Opinions - 10.04.2018

Riadh Zghal: Privatisation entre pragmatisme et lignes rouges

Riadh Zghal: Privatisation entre pragmatisme et  lignes rouges

Depuis le soulèvement de 2011, le débat public autour des affaires politiques, au lieu de chercher à apporter des réponses efficaces aux motifs mêmes du soulèvement et au cri de détresse lancé par une population privée de liberté et laissée au bord de la route du développement, il s’est enlisé dans des questions d’ordre idéologique. L’épuisement d’un discours controversé en appelle un autre. On a longuement assisté à des querelles sur l’identité, l’égalité de genre, la vérité de la révolution, si on vit une révolution ou un complot agité par des mains étrangères, et maintenant privatisation ou non des entreprises publiques. Tous ces débats n’aboutissent pas à une fin de visions partagées sinon corrigées car la référence est souvent idéologique, autrement dit les discours sont filtrés par une attitude préétablie et l’on sait combien les attitudes profondes sont résistantes. L’économiste américain John Kenneth Galbraith avait déjà prévenu dans son livre  La société de l’abondance, publié pour la première fois en 1958, que la résistance des idées qui interprètent le monde menace la prospérité réalisée :

Toutefois, le débat autour de la privatisation des entreprises publiques a l’avantage de se placer sur le terrain économique ô combien vital pour un pays dont la plupart des clignotants économiques sont au rouge. A regarder la question de la privatisation en dehors de tout a priori idéologique, on relève autant d’arguments pour que d’arguments contre. Néanmoins, il y a un choix à faire et dans l’urgence. Mais avant d’énumérer les arguments, faisons un petit détour vers les expériences faites ailleurs. La vague de privatisations a touché la plupart des pays avec la montée du néolibéralisme encensé par Thatcher et Reagan puis renforcé par la chute du mur de Berlin. Deux politiques de privatisation ont alors été adoptées : celle des pays riches qui, avant de se séparer d’entreprises ou de services publics, en améliorent la gestion pour en faire des activités rentables puis les vendent au meilleur prix, et celle des pays dits «en transition» et en difficulté économique et financière qui bradent des entreprises publiques et privatisent des services publics. La leçon que nous Tunisiens pouvons déjà en tirer, c’est d’abord améliorer la gestion et la compétitivité des entreprises publiques ensuite décider, selon les cas, là où se situe l’intérêt général, s’il faut céder l’activité au privé, ouvrir le capital et inscrire l’activité dans un partenariat public-privé, ou maintenir l’activité dans le secteur public.

Revenons maintenant aux arguments pour ou contre la privatisation, sachant que le concept est polysémique et qu’il y a plusieurs formes d’ouvrir au privé des activités traditionnellement considérées comme la chasse gardée du secteur public. Cela va depuis la vente d’une entreprise publique jusqu’à la participation des employés au capital, en passant par l’association avec un partenaire privé, l’introduction en Bourse et le drainage de nouveaux capitaux.

Outre l’apport d’argent frais pour l’Etat qui en a bien besoin, les adeptes de la privatisation avancent des arguments tels que : l’amélioration de la productivité et de l’efficience des entreprises, une meilleure santé des finances publiques, l’apport de ressources allouées à des secteurs qui en ont un besoin urgent tels que l’éducation et le développement des régions désavantagées et du monde rural, la réduction du gaspillage des ressources de l’Etat à travers la subvention d’entreprises déficitaires, l’élimination des interférences politiques dans la gestion, la réduction de la corruption… En quittant les activités productives, l’Etat pourra se concentrer sur son rôle de facilitateur et d’accélérateur du dynamisme économique dans le pays à travers les choix et les décisions stratégiques qu’il peut prendre. Telles seraient, entre autres, les vertus de la privatisation.

Ceux qui s’opposent à la privatisation avancent autant d’arguments contre : les entreprises privatisées, notamment les grandes entreprises, sont cédées à des intérêts étrangers qui se mettent à pratiquer des prix exorbitants empêchant l’accès de populations pauvres à des produits et services pourtant vitaux comme l’électricité, l’eau ou l’assainissement, la main-d’œuvre des entreprises privatisées devient plus vulnérable du fait des «plans sociaux» et de « restructurations », pour ne pas dire licenciements, le privé étant d’abord concerné par la maximisation du profit, la privatisation est associée à des pratiques de corruption et de crimes financiers dont les comptes bancaires à l’étranger au profit d’agents publics et le blanchiment d’argent.

Si l’on considère que tous ces arguments, vantant les vertus de la privatisation ou mettant en garde contre ses vices, ne sont pas dénués de sens, lesquels faudra-t-il retenir ? A notre avis, il ne s’agit pas de retenir ou de rejeter en bloc tous les arguments pour ou contre, car comme tout phénomène humain, la privatisation ou le maintien de la propriété publique ne sont pas exempts de paradoxes. Cependant, pour tout acte de gestion, il y a des choix à faire sous la contrainte : il y a un besoin de ressources et une volonté du gouvernement de ne pas se départir de son rôle social. Le chef du gouvernement a adopté une approche pragmatique en déclarant que la question sera traitée au cas par cas, le secrétaire général de l’Ugtt parle de lignes rouges.  Connaissant les avantages et les risques de la privatisation, le débat devrait s’orienter vers l’élaboration de choix stratégiques qui tiennent à la fois compte des contraintes du contexte et de l’intérêt général à long terme. Au lieu du filtre idéologique, ce sera celui de la stratégie de développement qui guidera les choix. La privatisation a certes des avantages, elle a aussi sans conteste des risques. Alors, mesurons-en les avantages et mettons les pare-feux contre ses risques, telle me semble l’approche utile pour sortir des impasses idéologiques du débat.

Riadh Zghal


 

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