Chafik Sarsar: Gestion électorale et mode de scrutin deux aspects à reconsidérer
La proclamation des résultats des élections constitue la fin de la période électorale et le début de ce qu’on appelle dans un cycle électoral ‘’la période postélectorale’’. Cette période doit permettre de tirer les leçons pour améliorer la gestion électorale, voire le système électoral.
La réforme du système électoral doit partir de l’évaluation et des recommandations présentées par les missions d’observation nationales ou internationales pour les pays qui permettent ce genre de mission, et de l’évaluation faite par l’organe de gestion électorale, en l’occurrence l’Isie, qui a entre autres le devoir de proposer au législateur les réformes du système électoral.
Les élections de 2014 ont donné lieu à plusieurs rapports, notamment le rapport de l’Isie sur le déroulement des élections, le rapport de la mission de l’UE, celui du Carter Center, etc. Ils ont retracé le processus électoral, pour présenter un ensemble de recommandations qui touchent à la fois aux aspects de la gestion des opérations électorales et à la bonne gouvernance électorale, mais aussi au cadre juridique relatif aux droits électoraux (droit des électeurs, inclusivité, droit des candidats, intégrité, transparence, financement de la campagne, etc.).
Il est judicieux de distinguer dans une reforme électorale entre les améliorations inhérentes à la gestion électorale et la réforme relative au mode de scrutin qui constitue, au vu de ses enjeux politiques, l’une des questions les plus délicates des réformes électorales.
En Tunisie, la loi électorale du 26 mai 2014 a été l’occasion d’améliorer le système électoral mais sans toucher au mode de scrutin qui a fait l’objet d’un accord entre les parties prenantes du dialogue national à Dar Edhiafa en 2013.
Il importe aujourd’hui de rappeler que l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a soumis à l’ARP un ensemble de recommandations qui touchent à la fois au vote des Tunisiens à l’étranger, aux délais relatifs à l’organisation des élections en cas de vacance de la présidence ou de dissolution du parlement. L’Isie a relevé une anomalie relative aux délais et a proposé même une solution pour corriger cette défaillance, chose qui n’a pas été faite. Les recommandations touchent aussi le financement de la campagne, le plafond très bas du financement, l’organe de contrôle du financement de la campagne, etc.
Pour la modification du mode de scrutin, il faut rappeler que certains confondent la formule électorale et qui se limite à la formule pour le calcul des voix et l’attribution des sièges, avec le mode de scrutin qui englobe la manière de présenter les candidats (uninominal, listes fermées, listes ouvertes, listes libres), et la manière de voter (vote unique, préférentiel, panachage, etc.).
Le choix du mode de scrutin doit donc prendre en considération le découpage électoral. Certains modes de scrutin exigent un découpage spécifique en petites circonscriptions, ce qui risque de produire un charcutage électoral appelé Gerrymandering.
Il faut signaler enfin que la réforme du mode de scrutin est très délicate, et ses effets ne sont pas toujours stables. Nous pouvons citer à cet égard l’exemple de l’Italie qui vient de modifier le mode de scrutin pour les élections législatives en 2017, et ce pour permettre une majorité stable au parlement. Mais les élections du 4 mars 2018 ont vite démontré le contraire avec un paysage plus éclaté et une aggravation de la crise politique.
Chafik Sarsar
Professeur à la faculté
de Droit et des Sciences politiques
de Tunis, ancien président de l’Isie
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