Opinions - 07.06.2010

Peur sur la planète finance : la valse des monnaies

On l’oublie souvent, la crise de 1929, la référence de tous les commentateurs depuis le déclenchement de l’actuelle, était financière et monétaire.

Il a fallu, une grande guerre et une quinzaine d’années d’efforts, pour aboutir aux accords de Bretton Woods en 1944.

Ces accords, esquissés durant de nombreuses années, principalement par les administrations américaine et britannique, cette dernière inspirée par le célèbre économiste John Maynard Keynes, ont donné naissance à des structures de types monétaire et économique, symbolisées,  principalement, par le Fonds Monétaire International et la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement (la BIRD devenue depuis la Banque Mondiale).

Ces accords ont abouti, notamment,  à la création de parités fixes des monnaies, par référence au dollar des USA, lui-même lié à l’or (35 US$ l’once d’or soit 28 gr), et par la suite déconnecté de ce dernier en 1973, dès lors que l’administration Nixon a refusé le remboursement en or des dollars.

John Maynard Keynes, voulait à l’époque allait plus loin dans la réforme monétaire. Visionnaire, il anticipait la mondialisation des économies et leur enchevêtrement futur. Echaudé par les dégâts des monnaies flottantes et de leurs funestes cortèges de dévaluations compétitives, il a essayé sans succès de faire vivre l’idée d’une seule monnaie mondiale, à laquelle il avait déjà donné un nom: le bancor.

C’est dire que les problèmes monétaires ont toujours rythmé la vie des économies modernes, les unes contraintes de procéder à des dévaluations compétitives, dans les périodes de grandes difficultés, et les autres subissant, de ce fait, une concurrence par les prix, dénoncée comme préjudiciable à leur capacité concurrentielle.

Les difficultés actuelles de l’euro ne doivent pas occulter,  celles d’autres monnaies en difficulté, comme celles des pays  européens de l’Est, Hongrie et pays baltes notamment, ni nous faire oublier l’instabilité dans laquelle vivent les monnaies depuis toujours, puisqu'elles ne sont que la température des économies des pays, qui est comme celle du corps humain sujette à des fluctuations résultant de leur état de santé.

Cette instabilité, résulte des distorsions naturelles, des situations des pays qui commercent entre eux, selon que leur compétitivité s’érode ou au contraire se renforce.

Si la monnaie est un thermomètre de l’état de santé d’un pays ou d’un ensemble monétaire, elle en est aussi un "fixeur" d’alignement : elle baisse quand la compétitivité décline, ce qui permet de fouetter ses exportations, et elle grimpe quand un pays est suffisamment performant pour supporter une hausse des prix de ses produits.

En retour, une monnaie forte, consolide les économies dont elle tire son attrait, en réduisant le coût de leurs importations et, conséquemment, l’inflation importée.

Il se crée ainsi,  avec le concours de la monnaie,  un cercle vertueux autour des ensembles forts et un climat délétère autour des espaces économiques fragiles.

Quand le monde vivait dans des économies d’autarcie, ces différences n’avaient pas les mêmes conséquences que dans les temps présents de la globalisation, des échanges  mondiaux,  et d’une  compétitivité étalonnée à l’aune de la  planète.

La crise actuelle de l’euro, monnaie du plus grand ensemble économique mondial en terme de produit intérieur brut, est venue  nous rappeler cette vérité simple, que la force d’un pays ou d’un ensemble de pays, ne réside ni dans sa taille, ni dans l’importance de sa population, encore moins dans son PIB, mais bien dans la manière dont tous ces atouts sont conjugués, gérés, consolidés, et toujours maîtrisés.

LA CIGALE ET LA FOURMI


Dans un excellent film d’un réalisateur français à succès dans les années 1970, les deux héros se targuaient de vouloir vivre dix années comme un lion plutôt que trente années comme une chèvre, et c’était devenu pour les jeunes de l’époque, les bobos de mai 1968, la marque de fabrique.

C’était une version moderne de la fable de  Jean de la Fontaine, "la cigale et la fourmi", mais en front renversé, avec une côte d’amour pour la cigale.

L’Europe a, de ce point de vue, été sans conteste, une adepte du comportement "bobo", puisque dès les années 1970, la marche en avant de son endettement a commencé.

Elle a été imitée en cela par les USA  qui ont, cependant, d’autres arguments économiques à faire valoir, pour se faire pardonner leurs excès.

C’est en effet, depuis ces années 1970, une période, pourtant, bénie des Dieux, avec un regain de croissance, un peu partout dans le monde, que l’endettement occidental a entamé sa fuite en avant, pour culminer, de nos jours, à des niveaux inimaginables auparavant, sauf en temps de guerre.

Les pays ont commencé à vivre au dessus de leurs moyens, en oubliant que le seul résultat possible à l’excès d’endettement, étaot l’appauvrissement, la perte d’influence, et une plus grande dépendance vis-à-vis des créanciers. D’autant que la mondialisation, à un effet d’amplification et d’immédiateté, qui accentue la vulnérabilité des débiteurs.

LA MAPPEMONDE QUI BASCULE

Au même moment, la mondialisation, encore elle, la montée en puissance des moyens de communication et la force de la médiatisation ont  révélé des pays à eux-mêmes et aux autres : les producteurs d’hydrocarbures, des produits  agricoles, et de matière grise (l’Inde et ses informaticiens, la Chine et ses électroniciens, etc.).

Elles  ont été  un formidable éveil à la conscience citoyenne, et un encouragement  pour de nombreuses  populations, que tout est possible, tout est  ouvert,  quand l’ambition est au rendez vous.

L’exemple de petits pays, devenus des "dragons", capables de s’ériger en centres, notamment financiers,  dans des espaces de polarisation, a été un coup de fouet aux pays émergents, même pour ceux, dépourvus de richesses naturelles significatives.

Parallèlement,  à l’émergence des pays du Sud, qui se sont arrachés, comme on vient de le voir, au sous développement, les pays du Nord n’ont pas négocié, avec le succès maximal,  le tournant de la modernité économique.

Grisé par une longue période de croissance économique, qui a tiré un bénéfice réel des accords de Bretton Woods et du plan Marshall de 1947, l’Occident a dépensé sans compter, à bon escient ( les investissements en infrastructures ) et à mauvais escient ( les dépenses excessives de fonctionnement ), et dans des législations sociales protectrices, humainement les bienvenues, mais devenues trop lourdes et handicapantes, dès lors que la concurrence économique mondiale s’exacerbait, entre le Nord cigale et le Sud fourmi.

Les USA, le Japon et l’Europe, pourtant nouvel ensemble, n’ont pas vu arriver le vent du boulet des pays du Sud, qui commençaient à empiéter sur leurs "plates- bandes"  à l’instar, pour ne prendre qu’un exemple, de la Chine sur le continent africain.

Les pays du  Sud n’ont  pas encore supplanté ceux du vieux monde en termes de niveau de vie par habitant, très en deçà encore, sauf pour les producteurs d’hydrocarbures,  mais  ils s’en rapprochent à une vitesse grand V, grâce à une dynamique industrielle et commerciale, et surtout  à une  ascèse de vie, qui en font des créanciers vertueux, au contraire des occidentaux, qui sont devenus des débiteurs structurels.

LE MIRACLE INACHEVE DE LA ZONE EURO

Les moins bien lotis des occidentaux sont les Européens, dont les populations vieillissantes sortent de nombreux siècles de duels guerriers fratricides, et qui s’essayent à une union qui met beaucoup de temps à les cimenter, en leur faisant perdre les vieux réflexes du souverainisme.

Cette Europe est un miracle qui ne veut pas encore aboutir : un miracle parce qu’il s’agit d’un espace qui rassemble des Etats,  autrefois  maîtres du monde mais rivaux historiques, jusqu’à la rupture et aux multiples guerres.

Mais ce miracle reste inachevé, car de nos jours pour se maintenir dans la compétition mondiale, il faut disposer d’une créativité, d’une compétitivité, d’une rigueur de gestion, et constituer une zone monétaire disposant de tous les attributs y afférents, à savoir un gouvernement économique, permettant la mise en œuvre coordonnée de politiques budgétaire, de change et monétaire.

Ce n’est pas le cas de la zone euro, qui certes dispose d’une monnaie, mais pas les moyens nécessaires à sa solidité, en dehors du pacte de Maastricht, qui n’a de stabilité que le nom, car ses deux exigences fondamentales, les 3% de budget et la dette maximale de 60% du PIB, n’ont, surtout au cours des dernières années, jamais été respectées.

Plus même, la zone euro, est livrée au surendettement généralisé de tous les pays qui la composent, ce qui fait désordre et n’a pas tardé à rendre la deuxième monnaie du monde,  la victime des  marchés financiers, qui n’aiment pas les incertitudes et le manque de direction claire de sa politique économique.

Ce que les marchés attendent, et ce dont ils doutent, c’est que cette zone qui a un fort potentiel, en termes de capacités productives, créatives et de talents humains, parvienne à se doter des moyens à même de les rassurer,  à savoir : une solidarité à toute épreuve dans le domaine économique, par la création d’un ministère  ayant les pouvoirs les plus étendus pour coordonner les politiques budgétaires.

Les marchés restent perplexes,  car ils connaissent le "péché mignon" des Européens, le souverainisme affiché, et celui rentré, qui à chaque timide avancée vers le fédéralisme, ressortent les vieux sarcasmes éculés sur les "gnomes de Bruxelles, ces bureaucrates nantis, qui ne connaissent rien à la réalité du terrain".

Tant que l’Europe, qui n’a franchi les différentes étapes menant à son intégration, qu’à la suite  des crises successives qu’elle a connues, depuis le Traité de Rome,  n’aura pas tout à fait pris conscience qu’elle vit depuis quelques années, clairement,   dans une autre crise tout aussi cruciale, elle ne fera pas le dernier saut, celui qui lui offrira son salut et figera dans l’histoire son miracle abouti.

CONCLUSION

La planète finance a eu, ces dernières semaines, un peu plus peur que d’habitude, car elle observe que la crise financière affecte  des valeurs que rien ne devrait, en théorie,  exposer à l’inquiétude et à l’incertitude, telles que celles des Etats souverains, surtout de ceux d’entre eux, qui font partie intégrante d’une zone puissante.

Elle voit,  que plus personne n’est à l’abri des retournements de conjoncture, que personne n’est protégé de la perte de crédit, y compris les Etats, et même les ensembles d’Etats aussi puissants soient ils.

Ces derniers sont comme les individus, et les institutions, exposés aux risques de réputation, de crédibilité et surtout de confiance.

Elle observe, que de plus, dans un monde de l’instantané, ces risques peuvent à tout moment se transformer en sentences, des lors que les concernés ne font pas la preuve de leur volonté de redressement.

C’est ce qui est arrivé à l’euro, et qui peut arriver un jour à d’autres monnaies, y compris au dollar américain, qui sera lui aussi exposé  à de fortes turbulences, si les USA, ne font pas de la réduction de leurs déficits de la balances des paiements courants un objectif premier.

D’ailleurs, l’inquiétude des marchés sur le sort de l’euro n’a pas profité à d’autres monnaies, et la seule valeur refuge en ces temps de soubresauts, a été le métal précieux, dont la valeur ne cesse de grimper.

Pourtant, dans ces périodes de doute pour les monnaies et surtout pour celle qui a été la plus malmenée, en l’occurrence l’euro, des motifs d’espoir apparaissent.

C’est d’abord la prise de conscience généralisée, que le surendettement est un naufrage programmé, que la croissance économique forte est la mère de toutes les batailles dans la mondialisation, et que l’Europe finira non seulement par l’admettre, ce qui est déjà  le cas, mais par mettre tout en œuvre pour  s’y conformer.

C’est aussi, le fait que le règne du dollar roi, et valeur refuge, arrive à son terme, du fait de l’essoufflement de l’économie américaine, dont l’endettement ne pourra plus être comblé par les réserves des pays émergents et principalement de la Chine.

En effet, ces derniers envisagent,  très sérieusement,   d’une part la diversification de leurs  excédents en d’autres monnaies, y compris en euros, si ce dernier finit par se ressaisir, et d’autre part  leur redéploiement sur leurs marchés intérieurs, ce qui réduira  leurs exportations très concurrentielles.

Enfin la baisse de l’euro, si elle se poursuit et surtout si elle se prolonge,   sera une force d’entraînement très percutante vers plus de croissance pour l’ensemble de la zone.

Et ces trois perspectives heureuses, si elles sont relayées par des mesures fortes, qui les rendront crédibles, donneront un peu de baume au cœur des marchés  et  surtout des citoyens de la planète monde qui  sont, toujours, les vrais payeurs en dernier ressort.

Mourad Guellaty