Qui a dit que nous étions Arabes ?
Par Omar Bouhdiba - La petite boîte blanche sur l’étagère semblait tout à fait anodine. Pourtant elle allait peut être révéler des secrets anciens et redoutables qui pourraient changer le monde! Mon monde en tout cas. L’étiquette portait un message accrocheur difficile à ignorer. “Découvrez qui vous êtes …réellement” promettait-elle. Message plutôt inattendu sur l’étagère d’un de ces magazines mi-pharmacie, mi-supermarché, que l’on trouve à tous les coins de rues en Amérique. Pour un modeste montant de 162 dollars, affirmait la petite boîte, découvrez votre ADN, et par la même occasion votre origine réelle. Tunisien moyen en proie aux affres du doute quant à ce que représente notre Tunisianité, je ne pouvais résister longtemps à cette offre qui allait, nul doute, transformer ma vie. Il est vrai qu’entre une Troïka, qui nous cherchait des racines au Moyen Orient, un dialecte plutôt unique, amalgame de berbère, arabe, Turc, francais et italien, une cuisine berbéro-turco-italo je ne sais quoi d’autre, et surtout le sentiment d’être, très différent des Arabes que je côtoyais depuis deux décennies, je me trouvais, totalement dans le brouillard quant à ce qu’était vraiment le Tunisien. Et c’est ainsi, que, assis sur un banc public, un froid matin américain, je me trouvais en train de cracher dans un petit tube en plastique cette salive qui allait dénouer l’écheveau historique de mon origine et de celle de mes compatriotes.
Les deux semaines promises passèrent rapidement, et ce n’est qu’après un mois et demi sur des charbons ardents que l’email tant attendu faisait son apparition dans mon inbox. La découverte n’en fut pas une, car elle ne faisait que confirmer ce qu’au fond de moi, j’avais toujours su, sans m’en rendre compte. Tunisien typique s’il en est, je suis, nul surprise, a 74.5% Nord Africain. A cela viennent s’ajouter, 7,4% d’Arabe, 7,2% de Turc et 4% d’Européen. Les 10,9% restant tombent dans un panier “autres races” ou l’on a jeté pêle mêle le reste de l’humanité, tels Indiens d’Amérique, Népalais, Fijiens ou Slaves.
Citoyen d’un pays arabe, sans l’être, parlant une langue tout aussi étrangère que le Turc (7% de mon ADN chacune), le Tunisien que je suis se sent soudainement un peu perdu. Notre pseudo-identité arabo-islamique, si chère à la Troïka, n’est finalement fondée que sur de fausses croyances. Car au bout du compte, Musulmans, nous le sommes tres certainement… Arabes, presque pas.
Cette constatation donne le tournis rien que d’y penser. Le panarabisme, la cause palestinienne, la Ligue arabe, les soubresauts du monde arabe…. Toutes ces causes pour lesquelles nous nous sommes enflammés dans des élans de solidarité fraternelle, ne nous concernent que de très loin. Les pays frères arabes ne sont pas nos frères. L’arabisation à outrance n’a fait qu’institutionnaliser l’enseignement d’une langue étrangère au détriment d’une autre, le Francais, bien plus utile dans le monde moderne. Le printemps arabe n’est pas arabe. Il est Berbère. L’âge d’or de la civilisation arabe, Baghdad, Damas etc.. ne font pas plus partie de notre histoire que Shah Jahan ou Pépin le Bref. Nous sommes en réalite dans une situation similaire aux Indonésiens, Pakistanais et autres Turcs, qui tous, ont un apport linguistique arabe dans leur langage, sans être Arabes pour autant. On dit ainsi que la langue turque ne compte pas moins de 6.000 mots arabes, et que le vocabulaire Urdu est a 40% d’origine arabe. Pourtant, personne ne considère la Turquie et le Pakistan comme Arabes.
Le malentendu est de taille, et les implications énormes. Il faut tout d’abord, commencer par le commencement et retourner aux textes. La nouvelle constitution, source de grande fierté pour la Troïka, se trompe dès le début sur le sujet. Dès son préambule, en effet, elle parle de notre identité arabe, et de notre appartenance culturelle et civilisationnelle à l’Umma arabe. La constitution prêche aussi l’unité du Maghreb en tant qu’étape vers la réalisation de l’unité arabe, ignorant le fait que, n’étant pas Arabes, nous n’avons pas notre place dans cette unité hypothétique qui de toute façon, nous échappe depuis des siècle.
Le fameux article 1, qui ne peut, soit dit en passant, faire l’objet de révision, décrète que notre langue officielle est l’arabe. Pourquoi l’arabe, plutôt que le turc, a égalité de DNA ? L’amazigh n’étant pas pratique, on pourrait facilement envisager un état constitutionnellement bilingue, Arabe–Francais, comme les Indes, la plus grande démocratie du monde, qui conduit ses débats parlementaires en anglais, ou même trilingue si l’on ajoute l’anglais, ce qui ne paraît pas si farfelu, quand on sait que la Suisse et Singapour, comptent quatre langues officielles chacun.
Tout ceci ne prêterait pas trop à conséquence, n’eut été le contexte culturel qui vient avec tout langage. Les Arabes, sont un peuple nostalgique d’un âge d’or lointain et glorieux. Tout comme Hamadi Jebali qui annonçait le sixième Khalifat à Sousse, beaucoup n’ont toujours pas compris, que ce n’est pas les yeux fixes sur le rétroviseur qu’on conduit sur l’autoroute.
La carte du monde arabe sent le soufre, et les “success stories” y sont plutôt rares. Quand on la parcourt pays par pays, le constat malheureux est qu’aucun pays à 100% arabophone ne peut nous servir aujourd’hui de modèle de société ou de développement. Il est clair que ce ne sont pas les Arabophones qui font avancer la recherche aujourd’hui. Steve Jobs, l’Arabe le plus génial du monde, n’en parlait pas un mot, et Apple n’existerait pas si son père était reste en Syrie. Dubaï, rare exemple de réussite dans une région troublée, est une métropole mondiale, résolument bilingue, incroyablement tolérante et qui a élevé le modernisme au rang de l’obsession.
Plutôt que d’essayer de se greffer sur une culture étrangère, qui ne brille pas par son progressisme, nous devrions inculquer a nos enfants que nous sommes des Tunisiens fiers de notre identité, avec une histoire exceptionnelle qui n’a rien a envier a personne. Si nous faisons partie d’un ensemble, c’est bien le Maghreb qui nous donne 74,5% de notre sang.
Ou alors, on peut choisir d’ignorer le message du petit tube en plastique, et s’obstiner, contre toute logique, à essayer de faire partie de la masse humaine la plus instable du monde avec les conséquences que nous voyons tous les soirs au bulletin de 20h00. Quand au développement, bonne chance !
Omar Bouhdiba