Hausse du taux directeur : le prix de l'inaction de la politique monétaire
Pour contrer les pressions inflationnistes, la Banque centrale a relevé depuis avril 2017 son taux directeur à quatre reprises(1) pour un total de 250 points de base, le portant à 6,75%, en vigueur actuellement. Entretemps, elle a décidé d’un élargissement du corridor des taux d’intérêt de 150 points de base le portant à 200 points de base, et d’un resserrement quantitatif à travers le plafonnement des opérations principales de refinancement à 7.000 MDT. L’ensemble de ces actions s’est traduit par une hausse équivalente(2) des taux d’intérêt sur le marché monétaires et des taux créditeurs et débiteurs bancaires, l’objectif recherché étant de contraindre la capacité des agents économiques à dépenser, de limiter la demande, principalement de consommation, et d’apaiser, par conséquent, les tensions sur les prix à la consommation.
L’évaluation de l’impact de ces actions sur l’inflation demeure sujette à de fortes incertitudes, notamment dans un contexte marqué par la concomitance de plusieurs chocs d’offre. En effet, dès le début de l’année 2017, le processus de formation des prix a été affecté, notamment, par:
- La hausse marquante des prix internationaux des matières premières (énergie, métaux, coton,…);
- La forte dépréciation du taux de change du dinar vis-à-vis des principales devises;
- La hausse des coûts salariaux;
- L’ajustement des prix à la pompe;
- La hausse des droits et taxes (TVA, doit de consommation et droits de douane);
- La baisse de la production, notamment des produits alimentaires frais;
- La persistance des troubles dans les circuits de distribution et le comportement de marge excessive non contrôlé;
Et si la Banque centrale n’a pas réagi par un relèvement dutaux directeur de 250 points de base sur un an?
Le coût de l’inaction de la politique monétaire est difficile à quantifier. La difficulté de l’évaluation de ce coût tient à la complexité de l’environnement dans lequel opère la politique monétaire. En effet, l’appréciation du coût de l’inaction doit faire abstraction des effets temporaires des multiples chocs qui affectent l’activité et les prix (effets des droits et taxes, ajustement des prix administrés, choc sur les prix internationaux de pétrole…). L’évaluation peut être compliquée davantage par le changement de comportement des acteurs sur le marché, car une même variation du taux d’intérêt de court terme peut produire des résultats différents selon les réactions sur les marchés.
La réponse à cette question requiert du point de vue méthodologique, la spécification de l’alternative et de son impact. Autrement dit, pour déterminer l’impact d’une politique, il faut comparer les résultats actuels à un «contrefactuel». Ceci n’est pas aiséet nécessite des travaux de modélisation importants.
On peut, cependant, avancer quelques idées à ce propos:
Il est évident que si la Banque centrale avait opté pour le statuquo face à la résurgence des tensions inflationnistes, le coût de l’inaction aurait été très important.
- Sans une intervention active de la Banque centrale, l’inflation aurait été encore plus élevée de ce qui a été réalisé. Mais il reste à déterminer cet effet quantitativement. Il est évident que les 4 hausses du taux directeur, entre août 2012 et juin 2014, pour un total de 125 points de base, ont fortement contribué à ramener l’inflation de 4,9% en moyenne, en 2015, à 3,7% en 2016. D’ailleurs, on peut remarquer la détente de l’inflation dès la seconde moitié de 2015 et jusqu’à la fin du premier trimestre de 2016, ce qui avait motivé une baisse de 50 points de base du taux directeur en octobre 2015.
- La remontée de l’inflation enfonce les taux d’intérêt réels dans un territoire négatif et engendreune baisse du coût réel du crédit, ce qui favorise l’accélération des crédits bancaires(3) et de la demande de consommation qui ne peut qu’accommoder les tensions inflationnistes.
- Si la demande est destinée pour la consommation des produits importés, l’inaction de la politique monétaire mènerait à une aggravation du déficit de la balance courante, accélérerait l’érosion des réserves en devises(4) et attiserait, par conséquent, les pressions sur le taux de change et l’inflation.
- Cette situation devrait s’accompagner par une baisse des rémunérations des dépôts,ce qui affecterait négativement les ressources bancaires(5) et se traduirait inéluctablement par un recours de plus en plus important à la monnaie centrale pour satisfaire cette demande induisant une forte hausse du volume global de refinancement.
D’un autre côté, il n’est pas certain que le maintien des taux d’intérêt inchangés depuis 2017 aurait un impact positif sur l’investissement privé qui était et demeuretoujoursfreiné par un climat des affaires peu favorable à cause desfacteurs d’incertitude politique et d’un climat social tendu. En revanche, et en présence d’une forte inflation, l’investissement peut être entravé par des difficultés de planification et de prise de décision économique comme il risque d’êtrefortement affecté par la flambée des prix des inputs et de la hausse des coûts salariaux.
Jusqu’où la politique monétaire peut-elle être resserrée?
L’importance des risques de dérapage de l’inflation amènerait la BCT à resserrer davantage sa politique monétaire avec des effets indésirables qui risquent de compromettre la reprise fragile de l’activité économique et de nuire au bon financement du système productif. En même temps, le coût de l’inaction de la politique monétaire risque d’être très important, comme précédemment avancé. Ainsi, il serait utile d’engager des mesures d’accompagnement afin de limiter son impact négatif,en adoptant des mesures non-conventionnelles telles que la mise en place d’une ligne de financement bonifiée pour les PME, étant donné que le tissu productif tunisien est composé à plus de 90% de PME.
Nous recommandons également de favoriser un Policy-mix plus balancé qui permettra d’améliorer l’efficacité des politiques économiques (monétaire & budgétaire) à travers une meilleure coordination et un bon dosage des actions des deux politiques, ce qui permettra une réduction de leurs impacts négatifs.
(1)Soit 50 pb en avril 2017, 25 pb en mai 2017, 75 pb de mars 2018 et 100 pb le 13 juin 2018.
(2)Etant donné que le passthrough du taux d’intérêt est quasi complet, les hausses du taux directeur et l’élargissement du corridor se sont répercutés en totalité sur les taux débiteurs.
(3)L’analyse de la distribution des crédits montre une atténuation progressive des crédits à la consommation, qui sont passés de 11% en juin 2017 (après le relèvement de 75 points de pourcentage en Avril-Mai 2017) à 7,3% en avril 2018. Cette tendance devrait se poursuivre sous l’effet de la hausse du taux directeur de 75 point de pourcentage en mars dernier.
(4)Qui sont actuellement à leur niveau historiquement le plus bas depuis le début des années 2000.
(5)La hausse du taux de rémunération de l’épargne à 5% en décembre 2017, a favorisé l’accélération de l’épargne des ménages (comptes spéciaux d’épargne), dont le rythme de progression est passé de 11,2% (en G.A.) à fin 2017 à 15,9% en avril 2018.
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