Il y a 60 ans, Sakiet...
Il y a soixante ans, la France colonialiste ajoutait encore un acte ignoble à ses nombreux méfaits qu'elle n'avait cessé de commettre depuis que sa soldatesque avait mis pied en Algérie en 1830 et en Tunisie en 1881. Afin de punir notre pays pour son soutien à nos frères algériens, le gouvernement français et le quarteron de généraux basés à Alger, prirent la funeste décision de bombarder le paisible village de Sakiet Sidi Youssef, qui plus est, un jour de marché dans le but de maximiser le nombre de victimes: ce fut un véritable carnage ! Plus qu'un crime, ce raid a été une erreur politique.
Unanimement condamné par la communauté internationale, il mit la France au ban des nations, précipita la chute de la Quatrième République, favorisa l'arrivée du Général De Gaulle au pouvoir et accéléra le processus des négociations avec le G.P.R.A qui déboucha sur l'indépendance de l'Algérie en 1962.
Le 8 février 1958, les peuples frères tunisien et algérien virent leur sang se mélanger.
L'histoire étant un éternel recommencement et les mêmes causes engendrant souvent les mêmes effets, près de trente après l'ignominie de Sakiet, une autre agression lâche sera perpétrée contre la Tunisie en raison de son soutien pour la juste cause palestinienne. Le 1 octobre 1985, l'aviation israélienne bombardait Hammam Chott. Le sang tunisien se mélangea à celui de nos frères palestiniens.
Là encore, cet acte barbare sera unanimement réprouvé et même l'allié traditionnel, inféodé et inconditionnel de Tel Aviv s'abstiendra lors du vote de la résolution du Conseil de sécurité condamnant l'Etat hébreux. Bourguiba avait en effet osé brandir la menace de la rupture des relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Il fallait le faire!
Mieux encore et grâce à une action discrète menée par notre diplomatie, les premiers contacts entre officiels américains et des représentants de l'O.L.P avaient eu lieu à Tunis qui seront suivis par des négociations entre palestiniens et israéliens sous l'égide du ministre norvégien des affaires étrangères et qui déboucheront sur la conférence de Madrid sur la paix au Moyen Orient ainsi que les accords d'Oslo et Washington entre Yasser Arafat et Ishak Rabin en 1993 et le retour une année plus tard des palestiniens sur la terre de leurs ancêtres.
Comme les algériens dans les années 60, les palestiniens ont réussi dans les années 90 à réaliser une partie de leur rêve: rentrer enfin chez eux ! Pas tous malheureusement car la résolution onusienne 194 traitant de la question des réfugiés comme le statut de Jérusalem seront renvoyés aux calendes grecques.
Hammam Chott et Sakiet doivent à jamais être gravés dans notre mémoire collective.
Dans les vers qui suivent, j'ai essayé d'imaginer ce qui a pu se passer ce 8 février dans ce hameau martyr!
Sakiet
Dix heures n'avaient pas
Encore sonné,
Pourtant
La place du marché
Baignait déjà
Dans un soleil éclatant,
Écarlate, bayant
Nonchalant et insouciant ...
Les gens s'étaient levés
Ce jour- là
Tôt le matin
Pour aller quêter
Avec foi
Sur le chemin
Du labeur
Un brin de bonheur
Un peu de joie...
Un papillon voltigeait
Dans l'air
Le ciel était bleu
Et serein,
Une abeille butinait
Une fleur,
Un oiseau chantait
Au loin...
Des enfants couraient
Un cartable à la main,
Un vieillard somnolait
Sur le banc du jardin ...
Ce jour-là à Sakiet
La nature était en fête.
Soudain !
La bourgade se blottit
Au flanc de la peur
Un pan de l'Univers
Sur la foule s'abattit;
Ébahie,
Frappée de stupeur
Et d'horreur
Elle fuit ...
Un éclair fendit l'azur
Le tonnerre gronda
L'apocalypse souffla
Les toits des masures
D'argile et de bois
Et ce fut le crépuscule ...
Un soleil de plomb
Et de sang
Bascule
Derrière l'horizon .
Une nuée
De vautours d'acier
Creva le ciel immaculé
Une traînée
De rapaces
Voraces
Et carnassiers
Plana hors du temps
Et de l'espace
Piqua du nez
Sur une marée
En haillons
Hirsute et médusée.
La machine infernale
Se mit à cracher
Une pluie hivernale
De fer et de feu
Coulée d'acier ...
Elle sema la terreur
Le malheur
La désolation.
Le crépitement des mitraillettes
Déchirant la chair de Sakiet
Et les bombes à fragmentation
Qui explosaient
En ce matin de février
Couvraient la plainte étouffée
Des veuves éplorées,
Les cris stridents
Des enfants apeurés ...
Une rigole cramoisie,
Sang des innocents
Aux yeux hagards
Coula sur le front
De l'Histoire.
La face de l'Humanité
Fut à jamais
Marquée
Au fer rouge de l'infamie
Et du désespoir.
Comme à Guernica,
Diar Yassine ou Oradour
Lidice et Hiroshima
Des voix dans le noir
De métèques et troubadours
Pleuraient en silence
Leur martyre
Leur repentir
Et leur agonie
A la cadence
De l'instant qui fuit ...
Onze heures n'avaient pas
Encore sonné
Pourtant
La place du marché
Etait déjà
Ensevelie
Sous les décombres
D'un ciel gris
Et la pénombre
De la nuit.
De jeunes corps démembrés
Jonchaient la rue ,
Un cheval fou
Décapité
Jaillit de son écurie,
Une colombe calcinée
Voltigeait
En tourbillonnant...
La tempête s'était
Apaisée,
Les vautours avaient
Disparu
Laissant derrière eux
Une rivière de sang
Un cortège hideux
De cadavres nus ...
Ce jour -là à Sakiet,
La nature qui était en fête
Porta sur son visage labouré
Par des larmes acérées
Le voile du deuil
Au seuil
De l'éternité.
Mouldi Kefi
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