Riadh Zghal: Nécessité démocratique pour un développement inclusif
Parler de développement inclusif dirige l’attention vers les populations demeurées dans le besoin malgré toutes les tentatives de mise en œuvre de politiques dites de développement dans les pays sous-développés ou dites sociales et équitables dans les pays plus développés. On se pose sans cesse la question pourquoi des pans entiers de la population d’un pays sont laissés au bord de la route du développement? Pourquoi dans les pays les plus riches du monde la pauvreté n’a-t-elle pas été totalement éradiquée Pourquoi la fortune de huit personnes dans le monde équivaut à la richesse détenue par trois milliards des personnes vivant sur une même planète? Pourquoi les milliards de dollars d’aide internationale n’ont pas réussi à enclencher un développement durable dans des pays qui en ont bénéficié mais qui sont demeurés désespérément pauvres?
A toutes ces questions, nous tenterons d’apporter quelques éléments de réponse. Il y a d’abord l’échec d’un paradigme: n’étant pas endogène, le développement nécessite l’intervention d’acteurs extérieurs aux populations concernées. Selon ce paradigme, le développement se réaliserait grâce à une politique volontariste de l’Etat, à l’aide internationale, à l’investissement direct étranger, aux programmes des organismes internationaux et autres interventions expertes. Certes, l’investissement public dans l’infrastructure, l’éducation, la santé est indispensable au changement des conditions de vie. Il en est de même de l’investissement direct étranger et de l’aide internationale, notamment en l’absence de ressources nationales quand des Etats sortent exsangues de guerres pour l’indépendance, de guerres civiles ou par procuration. L’aide internationale est également nécessaire lorsque des pays peu développés visent l’intégration dans l’économie mondiale et ont besoin de mettre à niveau leur système productif. Mais tout cela n’a pas permis de générer un développement inclusif et durable ni d’éradiquer la pauvreté. L’échec des politiques volontaristes de développement n’est pas à rapporter uniquement à la mauvaise gouvernance. Il est aussi dû à un déficit de l’engagement des populations concernées pour la réalisation de projets établis ailleurs. Ces projets sont souvent bâtis sur une approche qui n’intègre pas le fait que la population ciblée par les politiques de développement, c’est autant d’acteurs sociaux qui ont une vision des choses, de leurs intérêts, de leurs capacités, qui ont des attitudes et des valeurs qui guident leur action et le mode relationnel qui commande leur vie en société, qui détiennent un savoir et un savoir-faire hérités ou acquis. Tout cela génère chez eux une demande de participation à la décision, une part du pouvoir de décision dont ces populations sont souvent exclues. Si les acteurs sociaux ne sont pas consultés lors de l’établissement des programmes et des projets, ils peuvent s’en méfier parce qu’ils leur paraissent exogènes et certains opportunistes parmi eux y verront l’occasion à saisir pour servir des intérêts purement égoïstes. Ainsi le risque de détournement des programmes des objectifs initiaux de développement reste patent.
Ni l’investissement de l’Etat providentiel qui implique déresponsabilisation des populations locales et patrimonialisme, ni l’investissement direct étranger -quoique les deux restent nécessaires- ne suffisent pour enclencher une dynamique réelle et durable de création et de distribution équitable des richesses. A cette époque de mondialisation accélérée, de circulation intense des produits, des capitaux et des hommes (tourisme et émigration), le développement durable et inclusif nécessite l’engagement des acteurs qui en seraient les bénéficiaires et donc un changement de paradigme et d’approche. Deux paradigmes pourraient soutenir l’engagement des bénéficiaires d’une politique de développement inclusif: d’une part, l’adoption du principe de participation des populations ciblées à toutes les phases des projets de développement non seulement en tant que bénéficiaires mais aussi en tant qu’acteurs responsables et, d’autre part, la stimulation des interactions entre les divers acteurs (publics et privés) susceptibles d’impacter la création et la distribution équitable des richesses.
Partir de la base de la pyramide, c’est s’intéresser aux domaines d’activité des groupes sociaux bénéficiaires des projets et programmes de développement, aux métiers pratiqués localement et aux savoirs qui vont avec, aux ressources matérielles et en capital humain disponibles. Le développement participatif a des chances de durer si des greffes technologiques, institutionnelles, financières sont apportées aux activités traditionnelles permettant par exemple à l’artisanat et à l’agriculture de monter en gamme, d’accéder à de nouveaux marchés, à ceux qui exercent ces métiers à mieux contrôler leur chaîne de valeur. Ces activités traditionnelles pourront alors se moderniser, se développer et générer d’autres activités telles que l’industrie agroalimentaire et le tourisme. Le développement inclusif et durable ne peut faire l’économie du savoir, de l’imagination et de la créativité des populations cibles. Parce que le développement durable nécessite la contribution des divers acteurs sociaux aussi bien au niveau de la conception des projets, de leur réalisation et de leur évaluation, parce que ceux qui sont aux postes de commande sont redevables des résultats, que le vote libre peut les sanctionner lors des élections et les éloigner du pouvoir, alors il devient aisé de comprendre que démocratie et développement durable sont liés comme l’a démontré Amartya Sen et d’autres auteurs qui l’ont suivi.
Aujourd’hui que beaucoup de nos compatriotes doutent de l’utilité de la démocratie, que d’autres croient dur comme fer que la solution réside dans le modèle économique… à réinventer, nous considérons plutôt que c’est en s’appuyant sur la logique démocratique —aussi bien au sommet qu’à la base de la pyramide institutionnelle— que l’on peut espérer un développement durable et inclusif. Un tel développement sera possible grâce à la mobilisation des énergies des divers acteurs sociaux concernés, à la redevabilité des gouvernants à tous les niveaux et à une perception partagée de l’intérêt.
Riadh Zghal