Mohamed Larbi Bouguerra: Les Tunisiens de Paris rendent hommage à Salah Zeghidi et Maya Jeribi (Album Photos)
«Rien n’est plus vivant qu’un souvenir»
Federico Garcia Lorca (poète andalou 1898-1936, assassiné par les franquistes)
Correspondance particulière de Mohamed Larbi Bouguerra - Une émouvante cérémonie d’hommage a réuni hier soir, à la mairie du 2ème arrondissement de Paris, les Tunisiens venus rendre hommage à Salah Zeghidi et Maya Jeribi. Elle s’inscrivait dans le cadre du Printemps Culturel Tunisien de Paris 2018 et soutenu par le CRLDHT.
Oubliant le match Tunisie-Panama et dédaignant l’animation de la place de la Bourse toute proche, les Tunisiens et leurs amis étaient dans la grande salle de la mairie, réunis par le souvenir de nos chers disparus dont les photos et les articles de presse du Tarik al Jadid, d’Erraï, d’El Maoukif… étaient affichés.
Ainsi, on a projeté un film montrant l’enterrement de Salah en présence de ses nombreux amis et d’habitants de Jebiniana - dont bon nombre de femmes - et de plusieurs personnalités politiques et syndicales. Ce document comprenait aussi des interventions télévisées et radiophoniques de Salah défendant, avec sa fougue proverbiale et sa forte conviction, la laïcité, la justice, les droits de l’homme, l’égalité homme-femme…. et racontant avec un détachement quasi philosophique les dures années de prison, les interrogatoires et les arrestations.
Puis se sont succédé à la tribune Myriam Zeghidi - venue spécialement de Tunis - qui a introduit l’assistance dans l’intimité familiale de ses rapports avec son père notant que sa vie durant il a fait preuve de « constance » puis Najet Mizouni Lindenberg qui a fortement ému l’assistance en évoquant son indéfectible amitié pour Salah. Lui succéda le compagnon de toujours Mohamed Salah Khérigi et enfin Kamel Jendoubi, venu de Bruxelles, et qui a rappelé les combats de Salah au sein de la LTDH lors des années noires et pour réunir « une gauche polyphonique et parfois erratique ».
On projeta ensuite un beau film qui rappela à l’assistance quelques prises de position de Maya Jeribi, de sa forte présence et de sa fougue de lionne dans la défense de ses idées progressistes. Particulièrement émouvantes étaient ses interventions à la télévision contre Mohamed Ben Salem, contre le gouvernement de la Troïka et pour les idées de liberté, de justice et d’égalité à l’Assemblée Constituante où elle avait été élue le 23 octobre 2011 dans la circonscription de Ben Arous. On la vit étudiante en biologie à la faculté des Sciences de Sfax, adhérente active à l’UGET, combattante féministe au Club Tahar Haddad et membre clé du Rassemblement Socialiste Progressiste devenu en 2001 le Parti Démocrate Progressiste (PDP), l’un des principaux partis de l’opposition tunisienne. Elle en prend la présidence en décembre 2006. Sa grève de la faim du 20 septembre au 20 octobre 2007 a marqué les esprits. Elle protestait ainsi contre la décision judiciaire d’expulser son parti de ses locaux. Elle en sortira bien affaiblie. Elle s’est portée candidate à la présidence de l’ANC affirmant vouloir prouver par cette candidature que « le temps de la pensée unique est désormais révolu. Il ne saurait y avoir de démocratie sans pluralisme, de pouvoir sans contre-pouvoir. »
En conclusion, Mohiédine Cherbib devait associer à ce touchant double hommage les noms de nombreux militants qui nous ont récemment quittés comme Mohamed Brahmi, Chokri Belaïd, Ahmed Othmani, Mohamed Sghaier Ouled Ahmed, Ahmed Brahim, Abdelhamid Ben Mustapha…..
Signalons qu’on a mis à la disposition de l’assistance une belle brochure bilingue intitulée « Pour Salah Zeghidi » renfermant des photographies et des textes de Salah lui-même, de Hichem Abdessamed, de Gilbert Naccache, de Kamel Jendoubi, de Mohamed Salah Fliss, de Mohamed Salah Kherigi, de Habib Guiza, de Jounaïdi Abdeljaouèd…
La soirée d’hommage s’est achevée autour d’un somptueux pot de l’amitié.
J’ai rappelé alors ma longue amitié - et celle d’Annie - débutant à Paris avec Salah Zeghidi qui a tant défendu la Corpo de l’UGET dont j’ai assuré le SG à la rentrée 1962-63 et que le pouvoir a arbitrairement dissout pour les orientations politiques de ses membres et leur prise de position contre le pouvoir personnel et le parti unique. J’ai insisté sur le rôle crucial, à cette époque, de l’AEMNA - où Salah était très actif - et dont le local, 115 Boulevard Saint Michel, face à l’Ecole des Mines et à un jet de pierre des facultés de droit, de médecine, de pharmacie et de la Sorbonne (sciences et lettres), a été un véritable creuset, un vrai melting pot - où se sont formés les élites et les intellectuels du Maghreb. J’ai rappelé un voyage kafkaïen avec Salah que j’avais pris dans ma voiture en 1968, avec Salem Rejeb, pour nous rendre à Jebiniana puis Sfax. Nous avons été suivis par la police dès notre démarrage près du TGM à Tunis et, sur la route, la Garde Nationale a vérifié mon permis, les documents de la voiture et son éclairage une bonne dizaine de fois, en pleine nuit. Mais l’hospitalité de la famille Zeghidi nous a fait oublier toutes ces mesquineries et ces manœuvres de basse police.
Merci à tous les organisateurs pour cette commémoration de deux militants hors pair de la liberté, de la justice et des droits dans notre pays et merci à tous les Tunisiens de Paris et à leurs nombreux amis qui ont prouvé, comme le disait Jean Cocteau, que « le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »
Merci !
Mohamed Larbi Bouguerra