Souvenirs d’un passé glorieux et espoir de lendemains plus florissants
Hassib Ben Amar d’El Omrane à la Défense Nationale
Aîné d’une famille voisine dans notre cité d’El Omrane où j’ai vu le jour , Si Hassib Ben Ammar, ancien homme politique, militant des droits de l'homme, directeur du PSD avait été nommé Ministre de la Défense nationale en 1970. Il faisait partie de nos aînés dans cette coquette banlieue ; tout comme Slaheddine Baly, autre enfant de la cité qui est devenu également ministre de Bourguiba et qui formaient, tous les deux, sa fine fleur. El Omrane, était la première banlieue tunisienne créée par ‘’La Société Indigène d’Habitation Bon marché’’, comme on appelait ce genre d’organisme alors, sous le protectorat, jouxtait et défiait la banlieue de Franceville, fondée quelques années plus tôt, pour loger les fonctionnaires Français. Et pour offrir aux fonctionnaires tunisiens les mêmes possibilités d’acquérir un logement moderne à Tunis que, feu mon père, le Général (titre honorifique de l’époque) Ahmed Ben Salah, Chef de Section à la Direction Générale des Finances, a été le fondateur en 1920 de cette société et de la création de cette souriante cité d’El Omrane. A la Société s’étaient affiliées de jeunes figures de l’époque, à l’exemple des présidents Mohamed El Ouertatani et Mohamed Melki du Ministère de la justice ; les administrateurs Mohamed Ghattas et Chédli Tébourbi ; les éducateurs Sahbi Farhat et Amor Rokbani ; les moudarrès cheikhs Mokhtar et Mustafa El Meddeb … ; et Am Salah Ben Ammar, père de Si Hassib Ben Ammar et de sa soeur Radhia…. Radhia Ben Ammar, devenue par la suite Radhia Haddad, était également connue, aussi par tous les habitants de la cité, notamment pour son patriotisme et soutien actif aux militants du Néo-destour emprisonnés par le colonisateur et pour qui elle assurait ‘’la Kouffa’’ préparée hebdomadairement et gracieusement par nos mères qu’elle contactait l’une après l’autre à El Omrane. Elle était l’épouse de Si Hamouda Haddad, ingénieur de l’ECAT et PDG de l’Office des céréales, que j’avais connu au début de ma carrière et qui lui aussi faisait partie de cette génération qui, avec tout un panel d’anciens, nous avait coachées dans la relève de l’administration française au début de l’Indépendance.
Hassib Ben Ammar et la place de Tataouine dans sa stratégie de Défense Nationale
C’était par une matinée de 1970, un peu comme les autres matinées. Arrivé à mon bureau d’Ingénieur agronome où mon seul contact officiel se limitait à mon directeur hiérarchique de l’époque, celui-ci m’informa que j’avais à me rendre au Ministère de la Défense pour voir M. Hassib Ben Amar, le Ministre. Le rendez-vous était fixé pour moi et pour deux autres collègues.
Flatté par ce rendez-vous avec cet aîné et voisin, devenu Ministre, je me rendis donc, avec les deux collègues, à l’heure convenue chez le Ministre.
Il nous réserva un accueil chaleureux en tant qu’experts de l’agriculture. Il nous fit part de ses préoccupations relatives à la région frontalière de Tataouine, ses grands espaces sahariens, où la présence humaine était très limitée et où manquaient les voies et moyens de vivre…. Moyennant quoi, il attendait de nous d’accomplir, pour le compte de son ministère, une mission dans la région (érigée en gouvernorat de Tataouine plus tard, en 1981) pour évaluer les possibilités de développement agricole, notamment en irrigué. C’était donc une mission technique dans cette région de Tataouine où nous aurions à nous rendre pour la première fois. Durant cette réunion, il nous expliqua que durant notre mission on aura à visiter Borj Bourguiba (anciennement appelé Borj Leboeuf où stationnait le goum saharien de l’armée française ou en arabe ( برج القصيرة ), Bir Zar, Nekrif, Tiaret, Remada, El Borma…, et enfin le mythique Fort-Saint - point de jonction des frontières tunisienne, algérienne et libyenne et à qui il a été donné le nom de ‘’Borj el Khadra’’ après l’Indépendance. Dans ces différents points existaient des puits de surface – dont certains étaient encore artésiens - ou des sondages profonds à partir desquels on devait étudier et proposer des possibilités de créer des projets de développement agricole permettant à des populations habituées au nomadisme et en cours de sédentarisation, d’y vivre et d’occuper géographiquement ces immensités peu peuplées à l’époque. L’objectif de Hassib Ben Ammar était donc celui du stratège visant à faire jouer à cette région, quelque peu délaissée, le rôle du ‘’limes tripolitanus romain’’ de contrôle de tous les territoires du pays en partant d’actions de développement agricole adaptées.
Pour nous autres, Tataouine faisait partie de ce grand sud où notre Direction de la PAVA était représentée par un ‘’arrondissement’’ dont le siège se trouvait à Sfax et couvrant tout le Sud. Les attributions de cette PAVA et en particulier celles du Bureau d'études que je dirigeais comportait notamment l’élaboration d’études de développement et de mise en valeur hydro-agricole des périmètres irrigués créés par les services de l’hydraulique. Mais on n’avait jusqu’alors aucune étude qui ciblait cette région. Un hélicoptère de l’armée était mis à notre disposition pour effectuer la tournée nécessaire, de même qu’on était invité à passer les nuits dans les garnisons de l’armée. On travailla donc dans le sens demandé pendant ce séjour, et durant les journées suivantes pour réaliser l’étude demandée et la remettre quelque temps après, par la voie hiérarchique, conformément aux processus administratifs.
Grandes lignes d’actions proposées par notre étude
Compte tenu des potentialités moyennes des rares ressources hydriques, de la qualité des sols arables en dehors des hamadas, plateaux pierreux, plaines caillouteuses ou des dunes du Grand Erg oriental, un certain nombre de zones pédologiques adaptées à une mise en valeur agricole ont été identifiées. Dans nos propositions, on ne s’était pas limité à des programmes de mise en valeur en irrigué ; mais appel a été fait, également, aux anciens travaux de recherche effectuées par H.N. Le Houérou, E. Le Floc'h, et autres anciens phytosociologues, pastoralistes, climatologues…. pour une mise en valeur pastorale en sec, parallèle et complémentaire à la mise en valeur en irrigué pour laquelle on avait été conviée en vu de tirer un profit max de cette contrée de notre Tunisie saharienne aride et d’introduire, par la même, une vision à long terme adaptée à sa vocation naturelle. Les anciens habitants sachant bien comment tirer partie de ces immensités à travers leur nomadisme, leurs troupeaux et leur connaissance du milieu.
Suites d’une Vision prémonitoire ou d’une Initiative personnelle de H. Ben Amar
Notre approche ayant été la même pour toutes les zones étudiées, y compris pour ce ‘’tripoint frontalier entre la Tunisie, la Libye et l'Algérie’’ qu’est Borj el-Khadra et la fameuse borne 233 où l’Etat tunisien, fraîchement indépendant, avait construit un puits sur son propre budget. Lors de notre visite, il y avait, dans cette borne 233, un bâtiment occupé par l’armée et un puits en face duquels s’étendait un lac où s’était collectée les eaux de ce puits et autour duquel une végétation s’était développée. La tranquillité des lieux était agrémentée par les chants d’oiseaux qui avaient trouvé le moyen de s’y installer. Mais, c’est ici que la politique s’était superposée à nos propositions tout un long contentieux de frontière : Bourguiba aurait soumis à Ben Bella, chef de l'Etat algérien, le problème de la délimitation des frontières à partir de la borne 233…, qui aurait consenti verbalement à un arrangement reconnaissant la souveraineté tunisienne à cette frontière. Mais, à son retour à Alger, le chef de l'Etat aurait essuyé un refus de la part du tout-puissant Houari Boumediene, ministre de la Défense et Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères . On ignore, d’ailleurs, si Hassib Ben Ammar, Ministre de la Défense avait donné son avis dans cette affaire ; ce qu’on retrouve dans certains textes, c’est qu’il n’a gardé son poste que deux années, à la suite de quoi il a démissionné ! S’agit-t-il donc d’une initiative personnelle pour développer et protéger ces régions ? Etait-ce une initiative de l’ensemble du gouvernement Nouira avec ou sans l‘accord de Bourguiba ? Il faut reconnaître qu’une fois l’étude remise au destinataire, on n’avait jamais eu écho de ce qu’il a été décidé par le Ministère de la Défense en la matière. En tout cas qu’il s’agisse d’une prémonition ou d’une initiative personnelle, je pense que cette volonté de développer ces régions ne peut qu’être à son crédit, et l’étude n’aurait pas été superflue….. Si Hassib a donc tracé une feuille de route, essayé, dans des circonstances certes particulières, d’assurer un lendemain plus radieux pour la région.
Quelle feuille de route pourrait donc résoudre aujourd’hui, ce binôme : création d’emplois et développement de la région ?
Depuis 2011, le Tunisien n’a pas cessé de se poser la question ‘’devra-t-on commencer par un développement producteur de richesses qui demande beaucoup d’investissements ou par une création d’emplois consommatrice de salaires même si elle ne produit rien ! Les caisses de l’Etat ne pouvant répondre, dit-on, aux deux objectifs à la fois.
On a vu la stratégie de Si Hassib Ben Ammar en faveur de Tataouine ; d’autres ont fait, par la suite, ce qu’ils ont pu… ! Mais aujourd’hui nos jeunes Tataouinais, prenant leur sort entre leurs mains pour passer à l’action, je pense notre salut viendrait de la recherche, un gisement d’idées idéal à partir des acquis de recherche de nos institutions spécialisées qui sont censés chercher à valoriser ! Sinon, à quoi auraient servi toutes ces institutions ? Quelle manne pour un grand nombre de chercheurs qui s’arrachent les cheveux de voir ces résultats rester sur leurs étagères sans que personne ne s’en préoccupe !
En fouinant dans les travaux, au moins dans cinq institutions, que d’idées de projets pourraient trouver nos jeunes à Tataouine, tout comme d’ailleurs, dans plusieurs autres gouvernorats.
Ainsi, nos jeunes diplômés, au lieu d’aller s’agglutiner à Kamour ou d’autres sites pour quémander un poste dans quelque société qui n’a pas besoin de leur service, doivent commencer par constituer, entre eux, un ‘’Think Tank’’ (une sorte de laboratoire d’idées) qui aura à s’adresser à ces institutions pour provoquer des réflexions pertinentes, créer et choisir des idées à étudier et mettre en place leurs projets.
A ce titre, il n’y aura que l’embarras du choix entre :
- L’Institution National de Recherche agronomique (INRAT) de 1961, héritier historique du Jardin d’Essais de 1891 et du SBAT de 1913, et créé pour organiser et publier toutes sortes de recherche agricole ;
- L'Institut national agronomique de Tunisie d'enseignement supérieur fondé en 1898, constituant la plus ancienne école d'ingénieurs de Tunisie et d'Afrique et qui forme aussi des chercheurs, et qui, au moins, avec son département d'agronomie et des biotechnologies végétales cumule les thèses de masters et de doctorats à ces titres qu’il décerne ;
- L’Institut des régions arides (IRA) créé en 1976, établissement de recherche qui a pour principales missions la réalisation des recherches nécessaires au développement du secteur agricole, à la protection et la conservation des ressources naturelles et à la lutte contre la désertification dans les régions arides et désertiques et formant un incubateur d'entreprises pour la valorisation des résultats de ses recherches et l'accompagnement de projets ;
- L’Institut de l’olivier créé en 1981 et chargé d’entreprendre toutes actions de recherche, d’étude et d’expérimentations de nature à développer et promouvoir le secteur oléicole et celui de l’arboriculture fruitière en zones semi-arides (la topographie de certaines zones arides de Tataouine pouvant bénéficier des résultats du semi-aride…), diffuser, valoriser et vulgariser les résultats de ses recherches ;
- L’INRGREF, créé à la fin de 1995, sans être le dernier né (puisqu’issu de l’INRF et du CRGR) il est doté de quatre laboratoires de recherche pour la gestion et la valorisation des ressources forestières, la valorisation des eaux non conventionnelles, de l’écologie forestière et de génie rural ; autant d’activités prioritaires au service du développement du pays ;
A côté de ces institutions de recherche, on peut encore citer l'Office de l'Elevage et des Pâturages créé depuis 1966 et ses textes amendés en 1993, appelé à jouer un rôle pour l’amélioration génétique des animaux, le développement des ressources fourragères et pastorales, et, le développement de l’élevage….
Avec une panoplie pareille d’organismes et les dizaines de chercheurs et d’experts qui les peuplent depuis des années ; et si on arrive à créer un contact seulement entre 5 chercheurs ou experts dans ces 6 institutions pour coacher une dizaine de jeunes, on pourra lancer autant de projets bien ficelés… et encadrés par des experts qui connaissent à fond les meilleures innovations auxquelles on peut prétendre. Notre Think Tank de Tataouine n’aura que l’embarras du choix pour les inviter les uns après les autres, à Bir Lahmar, Dehiba, Remada, Smâr, Ghomrassen, et, bien sur, à Tataouine … pour tenir conférences, séminaires, démonstrations directes sur le terrain, mises en contacts … et aider à élaborer des centaines de projets innovants et pertinents dont a besoin le pays pour des lendemains plus florissants.
Avec mes meilleurs souvenirs et en toute amitié pour la région et pour sa jeunesse.
Malek Ben Salah Ingénieur général d’agronomie, consultant indépendant, spécialiste d’agriculture/élevage de l’ENSSAA de Paris
Malek Ben Salah
Ingénieur général d’agronomie, consultant indépendant,
spécialiste d’agriculture/élevage de l’ENSSAA de Paris