Fatma Ben Soltana: Naissance d’une reine de la fashionsphère Tunisienne
«Passionnée intense moderne et féminine, tu es celle qui se lève et bat pour ses droits». Brodé en fil doré sur une des pièces maîtresses de sa dernière collection, ce slogan pourrait être le titre d’un manifeste féministe ou d’un hymne à l’empowering scandé lors des récentes manifestations à New York. Nous sommes pourtant au royaume du glamour, de la beauté et de la féminité, au cœur de l’atelier «Soltana». Soltana est tout le contraire de ces odalisques qui ont depuis peu réinvesti nos écrans et nos imaginaires comme une tentative de régression suggestive vers des époques révolues. «Soltana» est une reine résolument moderne, audacieuse, intrépide, belle et brave, c’est la femme tunisienne telle que Fatma Ben Soltane la conçoit. Ses armes: une passion dévorante pour le design et la mode et le travail acharné pour religion. Des colliers de cristal enfantins créés avec une grand-mère artiste aux podiums des Fashion-Weeks de Dubaï, Paris ou Monaco, le fil conducteur est une passion du beau, une fascination pour la lumière et une détermination au succès.
«Ce n’est presque pas un choix, c’est un don familial». Entre une grand-mère artiste qui lui créera ses bijoux et ornera son enfance de broderie et un père architecte qui lui transmettra un sens aigu de l’esthétique, son exigence et sa rigueur, Fatma a grandi avec le rêve de dessiner et d’habiller le monde, pour premiers modèles ses poupées. Pourtant, ce sont de brillantes études de finance et création d’entreprise qu’elle entamera après son bac. Apres un master brillamment obtenu et des études d’anglais aux Etats-Unis, Fatma entame une carrière en entreprise de cosmétiques avant de comprendre que sa passion pour la mode est plus forte. Dans la maison familiale, elle commencera par quelques modèles pour habiller des amies et des proches. Le succès étant au rendez-vous, elle se décide à créer sa société. En 2014, Soltana est née. Aussitôt, la marque conquiert les podiums et le public averti à Tunis lors des Fashion-Weeks, puis à Dubaï et à Paris où elle vient de présenter sa collection printemps-été 2018.
Glamour, assurance et empowernment, ADN souverain
«Soltana, c’est une souveraine absolue, elle ne se refuse à rien, ne s’interdit rien, elle ose tout», affirme la jeune créatrice. Chaque pièce raconte cette femme enfant libre, forte et audacieuse. Lignes structurées, coupes franches, chirurgicales, broderies et dentelles, cristaux et paillettes habillant des treillis militaires, la femme Soltana est à la fois une femme enfant et une puissante guerrière. Des «Garden Jewels» où transparence et perles s’allient aux dentelles somptueuses, en passant par ses collections «Nature» où le romantisme provocant cède au chic déjanté, le glamour et la finesse sont des constantes invariables. Des défilés qui ont bouleversé les Catwalk de Dubaï, Paris et Tunis et qui figurent parmi les enseignes les plus prometteuses. La créatrice ne se fixe aucune limite, elle sublime la femme, avec une sophistication spontanée et lui donne les armes de séduction massive en main. Ses modèles allient sans complexe jeanboy-friend déchiqueté avec des chemises vaporeuses tout en satin, guipure, soie, mousseline et velours, accompagnés de sequins et de perles. Volumes, lignes structurées, papillons brodés sur cols hauts et épaulettes oversized côtoyant joyeusement les robes blazer et les mini-combinaisons rose bonbon. L’innocence n’est jamais loin, la puissance est flagrante. Sous la protection d’une main de Fatma, logo de la marque, les femmes Soltana avancent, portent haut leurs identités et leur universalité, responsables, autonomes et fortes.
La mode, l’autre combat politique
Extension du domaine de la lutte. «La mode n’a rien d’un sujet superficiel, la mode est un enjeu politique, social et culturel», affirme la créatrice. Résolument féministe, Fatma Ben Soltane l’assume: «La mode est résolument politique, c’est l’expression d’une époque, d’une esthétique. Mettre le corps de la femme en valeur, lui donner l’envie d’oser est un acte militant. Il est presque anachronique et indécent de se retrouver aujourd’hui, 61 ans après la promulgation d’un Code du statut personnel révolutionnaire, à parler encore de la place de la femme dans la société tunisienne, mais les faits sont là et le féminisme comme combat politique reste plus que jamais actuel et nécessaire et la mode a un rôle à jouer». Combative et libre, Fatma Ben Soltane a fait de sa griffe un porte-étendard, celui de la femme tunisienne. «Je suis emplie de fierté à chaque fois que je peux porter haut la voix de la femme tunisienne. Notre pays doit tout à ses femmes, elles sont de tous les combats, quotidiens, et sur tous les fronts. Je leur dois tout et je me dois de les représenter telles qu’elles sont : étincelantes, belles, fragiles et puissantes», souligne-t-elle.
La mode : acteur économique prometteur mais négligé
Fatma Ben Soltane regrette comme beaucoup de jeunes créateurs de sa génération le manque d’intérêt total et un autisme étatique face à ce vivier de talents. «Le secteur de l’habillement et du textile est classiquement un des principaux leviers de notre économie, mais ce secteur souffre aujourd’hui de sclérose et peine à sortir de la crise. En se contentant de promouvoir la sous-traitance pour les marques étrangères au détriment des créateurs tunisiens, l’Etat alimente une fragilité de ce secteur et se prive d’une réelle richesse». La créatrice déplore le désintérêt de l’Etat, le manque d’opportunités et l’absence de soutien. Afin que sa marque survive, la créatrice a dû batailler pour la porter sur les grands podiums, sans aucune aide ou facilitation officielle. «Nous avons bien plus qu’une main-d’œuvre pas chère à vendre. La Tunisie regorge de talents, particulièrement dans le milieu de la mode, mais ces jeunes créateurs sont asphyxiés, accèdent difficilement à l’export. Le marché tunisien leur reste hostile, et à part quelques occasions comme la Fashion-Week, certains sont découragés et abandonnent leurs rêves». Fatma, à juste titre, voit dans la mode un secteur porteur, une passerelle et une vitrine pour la Tunisie. De par ses voyages à travers l’Europe et le Moyen-Orient, elle a pu mesurer l’impact de cette «Soft Power». «Pour augmenter l’attractivité d’un pays, promouvoir son tourisme, la mode offre une multitude d’occasions, qui sont malheureusement peu exploitées».
Pour sa part, elle déploie les ailes de ses papillons, presque emblématiques de la marque, qui la portent tout en glamour et finesse à la conquête du monde. Implantée à Monaco et Tunis, Soltana aura très bientôt sa première boutique au Moyen-Orient. Le mouvement est en marche à la conquête d’autres marchés. God Save notre Queen Soltana.
Amel Douja Dhaouadi