Taoufik Habaieb: Réenchanter la Tunisie
Youssef Chahed, en homme seul, fait face à son destin, dans la détresse et la solitude du pouvoir. Qu’il reste ou qu’il parte, les urgences de la Tunisie demeurent encore plus pressantes. Faute d’être prises à bras-le-corps. Le défi économique et financier, en tout premier lieu, entraîne la flambée des prix et accélère l’érosion du pouvoir d’achat.
L’exaspération croissante d’un peuple floué s’exprime partout. Le très faible taux de participation lors des récentes élections municipales n’en est qu’une illustration, creusant l’écart entre les Tunisiens et ceux qui les gouvernent, et érodant le poids des partis politiques. La forte abstention constitue une sanction infligée aux partis et au gouvernement. La réussite du scrutin municipal, porteur de promesses, ne saurait occulter cet enseignement majeur.
Perdant confiance en tous leurs repères, les Tunisiens sont désemparés. Ils sont convaincus que rien de ce qui se passe à Carthage, à la Kasbah, au Bardo et ailleurs dans d’autres lieux de pouvoir n’est capable de changer leur quotidien, de remplir leur couffin, de réduire leurs souffrances dans les services publics, de garantir l’avenir de leurs enfants. La politique se réduit à leurs yeux à une quête d’intérêts et de pouvoirs. Ceux qui s’y précipitent ne sont mus que par leurs ambitions démesurées et leur appétit insatiable, avides de tout.
Gare aux mouvements inverses et au désenchantement. La crise économique fragilise la démocratie et menace les fondements de l’Etat. Cette menace est encore plus périlleuse lorsque le pays est sans cesse livré aux revendications salariales et aux contestations sociales. La moindre étincelle risque d’allumer le feu.
Les tiraillements politiques sont encore plus ravageurs. A moins de 18 mois des prochaines élections législatives et présidentielles de l’automne 2019, la course au pouvoir s’accélère déjà. Le chamboulement de la carte électorale après le scrutin du 6 mai dernier et le tassement des partis ne feront, au fil des mois à venir, qu’exacerber les passions, approfondir les divisions. Aux programmes et projets, les Tunisiens risquent de voir les débats se concentrer sur les personnes à imposer et se réduire aux alliances à sceller. Un avant-goût de ces arrangements souvent contre-nature entre partis politiques et listes indépendantes nous est d’ores et déjà offert à la faveur de l’élection des présidents des conseils municipaux. Ce ne sera qu’une répétition à l’échelle locale avant les manœuvres grandeur nature de 2019.
Les Tunisiens, eux, sont en attente d’un dessein national commun mobilisateur. Ce rêve collectif éveillé, possible et profitable pour tous, qu’aucun parti jusque-là n’a pu leur offrir, qu’aucun leader n’a pu incarner.
Loin d’être amorphe, le pays est capable d’un grand sursaut. Il suffit de le réenchanter, de lui fixer un cap, de lui assigner des objectifs, de lui montrer le chemin pour y parvenir et les bénéfices à en tirer. La force politique jaillissante qui se déclenchera de toute sa perspicacité et en toute sincérité pour forger ce projet et ralliera en sa faveur les familles démocratiques et modernistes s’imposera alors en ultime recours. Dix-huit mois, d’ici les élections de 2019, c’est très court pour construire et faire emballer, à la fois, une machine politique et électorale, mais c’est un délai possible pour y parvenir.
De nouveaux leaders s’imposeront au sein des partis et de la société civile, délogeant une classe discréditée et désuète. Emanant du cœur battant de la nation, collés à la réalité, ouverts sur les horizons, imaginant les contours d’une société de bien-être, ils seront la chance de la Tunisie pour la conduire vers un monde nouveau.
Il suffit d’un déclic, d’un instant magique, de bonnes volontés et d’un véritable leadership pour que le pays reprenne son élan.
Taoufik Habaieb