Sihem Bouzgarou-Ben Ghachem: pourquoi je suis contre l'élection d'une maire islamiste
J’ai toujours soutenu la cause des femmes, je suis profondément convaincue qu’une société ne peut évoluer et rejoindre le train des nations civilisées, si la moitié de ses membres est humiliée, reléguée à un rang inférieur, et réifiée ! Cependant, ce qui me dérange aujourd’hui c’est de voir qu’une « femme », une militante du parti islamiste puisse être à la tête de la Mairie de Tunis ! Et ce, pour plusieurs raisons que je vais détailler:
Ceux qui se sont érigés en défenseur des valeurs de l’islam prévoient des projets despotiques pour les femmes : Une société unicolore où les hommes auront une position privilégiée, assumeront de grandes responsabilités, essentiellement, politiques, mais où la femme également jouera un rôle important, comme nous le verrons infra. De fait, Rached Ghannouchi affirme, en 1985 que « la société des hommes et ses clubs ne peuvent pas être celle des femmes, ni ses clubs » et qu’il y aura « une société destinée aux hommes et une autre affectée à la femme. », alors que pour Slaheddine Jourchi, il y aura « Des plages destinées aux pieux et d'autres à ceux qui ne le sont pas. ».
Déjà en 1985, voilà le modèle de société préconisé par les islamistes et si on croit que, trente ans plus tard, leur vision a changé et qu’ils ont évolué, force est pour nous de constater qu’ils n’ont pas bougé d’un iota. Si on se réfère à la réalité et au vécu tunisiens, on peut citer divers exemples qui vont dans ce sens. Bien avant les élections, quelques mois après la fuite de Ben Ali, les salafistes dont on dit qu’ils sont la branche armée des islamistes, ont montré leurs griffes, ont agressé des femmes non voilées, dans les rues une cinéaste ayant osé afficher son athéisme a été menacée de mort, de plus en plus de femmes et de jeunes filles se sont voilées, par crainte de représailles, surtout celles habitant des quartiers populaires où les salafistes ont exercé une forte pression sur leurs parents ou leurs frères pour qu’elles y consentent. Par ailleurs, aux lendemains des élections du 24 octobre 2011 qui ont porté les islamistes au pouvoir, plusieurs autres indices prouvant qu’ils ne peuvent en aucun cas être qualifiés de féministes, se sont accumulés provoquant l’ire de la gent féminine.
Peu de mois après leur accession au pouvoir, les islamistes ont invité un prédicateur dont la position en faveur de l’excision des fillettes est de notoriété publique. Il a été reçu avec les honneurs par une délégation d’élus islamistes, malgré les vives protestations des militantes et les militants de la société civile auxquels il a adressé une imprécation qu’ils ne sont pas près d’oublier : « Que votre rage vous étouffe ! » À peine avons-nous eu le temps d’oublier cette humiliation qu’une autre tout autant injurieuse nous fut assénée : il s’agit de celle de la complémentarité des femmes. (Nous retrouvons l’idée de la complémentarité chez Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahdha et son membre fondateur qui dit, dans son essai intitulé : La femme, à l’ombre du Coran et face à la réalité des musulmans, Dar Al Moujtahad le An’nacheriwaAtaouzi’a, Tunis première édition tunisienne, 2011, p 55 : « Bien que les caractères humains originels soient similaires et socialement flexibles, nous sommes obligés de reconnaître que le tempérament masculin est intrinsèquement et fondamentalement distinct de celui féminin. Mais si cette distinction s’établit dans la complémentarité, elle se manifeste spécifiquement dans leurs fonctions sexuelles respectives.
De fait, les caractéristiques de la gent féminine se réduisent à sa fonction sexuelle qui constitue son ultime essence, alors que la vie sexuelle masculine se révèle de façon spontanée…»). Appuyés par leurs élus (y compris les femmes dont aucune ne s’est abstenue de voter), et ceux des partis satellites, les islamistes voulaient que les femmes soient déclarées complémentaires de l’homme et ce par la vertu d’une inscription dans la Constitution, en cours de rédaction, de cette aberration. Ce qui sous-entend que l’infériorité des femmes, leur réification seraient consacrées par la Constitution ! Encore une fois, la société civile s’est mobilisée, les militants féministes ou non ont sorti leurs bâtons de pèlerins et ont investi la rue. Une manifestation importante réunissant des femmes des hommes et même des enfants fut organisée, la nuit du 13 août 2012, date symbolique entre toutes, puisqu’elle a vu, 57 ans plus tôt, la naissance du Code du Statut Personnel qui avait aboli la polygamie et la répudiation, institué le divorce juridique, relevé l’âge du mariage…
C’est pourquoi j’affirme que Souad Abderrahim ne me représente pas et que je me sens étrangère aux valeurs qu’elle défend. Sans oublier qu’elle a osé vilipender les mères célibataires qu’elle a désignées à la vindicte publique, lors de son intervention sur Radio Monte Carlo, alors qu’elle était représentante du peuple à l’Assemblée Constituante.
Sihem Bouzgarou-Ben Ghachem
- Ecrire un commentaire
- Commenter