Riadh Zghal: Et l’on s’interroge aujourd’hui si la Tunisie est indépendante !
La question à poser est plutôt qui est derrière la provocation d’un tel débat ? Ce débat qui attaque une composante essentielle du sentiment d’appartenance à un pays souverain, à la tunisianité du Tunisien moderne ? Reconnaissons d’abord que lancer un tel débat est une insulte à la mémoire de ceux qui ont sacrifié qui sa fortune, qui sa jeunesse, qui la vie de ses enfants, qui sa propre vie pour que cesse le gouvernement des Tunisiens par le colonisateur prédateur, violent, assassin, injuste, humiliant, méprisant les gens du pays à qui il refuse la qualité de citoyens, les désignant par «indigènes», une sorte de race inférieure dont il accapare les ressources et rejette la culture, la langue et dénie la civilisation.
C’est aussi une insulte à tous ceux qui ont souffert dans leur âme et dans leur chair du joug colonial et qui, après l’Indépendance, ont travaillé dur pour bâtir ce qui fait aujourd’hui notre pays grâce à tout le chemin parcouru dans tous les domaines depuis l’éducation jusqu’aux infrastructures. C’est également une insulte à tous ceux qui ont cru et continuent de croire aux potentialités de la société tunisienne, ces potentialités qui permettront tôt ou tard de faire de la Tunisie un pays démocratique, prospère et bien positionné sur l’échiquier international grâce à son économie, sa contribution à la création et à la connaissance, à sa diplomatie, à sa culture...
Le débat pervers enclenché pour semer le doute sur l’indépendance s’est attardé entre autres sur le terme «interdépendance» qui apparaît dans le texte fondant la souveraineté de l’Etat tunisien indépendant. Comme si aujourd’hui à l’ère de l’ouverture des frontières pas seulement pour le commerce mais aussi pour l’information, la science, la technologie, il y avait un seul pays au monde qui se targuerait d’être totalement indépendant ! Au moment où l’Europe s’unit pour constituer un grand ensemble pesant sur la gouvernance du monde, que les accords de libre-échange entre divers groupes de pays se multiplient, certains ergotent dans notre pays, fragilisé par les turbulences de la transition, sur le sens de l’interdépendance entre la Tunisie et la France.
Certes, les pays sont théoriquement souverains mais la réalité est tout autre. Dans une récente interview, Alain Corvez, conseiller en relations internationales, qualifiait deux chefs d’Etat puissants, en l’occurrence Theresa May et Emmanuel Macron, d’être les «sujets obéissants de la diplomatie américaine». La France et le Royaume-Uni sont-ils pour autant considérés comme colonies américaines ?
La souveraineté de tout pays est aujourd’hui relative si on considère que les décisions qu’il prend ne dépendent pas uniquement de la volonté du pouvoir en place. Elle est entamée par les contraintes du droit international qui règle, à travers les organisations internationales, la sécurité, le commerce, la santé, le travail, l’agriculture, la culture…Sans oublier évidemment que tout cela se fait avec l’aval des puissances mondiales dominantes du moment. Certes la gouvernance internationale laisse à désirer mais la mondialisation fait inexorablement son chemin et remet en question une certaine idée de l’indépendance qui avait son sens lorsque la lame de fond des luttes des peuples pour leur libération a démantelé les empires coloniaux.
A l’heure où le monde s’organise en grands ensembles régionaux pour que les pays adhérents puissent mieux sauvegarder leurs intérêts, nous peinons à avancer dans l’intégration des pays du Maghreb, pourtant si proches culturellement, géographiquement, historiquement… L’avenir de tous ces pays en dépend. Débattre des voies à emprunter pour l’intégration maghrébine serait tellement plus utile que de rester rivé à des débats stériles sur le passé et le sens de l’indépendance d’un pays endetté jusqu’au cou.
On a tenté depuis les élections de 2011 de gouverner par la peur. C’était la période du jihadisme terroriste et des assassinats politiques. Lorsque c’est devenu impossible, le principal repère qui fait l’unité de la nation, à savoir l’Indépendance, a servi de cible pour les frustrés du pouvoir. Ils tentent de s’imposer en manipulant l’opinion, en provoquant la division, en semant le doute. Car gouverner par le doute est aussi un moyen qui marche en période de trouble. Mais, tout porte à croire que ce ne sera qu’un épisode parmi tant d’autres qui ponctuent le processus de transition. On peut comprendre qu’après tant d’injustices et de souffrances accumulées, il faut que les rancœurs accumulées s’extériorisent mais il ne faut pas non plus occulter les stratégies insidieuses qui s’attaquent au socle de l’entité nationale qui donne un sens à l’appartenance du citoyen à son pays.
Malgré la rhétorique de certains universitaires, par ailleurs respectables, qui, consciemment ou inconsciemment, ont contribué à alimenter la division sociale, apportant ainsi leur soutien à certaines parties et certains partis frustrés de ne plus être au pouvoir, malgré le battage médiatique animé par des chercheurs du sensationnel, la Tunisie en sortira plus forte grâce à la liberté d’expression qui a permis d’éjecter tout le fiel accumulé durant des décennies de parole étouffée. A quelque chose malheur est bon, dit le proverbe !
Riadh Zghal
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