Hommage à un Tunisien hors-pair: Pr Mohamed Béchir Halayem
Par Neila S'habou, Psychologue-Psychanalyste – Tunis - Voilà 17 jours, le mardi 17 juillet 2018, que "Si Halayem" nous a quitté. On émerge progressivement de la sidération, la douleur étant toujours profonde: le décès de Mohamed Halayem n'est pas seulement une disparition, c'est une perte!
Je ne vais pas revenir sur le parcours du Professeur dont les grandes lignes ont déjà été évoquées par les professionnels et les amis, je voudrais à ma manière rendre hommage à l'homme noble que j'ai connu.
Grand Maître et patron il fût. Sa profonde connaissance et sa passion pour le psychisme humain, son intelligence vive, son acuité analytique et sa grande culture sont connus et reconnus par tous. Je voudrais pour ma part, insister aussi sur un aspect essentiel de sa personnalité: sa grande générosité intellectuelle! Cette générosité propre aux grands maîtres, qui n'hésitent pas à donner, qui n'ont pas peur de donner! "Si Halayem", comme on aimait l'appeler (une appellation qui exprime à la fois le respect et l'affection) était heureux de transmettre. On ne passe pas cinq minutes avec lui sans apprendre quelque chose .
Son service était ouvert à tous, sans exception, on apprenait tant du grand clinicien qu'il était. Entouré de psychiatres et de psychologues, c'était sa famille. D'ailleurs -destin ou désir- c'est ce qui compose même sa propre famille! Son aînée Soumaya est pédopsychiatre, Zeineb et Yassine sont psychologues.
Personnellement je ne suis pas passée officiellement par son service, mais je voudrais, pour l'anecdote ou la mémoire, livrer une petite histoire. Au service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de la Salpêtrière où j'ai passé trois ans, j'ai été surprise à mon arrivée, de voir accroché au mur du secrétariat un grand poster illustrant les belles portes de la Tunisie, le célèbre" Doors of Tunisia", chose qui faisait plaisir mais qui pouvait étonner aussi. La secrétaire du Pr Mazet à l'époque, dame de fer, m'avait alors dit tout naturellement: " ça c'est Halayem qui nous l'a offert", invraisemblable ! Il y avait sa trace, là-bas aussi, comme pour maintenir le lien... J'avais le sentiment qu'il était avec nous et chaque fois que je passais par le bureau je lui envoyais un sourire et une pensée....
Maintenant comment ne pas dire que les compétences scientifiques et professionnelles du professeur étaient formidablement alliées à des qualités humaines rares?! Pr Mohamed Halayem était d'une grande humilité, d'une extrême sensibilité, proche des patients, compatissant, bienveillant et respectueux de tous. Pour ceux qui l'ont connu de près, il était à la fois le maître, le père, la mère, l'ami, le conseiller... À lui seul il était plusieurs.
Avec l'esprit vif du scientifique, la finesse du clinicien et l'âme sensible du poète (il n'a malheureusement jamais édité ses poésies, certainement par pudeur), Halayem était devenu une figure attachante inspirant respect et admiration et dégageait quelque chose de mystérieux faisant de lui une sorte de "rêve" (...حلم) que l'on cherchait à approcher. Ce rêve était-il sans doute l' homme profond, doué, passionné et passionnant qu'il était. Il aura marqué toute une génération!
Le hic, c'est que l'idéalisation des personnes nous fait tomber dans l'illusion de leur immortalité: on n'imagine pas qu'ils puissent partir, on les croit éternels. C'est ainsi que l'annonce de leur disparition vient sonner comme un coup de tonnerre dans un ciel serein!
Mais à y penser, peut être qu'au fond ce n'est pas aussi illusoire que ça, Mohamed Halayem restera vivant! Immortel par son oeuvre, mais aussi parce qu'il est pour ceux qui l'ont connu et aimé, le "bon objet" intériorisé à jamais, telle la mère infaillible...
Son regard étincelant d'intelligence et son sourire tendre ne me quitteront jamais. De plus, le souvenir de mon travail sur les enfants asthmatiques sous sa direction, avec nos veillées tardives, partant dans des discussions épistémologiques et cliniques passionnantes, reste toujours présent et précieux.
C'est un pilier qui s'en va -vite malheureusement- nous laissant avec une profonde tristesse, une grande amertume- tant il y a encore des choses à partager- mais heureusement, avec aussi le bonheur de l'avoir connu et surtout avec un immense respect.
La psychologie, autant que la pédopsychiatrie et la psychiatrie, est aujourd’hui en deuil et lui exprime sa profonde gratitude.
À celui qui nous a donné le goût de la psychanalyse, nous continuons le chemin...
Aujourd'hui, toutes mes pensées vont à sa famille, sa femme Françoise, ses enfants, Soumaya, Zeineb et Yassine, envers lesquels j'ai beaucoup d'amitié et d'affection. Je leur adresse mes plus sincères condoléances. Que Dieu leur donne la force, le courage et la patience pour faire avec cette perte.
Pour terminer, il me semble tout à fait naturel que le service de pédopsychiatrie de l'hôpital Razi fondé par le Pr Halayem, soit baptisé en son nom. Ce serait une reconnaissance pour son long combat et une manière de maintenir vivante sa mémoire.
Paix à son âme. J'espère qu'il est dans un monde meilleur...
Neila S'habou
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