartient pas aux Juifs. Il n’existe aucun régime, aucun gouvernement, aucun Etat qui appartienne à des parties intéressées non-citoyennes, loin du pays… On peut être israélien sans être juif et on peut être juif sans être israélien, mais on ne peut pas être israélien sans être citoyen de l’Etat. L’Etat prétend représenter tous les Juifs : voilà le problème. Si Israël est l’Etat des Juifs, il en résulte que tous ses conflits, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs, concernent automatiquement tous les Juifs du monde. Ils sont à la merci de nos ennemis et ne sont pas protégés des sottises d’Israël, qui les mettent souvent en danger. Les Juifs ont été «conquis» par un pays qui n’est pas le leur. Ils ont donc de lourdes obligations sans véritables droits politiques. En réalité, Israël ne semble pas prêter attention à la majorité de ces Juifs, qui, dispersés, sont censés soutenir Israël et se taire - comme le font les Palestiniens… Je regrette, mais la nouvelle loi ne m’identifie pas. Je n’appartiens pas à la nation qu’ils ont inventée et à laquelle je refuse d’appartenir.»
Cette loi fascisante et absurde - qui nie l’existence de plus de 6 millions de Palestiniens et vise à leur expulsion ou à leur élimination - est purement kafkaïenne. En effet, «la majorité des 16 millions de juifs du monde vit ailleurs [qu’en Israël] où leur intégration se double d’une forte proportion de «mariages mixtes» [qui menacent la judéité, à en croire les religieux] (Dominique Vidal, Le Monde, 24 juillet 2018).
Cet historien relève en outre que plusieurs centaines de milliers de citoyens israéliens ne résident pas dans leur pays - car ils n’en apprécient ni la politique ni la prééminence des religieux lesquels décident en matière de mariage, de divorce, d’enterrement, de jours de repos, de nourriture - …et en France, on ne compte plus les juifs déçus de l’aliya (émigration en Israël) qui reviennent dans l’Hexagone.
En Israël même, à Tel Aviv, en opposition à cette loi scélérate, des dizaines de milliers de manifestants juifs, palestiniens et laïcs ont exprimé leur rejet de ce texte immonde. Les Druzes, ces supplétifs, ces «frères d’armes» des sionistes qui se sont mis au service de l’occupant au sein de l’armée, de la police et comme gardiens de ses frontières sont ulcérés: le nouveau texte ne les compte plus comme Israéliens et ne fait plus de leur langue - l’arabe - un idiome officiel. Reçus par Netanyahou la semaine dernière pour exprimer leurs doléances à propos de cette loi, le Premier Ministre les a quittés brusquement reprochant au chef de la délégation d’avoir dit que cette loi conduit à l’apartheid en Israël. Ce qui n’empêche pas Netanyahou d’évoquer «le lien étroit» qui lie Israël à la communauté druze (Claire Bastier, Le Monde, 7 août 2018). Mais, au final, la fidélité et la loyauté des 140 000 Druzes du pays à l’Etat sioniste ne leur ont été d’aucun secours: ils sont des citoyens de seconde zone. Ils ont eu beau manifester en gueulant «Egalité, égalité», les voilà tout simplement marginalisés, mis sur la touche, sans ménagement.
Intellectuels et universités doivent se soulever
Dans une tribune du Monde en février dernier, Zeev Sternhell, politologue israélien affirmait, visant le gouvernement et le Likoud, le parti de Netanyahou: «En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts.» Le vote de la loi «Etat-Nation» vient confirmer les dires de ce spécialiste du fascisme, académicien israélien et Prix d’Israël de science politique. En 2008, une bombe a explosé devant son domicile, le blessant légèrement. La police soupçonne la droite d’être derrière cet attentat.
Dans une opinion parue sur Haaretz (3 août 2018), Sternhell écrit que le temps de l’analyse de la loi «Etat-Nation» est fini et tout a été dit. Il ajoute : «Toute personne cultivée, donc préparée à ne pas avaler sans examen la propagande, la démagogie et les mensonges, doit s’élever et combattre cette loi.» Faisant référence au célèbre texte de Julien Benda de 1927 «La trahison des clercs», il appelle les intellectuels à «défendre les valeurs universelles… Ces derniers devraient se soulever quand on abolit le principe qui veut que tout un chacun a le droit de jouir de la liberté et de l’égalité. Ceux qui réfutent ce principe sont officiellement en train de faire d’Israël un Etat d’apartheid. Une telle situation conduit à la révolte.
Notre politologue voit deux fronts à cette bataille. Sur le plan intérieur d’abord, il appelle «toute personne, tout groupe, chaque organisation, chaque parti politique conscients que cette loi change la face d’Israël, de se tenir prêts à prendre part à une grande protestation résolue et ouverte. Si nous étions réellement une société ouverte imbue des valeurs universelles, nous aurions dû voir un soulèvement général englobant les universités et les facultés, l’Académie Nationale des Sciences ainsi que les organisations professionnelles d’enseignants, de parents d’élèves et de mouvements de jeunesse… car quand les valeurs universelles - qui sont le sang vital d’une société en bonne santé - sont foulées au pied, les inhibitions habituelles et les règles traditionnelles de retenue et de neutralité ne sont plus applicables.» Visant universités et universitaires, il ajoute : «Les institutions académiques ne peuvent vivre complètement coupées du monde extérieur car elles ne sont pas là uniquement pour fournir de la connaissance, elles sont là aussi pour lutter en faveur de l’avenir du pays.» Il s’en prend ensuite à l’Académie Nationale des Sciences qui ne doit pas se contenter de produire un rapport bi-annuel, «elle doit aussi lutter pour façonner et modeler cette société.» Sternhell demande aux associations professionnelles israéliennes des sciences sociales et des humanités de protester et de demander à leurs collègues de l’étranger de faire de même.
Notre auteur note que la droite ne respecte que le pouvoir et écrit que «la loi de l’Etat-nation est une manifestation de l’usage grossier du pouvoir pour nier aux Israéliens non-juifs leurs droits humains. En conséquence, cela est illégitime et doit appeler à la résistance. Tout opposant à cette loi d’apartheid qui a des relations à l’étranger doit les utiliser pour tirer la sonnette d’alarme.»
Quant au front international enfin, il demande un investissement immédiat en énergie et en ressource. Il faut écrire des articles dans les journaux, il faut apparaître à la télévision et faire des conférences à Bruxelles et dans les capitales de l’Union Européenne et mener une intense activité dans les universités.
Face à cette loi d’apartheid, le Palestinien Ahmed Tibi, député au Parlement israélien - qui a reçu des appels de juifs en colère, blessés par ce texte ainsi que de la part d’une survivante des fours crématoires allemands - déclare : «Aucune loi au monde, même s’ils démolissent ma maison et même s’ils tuent des gens, ne changera le fait que je suis né ici et que mes ancêtres sont nés ici.» (Haaretz, 2 août 2018).
Mohamed Larbi Bouguerra