Tunisie: Sauvons le soldat Pharmacie centrale de Tunisie
Depuis quelques jours, la Pharmacie Centrale de Tunisie (PCT) est sous le feu des projecteurs. Elle aurait en mars de cette année autour de 389 Millions de Dinars de dettes envers ses fournisseurs… étrangers.
Une situation préoccupante mais pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Qui a intérêt à voir le monopole de la PCT remis en question.
Tout d’abord une précision de taille, les problèmes de trésorerie de la PCT sont liés à ses créances (plus de 600 Millions de Dinars) envers ses principaux clients ; à savoir la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) et les Structures Sanitaires Publiques (SSP). Heureusement que le PCT a continué à assurer l’approvisionnement des structures étatiques alors qu’elles étaient incapables de la payer.
Donc d’un point de vue financier pur, une fois que la PCT recouvrira ses créances, elle pourra régler son dû envers ses fournisseurs.
Ceci n’est que la partie visible d’une question beaucoup plus complexe.
En effet, la CNAM a eu des difficultés de trésorerie ces derniers mois et ceci pour deux raisons : la première est liée à la situation des caisses qui ne versaient pas la part due à la CNAM des cotisations sociales. Face à cette situation, un amendement de la loi n°2004-71 a été voté par l’Assemblée des Représentants du Peuple en juin 2017 afin d’assurer des fonds plus au moins stables à la CNAM. La deuxième raison est plus structurelle puisqu’elle est liée à l’organisation du régime d’assurance maladie qui est fragmentée en trois filières (publique, privée « médecine de famille » et système de remboursement). Outre l’entorse à la solidarité et l’iniquité, cette fragmentation a impliqué des procédures gestionnaires complexes, générant l’inefficience et exposant à la corruption.
Comme un effet domino, les difficultés de trésorerie de la CNAM se sont répercutées sur les hôpitaux et les structures de santé qui dans leur grande majorité ont arrêté de payer la PCT.
Ce déficit inexistant il y a quelques années est devenu chronique.
Mais la question est encore plus complexe. Pourquoi les hôpitaux sont-ils devenus si vulnérables financièrement ?
Cette vulnérabilité est en fait le résultat de plusieurs facteurs. Il faut tout d’abord comprendre que le financement des structures sanitaires (HR et EPS) est caractérisé par un système complexe de subventions croisées, ministère de la santé CNAM, recettes de l’hôpital...Dans toutes les structures ce système complexe de financement ne répond souvent à aucune logique. La budgétisation des activités des SSP n’est pas réaliste.
Les décisions politiques de création de services ou d’unité dont le budget de fonctionnement n’est pas prévu, comme par exemple la création d’unité de dialyse qui évidemment ne prend en charge que les non assurés sociaux plus les besoins accrus des citoyens sont rarement pris en compte et quand ils le sont c’est souvent partiellement et avec beaucoup d’années de retard. En outre, les SSP ne reçoivent pas explicitement une contrepartie financière liée aux contraintes de la mission du service public qu’elles rendent (la prise en charge de la population pauvre et vulnérable, des amnistiés, des chômeurs, etc) ; Les cout des soins dans les SSP qui reçoivent des étudiants est plus élevé que dans les structures qui n’en reçoivent pas. La formation c’est du temps, du matériel et des prescriptions supplémentaires pas toujours pertinentes, c’est le propre de l’apprentissage et cela représente un cout non négligeable.
Enfin, la santé a souvent servi de soupape pour les demandes d’emplois. Les ressources humaines dans les SSP sont incohérentes et pléthoriques pour le corps ouvrier par exemple. Lequel corps ouvrier est le seul parmi l’ensemble du personnel à être rémunéré directement par l’hôpital. Les décisions centralisées de recrutement sont imposées aux gestionnaires. Je n’aborderai pas volontairement la question de rendement du personnel toutes catégories confondues.
Le système ne peut pas se focaliser sur le déficit de la PCT et ignorer les causes profondes de ce déficit. Tout est lié.
La baisse du dinar tunisien l’année dernière a aggravé la situation de la trésorerie de la PCT qui assure le monopole d’importation des médicaments. Ce rôle a préservé la Tunisie de la contrefaçon et des produits non conformes et a limité les augmentations de prix, à travers un mécanisme qu’on appelle fréquemment « compensation ». Mais ces compensations tellement utiles dans certains sont devenues ridicules. La compensation consiste en ce que la PCT prenne à sa charge la baisse du dinar qu’elle ne répercute pas sur le prix du médicament. Heureusement. Mais avec la chute du dinar tunisien de 40% en 6 ans, les pertes de la PCT sont devenues colossales. Cette compensation est justifiée pour les médicaments dits vitaux mais pas pour les médicaments dits de confort. Or une bonne partie des produits compensés concerne des médicaments non essentiels. Un conseil ministériel en septembre 2011 présidé par Mr Beji Caïd Essebsi a décidé de ne plus compenser les médicaments classés « confort » ou « intermédiaire ». Cette décision a été réactivée en avril 2014, mais malheureusement l’application de cette décision a été suspendue en 2015. Incompréhensible car outre le fait que la compensation met en danger la survie de la PCT, elle n’encourage pas les fabricants locaux à se lancer dans la fabrication des médicaments compensés.
Last but not least, depuis 2011 la contrebande organisée des médicaments (souvent compensés) et la multiplicité des circuits de distribution n’a pas arrangé les choses.
Les solutions découlent des dérives du système sommairement décrites dans constat. Elles sont à entreprendre d’extrême urgence pour sauver ce système national de distribution des médicaments.
Finalement je pense que certains se réjouissent des difficultés de la PCT en pensant qu’ils vont pouvoir briser le monopole de distribution des médicaments, je leur demande de réfléchir à deux fois car c’est des calculs à courte vue, tellement je suis convaincu que le rôle de la PCT dans notre système de santé est essentiel. Sachez que les difficultés financières de la PCT ne sont que le reflet des énormes problèmes de l’ensemble du système de santé tunisien.
Ines Ayadi